Publié le 28 Août 2012
La circulation des informations est le sang de la vie démocratique, comme le nôtre il peut assurer sa croissance ou l’empoisonner et véhiculer la mort du corps qui le porte.
Cela fait des siècles qu’elle circule, mais jamais avec les moyens qui sont les nôtres aujourd’hui. La manipulation se fait désormais à la dimension de la planète et ceux qui ne sont pas instruits, éduqués, cultivés, seront des aveugles étriqués colporteurs de rumeurs et de superstitions. Et, le cas échéant, conduits par d’autres aveugles qu’ils se seront choisis ou élus.
Aussi, entretenir la réflexion créatrice et l’élargir tout au long de son existence, ne peut être qu’une exigence profitable, un recours indispensable pour exercer les décisions et les choix, que nous effectuons tout en favorisant inévitablement le discernement et l’émergence d’idées « créatrices » et la survie de la démocratie.
« A vous de juger » par exemple n’y concourait pas.
Ce concept copie une évolution de notre société calquée une autre société du spectacle qui ne fédère sa population que par le commerce ou la guerre. Elle a développé la judiciarisation de sa sociabilité et nous avons emprunté ce chemin.
Ainsi petit à petit nous avons admis d’apprécier les choix politiques non comme des choix auxquels nous avons participé, mais comme des propositions de quelques élites dont nous aurons à juger leur capacité à les mettre en œuvre.
Nous en sommes arrivés à créer des oligarchies politiques, là où la voix des citoyens doit se faire entendre dans les partis
Quelque part pour reprendre un mot à la mode nous avons « externalisé » notre vocation citoyenne à organiser la « cité ».
C’est ainsi que depuis trop longtemps même les hommes politiques ont fini par accepter ce terme d’être jugé, d’être jugé au résultat comme dans une entreprise. Vous me pardonnerez de n’avoir jamais jugé un opposant politique, je ne lai jamais pris pour un employeur ou valet des marchands, toujours pour un citoyen responsable devant les autres des choix qu’il assume, et des mandats dont il peut être dessaisi quand il en rend compte.
Ce n’est pas la même chose, l’élection n’est pas le passage devant une cours judiciaire, c’est l’expression d’un choix de conviction, d’un choix d’espérance, d’un choix d’affinité, d’un choix d’indifférence. L’élection n’est pas comme trop souvent nous l’entendons lamentablement le vote d’une sanction. Les hommes politiques ne sont pas à punir comme des enfants turbulents ou pas sages, ils sont ceux que nous choisissons pour parler en notre nom, et chacun peut se tourner vers celui qu’il pense le représenter au mieux, faute d’être présent dans son parti.
Ceci ne signifie pas que ceux délaissés sont mauvais ou méritent d’être sanctionnés.
Ces glissements sémantiques ne sont pas anodins ils nous viennent d’un monde des affaires où ils ont là leur place, comme ce le fut avec la notion de charge sortie du plan comptable pour qualifier notre prospérité.
Avec ce glissement nous en sommes venus à considérer qu’il fallait que le plus grand nombre renonce à être prospère au bénéfice de quelques privilégiés.
Dans cette émission l’on place les téléspectateurs en tribunal de ses élites, en parfaite ignorance qu’en faisant cela ils se mettent eux mêmes au banc des accusés, car ce sont leurs fils ou filles de la république dans lesquels ils ne se reconnaissent plus.
Dans ce monde ils ont la responsabilité de l’avoir remis aux mains des marchands par leur vote, cela devient donc trop facile d’en charger ceux qu’ils ont choisis pour cela, et de les juger dans ses émissions stupides où chacun retourne le pouce sur le dos de l’autre comme dans une arène.
Cette évolution est le fruit d’une lente déstabilisation politique à laquelle les médias concourent depuis trop long temps, en viciant l’information en conscience ou non je l’ignore, mais en tout état de cause si nous restons sur cette pente nous en arriverons à tuer la démocratie, par des citoyens qui se croient conviés régulièrement au tribunal électoral.
Il est temps que des émissions comme « à vous de juger » disparaisse, nous avons préférer éliminer arrêt sur image, nous avons privilégié le spectacle à la critique et nous finirons par devenir les bouffons du roi.
Théodore Monod en disait : « La terre est un jardin bordé de nuit. Tels des aveugles nous avançons, mais sûrs de nous, fiers, cruels, consommateurs, assoiffés de profit. Moderne ? Que restera-t-il à nos enfants de cette oasis si humaine ? Seront-ils seulement là pour contempler nos méfaits ? »[1]
Chateaubriand dans « René » disait : « on ne hait les hommes et la vie que faute de voir assez loin », et Lamartine « infini dans sa nature, borné dans ses vœux, l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ». Prévert, lui écrivait « il poursuivait une idée fixe, il s’étonnait de ne pas avancer ».
Et comme rien n’est jamais simple je conclurai avec ce propos de Victor Hugo « l’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir ».
[1] Théodore Monod. Révérence à la vie. Edition Bernard Grasset. 1999.