Publié le 5 Mai 2021
LE PARADOXE DE L´AUTONOMIE CONTRAINTE.
Coécrit par Cazeaux Bernard et DDacoudre. en 2003.
Toute société assure son développement sur les fondements d’un processus de socialisation qui se veut dynamique dans l’organisation de ses acteurs. Pour autant ces fondements, aussi performants soient-ils, se réforment et nous sommes globalement convaincus de cela. Toutefois, saisir leurs mutations et les interpréter ne peut se réaliser que par les acteurs même de cette socialisation, en fonction de la place vers laquelle elle les aura entraînés. Une place, où la science n’est que la connaissance organisé de ce que nous pouvons dire de la nature, du monde, et non ce qu’ils sont, où toutes interprétations de soi est liée à l’extension de notre connaissance, et la condition humaine est le mode par lequel nous pensons le résultat de toutes nos liaisons et fonctions cellulaires.
C’est donc par l’ethnologie qui est l’étude scientifique des ethnies, dans l'unité de la structure linguistique, économique et sociale de chacune, dans leurs liens de civilisation propres et dans leur évolution, et par la sociologie, étude scientifique des sociétés humaines et des faits sociaux, que nous nous «auscultons ». Il en ressort que, d’une manière quasi objective nous pouvons retenir que la condition humaine s’est structurée en « famille » et «communauté de famille », au sein de laquelle s’est façonné un apprentissage organisé qui est devenu : L’école.
L’école, en plus de sa fonction éducatrice, reflète l’esprit communautaire familial et sauvegarde l’héritage de la «communauté des familles. »
Ainsi, dans le processus de socialisation, l’on peut poser entre autre observation que la famille et l’école sont des instances primaires.
Naturellement ceci est un regard arrêté à un moment de notre organisation humaine, car la famille et l’école se sont développées sous une organisation qui s’est auto qualifiée de civilisatrice dans laquelle la religiosité humaine a élaboré des dieux structurants et des territoires déterministes, au sein desquels s’exerçait l’activité économique. Tous deux ont généré l’ensemble des valeurs et pratiques que véhicule toute communauté d’homo sapiens sapiens par la plus petite composante qu’elle s’est reconnue ou donnée, la famille, car c’est en son sein que, biologiquement et culturellement, prend naissance l’individu, le sujet, l’humain.
Ensuite, l’on peut retenir que sur la base de ces processus de socialisation, des instances secondaires se sont élaborées pour satisfaire les besoins de la famille. Ce sont toutes les organisations de la production, et tous les types d’associations qui ont pu naître des relations humaines.
On peut donc dire aujourd’hui que les instances secondaires se composent des entreprises et des groupes de pairs. Ces instances secondaires se sont développées dans le même mouvement de socialisation que les instances primaires (famille, apprentissage). Si l’on retient que la base minimum d’une espèce est de maintenir en vie son organisme biologique, il n’est pas besoin d’économie pour cela, mais si les individus se regroupent et commencent à s’organiser pour la production et la satisfaction commune de leurs besoins, alors l’on peut commencer à parler d’économie. Ensuite toutes les autres associations, de quelque nature qu’elles soient, ne pourront se structurer en tant que telles qu’à partir du moment où les individus se seront regroupés et répartis des tâches et des fonctions nécessitant une activité de surplus de production.
Cette capacité à produire un surplus sera de nature à structurer l’organisation sociale pour dégager d’une activité productrice les individus qui modèleront, élaboreront «l’intronisation » politique, culturelle, religieuse, avec pour effets de compliquer, de perfectionner, de donner cohérence et solidité à l’organisation sociale, de définir et réguler la violence individuelle et collective qui a accompagné cette structuration. Dans cette lente structuration à l’échelle de l’espèce, le développement du langage et de la pensée symbolique ont contribué et contribuent au développement de mondes imaginaires, dont les œuvres disparaissent et se réforment, au faire et à mesure que de nouvelles contraintes socio-économiques sollicitent la potentialité cérébrale humaine1. Ce qui nous aujourd’hui permet de sérier les associations que nous estimons subjectivement primitives ou civilisés.
En se plaçant dans une optique organisationnelle de stratégie d’acteur et en observant les intrants et les extrants sociétaux, il apparaît une dichotomie sociale, au travers de la stratification de ces instances, qui entraîne une dissonance cognitive.
C’est cette dissonance cognitive qui est due au paradoxe de «l’autonomie contrainte », où la contrainte revêt le double sens de l’obligation d’être et sa répression : ce que nous allons examiner.
Mais avant d’en faire le développement il est nécessaire de situer dans l’histoire notre notion de famille, d’éducation, de liberté, de travail et d’autonomie. Notions qui ne peuvent dépendre que du déroulement de l’histoire de nos propres existences.
1 Quand nous parlons de la potentialité cérébrale humaine nous conservons la représentation communément admise d’un cerveau organe central de l’élaboration de la pensée, ceci permet aux observateurs que nous sommes de communiquer autour d’une définition erronée. Car le système nerveux ne reçoit pas d’informations de l’environnement dont nous formons une représentation extérieure, il opère avec une détermination structurelle qui retranscrit toutes les perturbations cellulaires causées par l’environnement. Nous pourrions dire le cerveaux ne pense pas ce qui n’irai pas sans choquer tout un chacun. C’est comme si nous disions que le réseau routier ou celui d’Internet pensaient alors qu’ils ne véhiculent que l’activité des cellules que nous sommes pour eux, en un lieu ou des lieux où se concentre les perturbations pour en former une ou des représentations.
Nous pensons tous savoir ce qu’est la famille. Elle est tellement inscrite dans notre quotidien familier et intime que nous n’imaginons pas qu’elle soit issue d’autre chose que d’un processus «naturel » auquel il n’est pas possible de se soustraire.
La procréation qui implique l’union des sexes, comme enracinement biologique et temporel de la sexualité, n’aboutit pas nécessairement à la constitution ou la détermination d’un rôle de père. Ainsi, biologiquement, la cellule dite familiale de base originelle se constitue de la mère et des enfants, une évidence irréductible d’instincts animaliers.
Souligner ce fait n’est pas anodin dans nos sociétés occidentales compte tenu, d’une part de l’existence subie de «fille mère » comme nous les désignions autrefois ou de la volonté de certains groupes féminins à revendiquer une telle situation, ou/et encore comme le résultat d’aléas de la vie (décès d’un des conjoints), et d’autre part de certaines formes d’éducation religieuse (interdiction de se remarier).
Cette précision permet de dire aujourd’hui que de telles situations ne constituent pas une anormalité mais un retour à la source originelle.
Naturellement, ce type de famille originelle reste aujourd’hui inscrit la plupart du temps dans le réseau de parenté sociétal structurant. La symbolique paternelle1 peut alors être différente et il n’y a aucune raison que cette particularité lui fasse subir l’opprobre. Si l’on peut considérer qu’il y a anormalité cela tient au fait de la constitution de la famille nucléaire qui a acquise « l’autonomie et l’indépendance » d’existence en dehors de sa famille souche. Et c’est parce que l’on estime, que pour qu’un enfant réussisse au mieux son développement et ait une représentation de l’autre, du monde, qu’il est indispensable que la famille lui propose la représentation de chacun des deux composantes de la sexualité.
Néanmoins aucun caractère inné ne confère ce rôle au géniteur. Être géniteur ou génitrice ne confère pas de fait la capacité d’aimer. Toute l’histoire persécutrice de l’enfance en atteste. Nous sommes persuadés que l’attachement des parents pour leurs bébés n’est qu’une donnée de nature, et à ce titre irréversible. Or à la Renaissance en France c’est le contraire et quelques siècles en arrière nos ancêtres faisaient vivre et considéraient les enfants qu’à partir de l’âge adulte estimé à compter de sept ans (l’âge de raison) ; et c’est encore le cas dans bien des régions du monde. A la Renaissance, pour beaucoup de raisons le nourrisson représente un relatif désintérêt, et si pour des raisons, vitales ou patrimoniales il représente une entrave, l’enfant est accidentellement «étouffé » dans le lit des parents, abandonné ou exposé dans un endroit public.
Aujourd’hui, depuis l’apparition du capitalisme et de la bourgeoisie, la famille nucléaire c’est rassemblée aussi autour de l’affection de la mère pour l’enfant, qui se traduit par un investissement affectif durable favorisé par la baisse de la natalité, de la mortalité et de l’élévation du niveau de vie (richesse globale même si elle est inégalitaire). Cette affection va parfois jusqu’à la sacralisation mystique de l’enfant, dont l’amour excessif qu’on lui porte n’est que la compensation d’une solitude relationnelle entre adulte. L’intérêt s’est accru à partir du XIX ième siècle au travers de toutes les disciplines scientifiques dont chacune aujourd’hui indique la «bonne » manière, la manière la plus «rationnelle d’élever un enfant. A tel point que s’il ne franchit pas les étapes qui ont été définies à l’âge «normal », il est considéré comme «en retard ». Ainsi d’une certaine manière on en arrive à culpabiliser les parents, ou les parents se sentent culpabilisés s’ils s’affranchissent de la norme. Néanmoins d’évidence l’intérêt affectif porté aux enfants dans le but de leur développement harmonieux, qui est permis par la société riche d’aujourd’hui ne doit pas servir de prétexte, de justification à un refus de prendre en compte l’évolution de la constitution de nouvelles relations familiales qui ne sont que culturelles. C’est à dire, forgées par notre organisation sociale imaginaire, car toutes les formes de familles sont le résultat des événements que nous suscitons. Lacan disait «l’Autre, c’est le lieu étranger d’où émane tout discours, celui de la famille, du père, de la loi. L’Autre a aussi une place dans la structure du sujet : devant le miroir, le petit enfant découvre l'autonomie du sujet et anticipe sur sa future indépendance »2.
Toutefois à notre époque où, comme il l’est indiqué ci-dessus, la famille originelle biologique semble s’étendre, il est nécessaire de s’interroger sur ce retour sans s’anéantir dans une vision animale. Dans de telles situations nous parlons de famille monoparentale qui peut-être issue d’une volonté (procréation hors mariage), du divorce, d’un décès. Toutefois, à l’heure actuelle le terme de «monoparentale » ne met pas en évidence ce caractère originel de la famille monoparentale «mère /enfants », car il englobe aussi bien la famille monoparentale «père/enfants ».
Cette pseudo modernité n’en est pas réellement une puisqu’il s’agit plutôt d’un retour à l’origine. Ce qui a changé c’est surtout la perception des individus : le regard que chacun porte sur l’autre ; regard qui est le résultat d’une socialisation. On peut donc avancer l’idée que la famille traditionnelle que nous connaissons (la mère, le père et les enfants), qui s’est presque universalisée, est le résultat d’une longue construction culturelle. Toutefois, on peut naturellement s’interroger aussi sur les conséquences d’une généralisation de la tendance à la famille monoparentale naturelle originelle (mère enfant), tant sur le plan des relations affectives (amour) que sur la modification d’une stabilité sociale. En effet cette stabilité sociale repose sur le groupe familial pour la délimitation des filiations ainsi que pour «la perception de l’image du père » au-delà de son rôle de géniteur. Le rôle se complexifie avec l’apparition de pratiques comme l’insémination artificielle. Une telle éventualité entraînerait la remise en cause des bases fondamentales de la morale judéo-chrétienne. Mais au-delà, elle conduirait les fondamentalistes à considérer que la société humaine organisée autour de toutes les formes de «groupe familial patriarcal » franchirait une étape vers l’anomie. Pourtant nous pouvons considérer que la structure de la famille a été bouleversée par des réformes successives, particulièrement celle qui a substitué à la famille hiérarchique fondée sur l’autorité du mari et du père et sur la soumission de la femme, une famille égalitaire où les époux sont indépendants mais solidaires l’un de l’autre gouvernent et décident ensemble de la famille. Ensuite, la famille fondée sur le mariage n’est plus le modèle exclusif avec l’existence du concubinage et du PACS. Il y a donc aujourd’hui une pluralité de constitution de la «famille ». Une nouvelle approche s’est fait jour avec l’officialisation d’union du même sexe. Comment considérer une union familiale, qui avait pour fondement la procréation par l’attirance sexuelle différenciée, qui admettrait que la famille puisse consacrer également le désir amoureux d’Êtres du même sexe qui souhaitent une union sociale, et ainsi concrétiser la fidélité et les droits qui caractérisent le couple conjugal. Dans ce cas la famille deviendrait la norme qui consacre le droit de tout Être d’accéder au bonheur de l’union amoureuse, et non de constituer un modèle familial. Bien évidemment cela ne va pas sans interrogations quant à la faculté pour ces couples de fonder une famille nucléaire différenciée (mère /mère /enfant, père /père /enfant), avec plus de facilité pour les couples féminins que ceux masculins qui doivent passer par l’adoption. Au-delà, c’est l’acceptation par la société de différenciations que la «nature » développe comme potentialité d’être, au même titre que la science nous a permis par ses progrès de maintenir en vie des êtres inadaptés que la «sélection naturelle » aurait éliminés à des périodes où la condition humaine n’aurait pas eu les moyens, tant technique qu’intellectuel, de leur offrir un espace d’existence. Ils ne semblent pas pour autant pouvoir constituer une norme procréatrice par eux-mêmes, de telle sorte que la société se trouve devoir composer avec une conception idéologique ou trop abstraite de la famille et avec un réalisme sociologique produit de la complexification des perturbations environnementale sur la condition humaine. C’est pour cela sans doute que la société n’a pas franchi le pas juridique, en excluant le pacte civil de solidarité (PACS) du droit de la famille.
Ainsi la construction de la famille est donc l’aboutissement de l’association d’un événement biologique et d’une organisation sociétale culturelle qui repose sur des structures normatives. Ces structures normatives, par un long processus d’élaboration, donneront dans le monde «occidental » le droit qui occupe une place de premier plan comme régulateur de la vie sociale de l’homme et du citoyen afin d’assurer la «coexistence des libertés de chacun ». Pourtant ce droit doit composer avec le droit coutumier qui résulte de règles de conduites suivies par un groupe social, d’un usage plus ou moins prolongé et constant dans le temps, et avec le «droit naturel » qui n’est pas celui de la Nature mais ce que nous pouvons dire sur elle. « Droit naturel » de tradition aristotélicienne thomiste, dont J. Leclerc écrit dans sa «Leçon de droit naturel » : que le droit naturel consiste en «un ensemble de principe régissant les conditions de toute société parce que correspondant à la nature identique en tout homme ». «A partir du XVII ième siècle Descartes et Grotius, définiront la «loi naturelle » comme une création arbitraire de Dieu, conduisant au constat que la loi dérivant des hommes ne peut donc être définitivement posée, alors que «le droit naturel » est un code écrit applicable à tous les hommes Sorte d’une manière universelle et identique, non pas un principe de raisons susceptible d’applications variables »3. Si donc le droit tient une place de premier plan il devra composer avec les différentes pensées théosophiques et à l’historicité d’usages. «C’est la loi faite par les hommes comme expression du droit qui sera le produit d’une situation historique donné. Mais elle est également aussi le moyen d’un projet, d’une action qui peut anticiper le futur, le prendre pour règle pour changer la société, non seulement dans un projet idéologique, mais comme moyen «d’organicité », de ce à quoi l’on veut s’arracher pour devenir autre chose »4. Mais la loi est suffisamment d’un usage polyvalent et ambigu pour que l’on y requière sans cesse pour tous les litiges, si bien que de nos jours aucune loi ne semble plus taillée à la mesure des problèmes qu’elle veut résoudre, elle n’en garde pas moins le caractère impératif de règle d’ordre public qui confère le pouvoir de domination.
Ces structures normatives donneront également la hiérarchisation de l’homme et de la femme dans la société et ainsi pour chacun d’eux une place sociale dans cette hiérarchisation sans qu’elle soit immuable et semblable dans les diverses cultures tout en présentant des caractéristiques de facteurs sociaux propices à la réussite sociale5. Bien évidemment la réussite sociale repose sur un consensus sociétal à un instant donné.
Si l’événement biologique recouvre toute l’activité intime et les émotions amoureuses du couple sexuel, ainsi que le lien direct mère /enfant ; le culturel regroupe tous les événements de type relations filiales, économiques, religieuses ou traditionnelles, de relations sociales, d’organisations communautaires.
C’est le culturel qui a introduit la notion de père dans sa dimension patriarcale et a défini le rôle essentiel de la famille dans nos sociétés, au travers du rôle primordial du père en tant que référent et symbole de l’existence d’un autre monde en dehors de la mère.
La famille sous ses divers aspects est presque toujours le lieu de la première éducation, apprentissage élémentaire du savoir-faire, sens et symboles donnés aux rapports perceptifs et affectifs avec les objets et les êtres, intégration progressive de coutumes et d’interdits.
«Presque toujours » car il y a eu des exceptions, d’une part durant toute la période qui a précédé l’apparition du père, et d’autre part au travers d’usages qui perdurent, comme ceux de confier l’éducation de ses enfants à des tiers, avec toute la différence qu’il peut y avoir entre la nourrice d’aujourd’hui et les précepteurs de jadis dans une certaine noblesse.
Ainsi, autour de tous ces intrants la famille se trouve porteuse d’un certain nombre de valeurs socioculturelles, et elle s’est, petit à petit, organisée autour d’un droit de la famille qui régule les intérêts individuels de ses membres, et la protection de ses membres, jusque dans les relations intimes, en prohibant l’inceste6 et en définissant une notion de viol conjugal.
1 Note des auteurs.
Le père est le symbole de la génération, de la possession, de la domination, de la valeur. En terme de psychanalyse il est une figure inhibante, castratrice, il est non seulement l’être que l’on veut posséder et avoir, mais aussi celui que l’on veut pouvoir devenir, être ou valoir. Une telle identification au père qui exige « la mort du père » (Lui) et sa « renaissance » (moi), subsiste toujours comme une étape permanente qui ne peut être accepté sans problème que par l’amour réciproque. Le père est aussi l’autorité, le patron, le professeur, le protecteur, Dieu. Son rôle est conçu comme décourageant les efforts d’émancipations et exerçant une influence qui prive, limite, brime, et maintient dans la dépendance. Il représente aussi la conscience face aux pulsions instinctives, aux élans spontanés de l’inconscient ; c’est le monde de l’autorité conventionnelle en face des forces nouvelles du changement, c’est la certitude et le frein face à l’évolution. Il est aussi le symbole mystique de nos origines, d’un sentiment d’une absence qu’il compense, d’un manque, d’une perte, d’un vide que seul l’auteur de nos jours pourrait combler. Le modèle du père n’est donc pas une exclusivité masculine, même si l’organisation familiale, politique, cultuelle de notre histoire occidentale antique, des égyptiens et mésopotamiens aux grecs et surtout les romains qui l’ont conforté dans le mari et en ont fait un père omnipotent, dont la figure était écrasante dans la bourgeoisie au XIX ième siècle, et qui s’est popularisé par la poussée de l’église et du patronat pour restructurer une population ouvrière déstructurée par le travail urbain imposé par l’industrialisation. Le modèle du père peut être exercé par tout être susceptible de disposer d’un ascendant référentiel sur l’autre, accepté ou imposé, et dans l’histoire économique des humains le rôle de l’homme s’est quasiment affirmé universellement. Nous avons acquis le principe de compter la descendance unilinéairement car il nous est impossible de retrouver la lignée biologique parmi la multitude de parentés qui nous conduit à dire que nous sommes tous parents. C’est donc par convenance que chaque société choisit de se considérer parent à partir d’une lignée appartenant au père ou à la mère, suivant que l’un ou l’autre s’est distingué par des qualités remarquables le mettant en valeur et dont sa descendance en retire quelque fierté. Faute de pouvoir remonter aux origines, cette référence, qui représente une absence se compense par une référence mystique ou symbolique. C’est ce lent processus qui nous a conduit à reconnaître par la culture, l’homme, le père conjugal comme modèle ordonnateur. Par exemple les Nuers peuple du Sud du Soudan à l’organisation politique égalitaire et éleveur nomade, dans les régions marécageuses du Nil, pratique le « mariage fantôme », la femme est épousée au non d’un mort par un de ses parents. Ainsi se crée une famille dont le mari légal est mort, et les enfants du mari substitutif sont socialement et légalement ceux du mort. Cela est possible parce que le partenaire sexuel de l’épousée a pu prélever sur le bétail du défunt le montant de la « dot » qu’il a versé en son nom. Un homme peut ainsi épouser des femmes au nom d’un oncle, d’un frère, et même d’une sœur stérile décédée. L’enfant se réfère à la ligné patrilinéaire du mort, et traite son géniteur comme un oncle ou un frère. Une veuve peut dans certaines circonstances épouser une femme au nom de son mari. Cet exemple parmi d’autre montre que ni le sexe, ni la paternité physiologique n’ont d’importance à eux seuls, s’il n’y a pas un consensus culturel qui se formalise autour de la légalité du mariage reconnu par un «droit », qu’il soit coutumier, «dit naturel » ou positif.
2 "Lacan, Jacques", De la psychanalyse paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, Paris, 1975 ; Écrits, ibid, 1966.
3 T. Obbes, Les éléments du droit naturel et politique, traduction L. Roux, Lyon, 1977.
J. Leclerc, Leçon de droit naturel, Paris, 1927. O. Lottin, Le droit naturel chez saint Thomas d’Aquin et ses prédécesseurs, Bruges, 1931. R. Séve, Leibniz et l’école moderne du droit naturel, P.U.F., 1989. L. Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, 1986. F. Tinland, Droit naturel, loi civile et souveraineté à l’époque classique, P. U. F., 1988.
4 Burdeau Georges. Étude sur l’évolution de la loi en droit français, in arch. philos. Dr. n°2, 1939
5 Jacques Vanderlinden. Anthropologie Juridique. Éditions Dalloz. 1996.
6 Note des auteurs. La prohibition de l’inceste revêt un caractère quasi universel et, sans discuter sa perception moralisatrice, il est bon de noter qu’aucun fondement inné ne la corrobore.
Dans les nombreuses études d’anthropologues et d’ethnologues sur les diverses expressions de la sexualité dans les sociétés humaines sur les différents continents, se distinguent deux caractères attribués à la sexualité sous diverses définitions que l’on peut résumer ainsi : l’une, la sexualité procréatrice (amour), l’autre, la sexualité érotique (plaisir). Cette distinction est naturellement suivie d’un nombre incalculable de commandements sociétaux ayant pour objectif l’harmonisation de cette distinction analytique dans l’exercice de la sexualité. Ces commandements sont initiatiques et régulateurs pour l’accomplissement de l’acte sexuel au sein du couple. Ces proscriptions ont pour objet de trouver le juste milieu structuralisant qui n’engendre pas une frustration intolérable des individus par les prescriptions que l’observation de l’exercice de la sexualité a engendré, et ainsi fidéliser la relation familiale à laquelle a abouti l’activité «domestico-économique ». Dans l’expression de la sexualité, quelle que soit l’origine attribuée à l’interdit de l’inceste, force est de constater que celui-ci est non seulement présent, mais a une fonction structurante de la communauté humaine. Il constitue une réponse à l’autarcie « endogamique » tribale, et en confortant et définissant un lien de parenté il assure aussi la pérennité de son élargissement vers les autres par alliance des différentes stratifications de la communauté humaine (les structures élémentaires de la parenté, Claude Lévy Strauss, 1949), et a également un effet modérateur des groupes aux pulsions très fortes (Anthropologie de la parenté, Robin Fox, 1967).
La prohibition de l’inceste se présente comme un «organisateur socio-sexuel», qui fait passer du découpage de la famille originelle (mère /enfant) au sujet défini sexuellement (père / mère / enfant) aux pulsions clivées dans un champ d’acteur social.
Son interdit a été et/ou est le champ d’investigations permanentes. D’une part par une approche mystique donnant lieu à des modalités d’applications normalisatrices et moralisatrices de la régulation de la sexualité suivant la genèse des cultures sociétales, et par l’étude des traumatismes liés à cet interdit par la psychanalyse. Freud en a fondé le concept «que toute société doit s’édifier sur la contrainte et le renoncement aux instincts » (Malaise dans la civilisation, 1929). Géza Roheim a recensé et interprété les pratiques éducatives de la sexualité comme un ensemble déterminant des interférences des parents et des adultes en général dans la phase libidinale du développement infantile (Psychanalyse et Anthropologie, 1950). Reich a montré dans son analyse comment les inhibitions de la sexualité imposées à l’enfant se fixaient en rigidités organiques constitutives de la structure psychique qui définit le caractère des individus et qui est l’instrument à partir duquel tout individu s’insère dans la société (L’analyse caractérielle, 1933-1935).
Donc la famille, qu’elle soit nucléaire (mère, père, enfants) ou conjugale (le couple), ou élargie (nucléaire plus grands-parents), ou celle plus rare de nos jours la communauté de famille1 (forme de clan familial), n’est pas une forteresse irréductible, et les valeurs qu’elle véhicule seront fonction de la composition incidente des intrants. Tandis que le droit qui ne peut être indifférent au pluralisme familial préconise de manière plus ou moins prégnante un modèle déterminé qui exprime la diversité des civilisations ou des cultures. Pourtant ce droit ne peut pas, sans une certaine ineptie, fixer définitivement la normalisation de la sexualité biologique humaine, pas plus que lorsqu’il s’agit des rapports affectifs et sentimentaux personnels il ne peut contraindre ce qui par nature échappe aux ordres de la loi et du devoir, y compris l’évolution. Cela se conçoit aisément car il n’est pas d’usage que les époux vivent juridiquement leur union. Dans les sociétés modernes cela s’est concrétisé par la dépénalisation du divorce, l’interruption volontaire de grossesse et le PACS, mais s’il faut peu de droit pour s’unir, il en va autrement pour régler tous les conflits inhérents à la préservation des intérêts des époux et des enfants dans le cas de séparation ou de conflits pathologiques. C’est dans ces situations que le droit trouve toute sa place pour fixer les devoirs de ceux qui s’étaient engagées dans une union, et d’une manière plus précise préserver l’intérêt des enfants. Mais le droit laisse également entrevoir toute sa complexité et sa relative indétermination lors de la définition des concepts tels que « l’intérêt de la famille » ou « l’intérêt de l’enfant », en voulant se substituer aux principaux intéressés. Ainsi, bien que politiquement toute société fixe un droit de la famille suivant la prégnance d’un modèle, celui-ci ne peut ignorer l’évolution des relations humaines qui se caractérise aujourd’hui par une volonté d’autonomie individuelle émancipatrice, qui pour se formaliser nécessite une évolution vers la contractualisation des droits et devoirs familiaux. La conséquence en est que les valeurs subjectives du droit de la famille induites par un attachement empirique culturel se réorganisent au travers du droit de la famille. Celui-ci s’internationalise et se subordonne au respect de règles internationales élaborées par des organismes tels le Conseil de l’Europe pour veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ou la Convention universelle des droits de l’enfant conçue par l’Organisation des Nations unis. Celui-ci se conforte sur la base de données «scientifiques » que lui fournit la psychanalyse et la psychologie, de la même manière que le droit familial religieux s’appuyait sur le divin, avec les mêmes risques d’auto justification, de définir des schémas subjectifs dans lesquels chacun pense se reconnaître parce qu’ils ont été définis, et produisent de la sorte leur justification.
Cette orientation d’une contractualisation de «la famille » ne peut pas être sans incidence sur la perception subjective de la famille qui demeure encore rattachée à un sentiment d’une appartenance plus large de «communauté familiale » ou de «communauté de famille » qui lie par le processus de filiation domestique et économique une identité d’appartenance à un groupe, à un village, à une ethnie, à une nation, à une culture.
1 Sicard Émile, la Zagura sud-slave dans l’évolution du groupe domestique, Paris, 1944.
Gaudimet. J, Les communautés familiales, Paris 1963.
Chiffre. J, les aspects géographique des communautés familiales de France centrale, éd. univ de Dijon, 1985.
Le lien familial est essentiel à l’individu et à la société culturelle pour sortir de l’image souvent avancée de la horde ou de son mythe d’où tous deux seraient issus, pour que le droit qui formalise ce lien, en régit la constitution et la dissolution, ne soit pas imprégné en retour par l’idéologie, la morale, la religion, et par les mœurs dominantes d’une société. De telle manière que le droit de la famille reflétera les divers aspects : culturel, économique et social, psychologique et biologique, spirituel et charnel. Ceci peut être suivi au travers de l’étude sociologique de Gérard Mermet dans Francoscopie 20011.
Les mariages sont plus nombreux (285400 en 1999), et constitue une inversion de tendance après vingt années de baisse, sans que l’on sache exactement quelle est la part due au changement de fiscalité en 1996 comme mesure incitatrice au mariage. Ces alliances sont marquées par une homogamie toujours forte (mariages de partenaires issus de milieux sociaux proches), de la même manière que l’endogamie (mariages de proximité géographique dans le groupe social). L’endogamie caractérise une résistance à la mobilité géographique par un attachement d’appartenance marqué par le déroulement de l’enfance des générations successives en un lieu de sédentarisation, qu’il soit propice au développement ou non, (sauf dans des cas de grande famine, comme celle historique qui conduisit à l’émigration environ un million d’irlandais de 1848 à 1850). Ceci a amené le débat sur l’implantation des entreprises pour créer des emplois dans l’ensemble des zones habitées. Il en est résulté une concurrence d’appel d’offre de la part des dirigeants des communautés locales afin d’attirer vers celles-ci les emplois nécessaires à leurs populations sédentarisées, avec pour conséquence de conforter cette tendance à l’endogamie. Cela même s’il a existé une part de mobilité géographique sorte de constante migratoire intra nationale émanant de populations autochtones. Cette migration s’est accru avec le développement des loisirs, l’augmentation du chômage, et la plus forte mobilité des industries de production dans des domaines fortement concurrentiels et souvent caractérisés par de petites unités dont l’obsolescence rapide des produits et l’apparition de nouvelles technologies peut les amener à fermer ou migrer à nouveau. De plus cette migration se double d’une forme exogène (l’immigration) entraînant de nouveaux problèmes dans la société, malgré le caractère bien souvent indispensable de celle-ci, dû à une baisse de natalité au sein des populations autochtones confortées aux évolutions du mariage et de la famille.
Les mariages internationaux, voire interethniques (ceux qui pour une grande partie du public comportent un membre étranger) se sont stabilisés autour de 10% avec une pointe à 14% en 1990, contre 8% en 1980 et 6% en 1970, pour les premiers, et à 1,8% pour les seconds2.
La mobilité géographique ne peut donc pas être la pierre angulaire d’une civilisation qui s’est sédentarisé depuis des millénaires par l’urbanisation et le droit de la propriété. On en trouve des traces originelles au travers de l’arpentage des terres qui a débuté avec les Égyptiens obligés de retracer les parcelles de terre après chaque cru du Nil. Toute fois cette mobilité est l’exigence d’une société qui vit ses mutations et s’acculture. Si bien que s’il y a un débat à poser, il repose plus sur la rapidité avec laquelle ces mutations interviennent sur l’espace d’une même génération que sur la genèse ou la pseudo modernité de la mobilité géographique et sociale3.
Les unions libres représentent 2,4 millions en 1998 contre 1,5 millions en 1990. Elles sont plus répandues dans les grandes villes, chez les non-croyants, et les diplômés. L’union libre est considérée comme une espèce de passage «normal » du début de la vie en couple, pour neuf couples sur dix, (un sur dix en 1965) et elle participe à 53% des naissances hors mariage et constituent de plus en plus un mode de vie durable4.
Les nouvelles formes de vie en couple sont marquées par un recours au PACS et par des couples non cohabitant dus à la mobilité des vies professionnelles, et à l’individualisation des modes de vie. La non cohabitation représente pour 16% des couples concernés le début de la vie conjugale. Les familles monoparentales représentent 14% des familles avec enfants : le taux le plus élevé est celui du Royaume-Uni avec 23%, le taux le plus bas est celui de la Grèce avec 7%. Les «vrais » célibataires croissent, 28% des Français, avec une proportion plus grande chez les hommes que chez les femmes. Chez les hommes le taux le plus élevé de célibat se rencontre dans les catégories sociales modestes, tandis que la tendance est contraire pour les femmes chez qui les diplômées sont celles qui se marient le moins. A niveau scolaire égal les femmes issues d’un milieu social aisé se marient moins que celles élevées dans un milieu modeste.
L’ensemble de ces évolutions a eu pour tendance à stabiliser le nombre de divorces (118000 en 1998) après une multiplication par quatre entre 1960 et 1965. Les divorces ont provoqué un accroissement des familles monoparentales, et deux tiers d’entre eux concernent des enfants qui se voient confiés dans huit cas sur dix à la mère.
Ainsi la mobilité sociale en tant qu’ascenseur social dépend étroitement de la famille constitutive de l’individu. Et l’école tremplin social par excellence dans les années d’après guerre c’est spécialisé par réforme successive dans l’homogénéisation sociale.
Néanmoins la famille reste une valeur première pour les Français de tous âges, bien que celle-ci se soit profondément transformée sous l’effet des évolutions démographiques et sociologiques. La famille, grâce à l’augmentation de l’espérance de vie comporte de plus en plus quatre générations vivantes, la baisse de la natalité réduit le nombres de relations collatérales (oncles, tantes, cousins, cousines) et favorise les relations verticales (ascendants, descendants). Mais une tendance s’observe chez les jeunes par un élargissement sensible de la notion de famille qui s’étend au-delà du lien de sang, amis, collègues, relations diverses, que l’auteur de l’étude appelle la «tribu »5, dont les membres sont choisis plutôt qu’imposés, et d’en conclure que la famille n’est plus un univers fermé, défini par des liens formels, mais un groupe de base ouvert qui recrute vers l’extérieur.
Dans le même temps les difficultés du à la stabilité du chômage et les difficultés récurrentes de l’État pour assurer pleinement sa fonction de régulation sociale ont pour effet d’accroître ou réactiver la solidarité et l’entraide familiale qui, de fait, renforce les inégalités en fonction du réseau relationnel de la famille, de sa richesse, et de la volonté affective qu’elle a de venir en aide à ses membres. Elle est malgré elle source de fracture sociale, pour utiliser un mot à la mode, car bien évidemment les familles les plus modestes sont celles qui ont le moins de moyens. Parmi les faits de société marquant cette transformation des structures de la famille traditionnelle, deux semble révélateurs. On peut citer mai 1968 qui fut un choc culturel, car la revendication des Français portait sur plus de liberté, avec pour conséquence la levée d’un certain nombre de tabous, et fustigeaient la société industrielle de consommation, tout en engendrant en son nom bon nombres de confusions. Ensuite on peut évoquer 1983 qui annonce la fin de l’interventionnisme d’État, la fin des idéologies, dont la concrétisation interviendra en 1989 avec la chute du mur de Berlin comme symbole, et la domination de l’économie libérale sur le politique.
Ce changement de société, qui se caractérise par l’éternel débat de la place de l’État (interventionnisme ou pas) dans la direction des affaires socio-économiques, se relaie en ce qui concerne les citoyens par le débat opposant une soi-disant «société d’assistance » et une société qui serait «de responsabilité », source de bien de malentendu volontaire la plupart du temps, comme celui de : «chacun est responsable de son propre destin ».
Naturellement une société ne peut pas se passer de liens fédérateurs et ses liens s’apprécient directement dans la cellule familiale. Plus cette cellule familiale est restreinte, plus elle se tourne vers l’extérieur pour s’élargir, se composer des «familles », des groupes ou des appartenances identitaires ; d’une certaine manière, rechercher des points de repères ou d’ancrages pour ne pas vivre en autarcie et se recomposer un cadre de référence.
Dans le même temps la famille n’est plus le lieu duquel l’on reçoit un héritage culturel placé sous la seule autorité du père, car avec l’égalité du couple et l’émancipation financière de la femme, chacun a tendance à se construire une autonomie de vie qui cohabite avec celle du couple. Autonomie à laquelle il prépare ses enfants qui, paradoxalement cohabitent plus longtemps avec leurs parents, soit parce qu’ils effectuent une scolarité plus longue, soit parce les parents les aident à attendre le premier emploi. Ainsi après 1968 et 1983 il semble que la famille redevient le rempart culturel naturel à la perte de toute idéologie et espérance dans un avenir meilleur, mais comme nous l’avons dit sous des formulations plus complexes.
1 Gérard Mermet. Francoscopie 2001. Édition Larousse. p 120 à202.
2 Francoscopie 2001. Gérard Mermet. P 130.
3 Note des auteurs. Mobilité sociale : capacité à changer de classe sociale.
4 Francoscopie 2001. Gérard Mermet. P132 à 134.
5 Francoscopie 2001. Gérard Mermet. P 156 à 159.
Dans la vie de tous les jours les Français disent compter sur leur famille et amis pour 82%, sur eux-mêmes 68%, tandis que seulement 2% accordent leur confiance aux partis politiques (enquête CCA, 1999).
Dans le même temps les Français attendent de l’État qu’il agisse moins pour l’ensemble de la collectivité, mais qu’il prenne en compte la singularité de chaque citoyen.
Pourtant ils attendent de l’Entreprise, considération, restauration de liens sociaux par la convivialité et qu’elle invente des solutions aux problèmes contemporains.
Une manière comme une autre de dire qu’ils sont à la recherche d’une réponse pour eux-mêmes, une réponse à la dichotomie due à la contrainte imposée par la nécessité de vivre une autonomie. Une autonomie dont un des moindres paradoxes est celui énoncé plus haut. C’est à dire que les Français attendent tout d’eux même, sauf de leur propre organisation politique (gestion de la cité, du pays) dans laquelle pourtant ils peuvent exercer leur responsabilité de citoyen.
Ils ne s’investissent pas dans les structures politiques faites pour leur permettre d’exprimer leurs responsabilités d’acteurs décisionnaires et gestionnaires de la cité et de la nation ; structures dans lesquelles, justement, ils pourraient définir leurs conceptions de la liberté et de l’autonomie et satisfaire leurs attentes, y compris familiale.
Cependant ils attendent tout de ce qui les «aliène », l’Entreprise, dont ils retirent un sentiment d’autonomie par la double capacité de production/consommation qu’elle leur fournit, et à laquelle les prépare essentiellement le système éducatif.
Ils espèrent que la satisfaction de leurs attentes viendra de la structure productrice qu’est l’Entreprise, dont l’objectif historique affiché, n’est pas de fixer un projet de société, mais d’exploiter au mieux la capacité de travail des individus pour enrichir quelques-uns uns d’entre eux.
Entreprise, dont ce qui paraît être le caractère social, n’est que la nécessité pour elle de devoir redistribuer par obligation (conflits) une part de la richesse collectée afin de préserver ses propres attentes monopolistiques au travers d’une organisation concurrentielle débridée.
Cela dans un cadre général ou l’attente des Français évolue vers une société de loisirs et hédoniste permise par le système libéral qui nécessite une réduction du temps de travail et des choix qualitatifs. Tandis que l’Entreprise, pour des raisons concurrentielles, réclame un allongement de ce même temps de travail, et dénie les conséquences positives du succès du système libéral soutenu par une l’idéologie néolibérale, et impose une restriction au travers de la circulation des masses financières dans un marché où elle trouve que les exigences qu’elle a suscitées sont trop élevées (poids des non actifs et des exclus trop lourd, demande de soins exponentiels, tendance écologique).
Ainsi, curieusement les Français n’ont pas d’espérance dans leurs structures démocratiques qu’ils ressentent comme inadaptées à leurs attentes, alors qu’elles sont le symbole d’une liberté acquise historiquement sur le monachisme, l’impérialisme, le totalitarisme, et ils mettent leurs espoirs dans une structure économique qui est le symbole du pouvoir autoritaire, du fait du prince, que donne le droit de propriété du possédant sur les autres individus.
Ils délaissent ainsi l’exercice d’un pouvoir démocratique pour confier leur attente à un pouvoir totalitaire1.
On peut donc penser que ce paradoxe est la reconnaissance de l’obligation de trouver une forme de Démocratie de l’Entreprise, au sein de laquelle se forge aussi le destin et l’avenir de chacun. Alors que le pouvoir politique (qui est le leur) paraît loin de leurs intérêts quotidiens et n’est pas en mesure de leur fournir un tableau clair et optimiste de l’avenir ; une forme d’organisation qui a existé au travers des « communauté de familles » dans le monde agraire dont nous parlerons plus loin.
De fait l’on se retrouve avec une inversion de la notion de société de responsabilité. Une responsabilité qui se focalise au niveau de l’individualisme mercantile (la capacité individuelle à consommer) et entretient le discours qu’être responsable c’est se plier aux exigences du marché. Sinon l’on est péjorativement un «assisté » dés lors que l’on espère une solidarité et une entraide de la communauté humaine ou de sa communauté nationale, si celle-ci n’est pas fixée par l’organisation du marché dirigé par/où vers l’intérêt de l’Entreprise.
C’est à dire qu’être responsable n’est alors pas se soucier de l’existence de ses semblables, mais de celle de l’Entreprise dont chaque individu, en fonction de ses capacités d’autonomies acquises, sera exercé à se faire une place en son sein.
Une quasi-superposition c’est établi entre l’Entreprise et Société, et beaucoup de citoyens gèrent leur existence comme une entreprise gère ses salariés, après avoir accepté que leurs communautés urbaines, dans une concurrence électoraliste du mieux disant2, les gèrent comme une entreprise.
On peut toutefois considérer que la responsabilité citoyenne est aussi de s’entraider (fraternité) ; mais dans ce cas la fraternité républicaine est devenue péjorativement «assistance » quand l’État l’exerce, et elle est acceptée et incitée quand elle est caritative3, dés que les bénéficiaires de cette aide ne peuvent s’offrir les prestations de services sociaux dans le marché privé des assurances et garanties en tout genre.
Un phénomène qui n’a rien d’anormal, et qui est même d’une banalité séculaire, consiste à considérer que d’autres sont attardés s’ils ne sont pas dans la mouvance de ceux qui ont la capacité d’affirmer que c’est leur point de vue qui représente l’avenir, la modernité, voire une nouvelle civilisation.
C’est le phénomène de tous les groupes humains dans lesquels se détache un groupe qui, par ses capacités, ses qualités, son savoir est en mesure d’aider, de convaincre ou d’obliger les autres à lui ressembler. Et partant de cela, les réfractaires sont vus comme des archaïques, des sous développés, ou dans le cas indiqué ci-dessus (ceux qui ne s’inscrivent pas dans une société dite et définie par un groupe de «responsabilité »), se voient catalogués d’assistés.
C’est le rapport de l’homme «civilisé » à l’homme «sauvage », et chaque civilisation, chaque organisation ou réorganisation crée ses «hommes sauvages » ; c’est le rapport de l’homme à l’homme dans son évolution, et ce débat est toujours capital, sans qu’il puisse y être apporté une réponse.
Mais il n’est pas interdit d’analyser ce qui constitue une efficace domestication de l’homme qui s’hominise, de ce qui le ramène au seul rapport de domination exercé par l’Un sur l’Autre.
Les statistiques citées ci-dessus nous indiquent que d’une autre manière, les Français attendent tout d’eux-mêmes (l’Un), mais aussi que les autres (l’Autre) s’occupent de leur intérêt individuellement par la représentation étatique «du groupe communautaire national»4, et que l’Entreprise (nominative ou anonyme) personnifiée pense pour eux.
Il semblerait donc qu’être dans une société «responsable », serait de ne pas devoir assumer sa responsabilité de citoyen (d’Un dans le groupe), hormis au moment des votes. Ensuite ce serait se laisser diriger, tout en y participant, par les vocations de «l’Entreprise » qui se présente comme étant la plus compétente à apprécier et gérer la loi du marché qu’elle suscite. Ce serait accepter les conditions d’autonomies nécessaires qu’elle a définie et fixée aux individus pour en faire partie.
Bref être responsable serait attendre, serait attendre de tous des autres en affirmant que l’on ne compte que sur soi, et attendre de son maître.
Ce serait attendre l’offre et/ou la demande suscitée, car demander autre chose que ce que les groupes dominants autorisent est devenu indécent.
Être responsable ne serait pas pour la majorité (qui n’est pas aux postes de «commandes » ou dans l’élite) être responsable comme acteur décisionnaire, mais comme acteur exécutant, responsable de l’exécution de décisions fixées par d’autres qu’eux. En parlant de l’entreprise, du marché, de l’État objectivé, nous ne parlons que de structure qui servent, éludent, dictent, prétextent nos comportements.
Nous ne pouvons éviter d’analyser comment nous répartissons le pouvoir du peuple, le pouvoir de l’individu sur son destin, ni quand ce pouvoir acquis sur le principe de la liberté et du droit à la propriété devient pour certains l’exercice de la puissance dominatrice.
Cela ne pourrait exister sans l’ambiguïté de l’usage d’un type de vocabulaire qui satisfait aux rêves des individus et transforme la servitude en autonomie. Quand les français disent ne pas compter sur l’État, certes ils renoncent à compter sur eux-mêmes, alors qu’ils ont affirmé à 82% l’inverse. Et quand ils disent attendre tout de l’Entreprise, n’attendent-ils pas tout d’eux-mêmes puisque c’est eux qui la composent.
Or tout en étant présents partout, de quel eux-mêmes parlent-ils ?
Nous n’apercevrons cela qu’en examinant comment chacun rétrocède son pouvoir pour se mettre en état de servitude, et comment nous nous protégeons de cet état de servitude en nous répartissant l’autonomie de la décision. Car d’évidence cette courte analyse d’opinion des français laisse assez clairement entrevoir qu’ils se sentent dépouillés de leur pouvoir, qu’il soit politique ou économique et ils se sentent «seuls ». Et comme tous les individus qui se sentent «seuls » ils se tournent soit vers leurs familles, soit vers leurs amis, soit vers des référents réels ou imaginaires, en clair ils se retournent sur eux-mêmes car se sont eux qui composent la famille et les amis et les groupes référentiels.
Ils tournent en fait dans la structure qu’ils ont contribué à élaborer par leur participation ou leur démission, et qui a fait d’eux ce qu’ils sont.
On peut se demander alors ce qu’est une société de responsabilité dans laquelle les individus tournent en rond sur eux-mêmes sans s’investir dans les instances décisionnaires confiscatoires de la liberté de décision qu’ils se sont construites. Le surplus de production en leur donnant la civilisation leur a apporté la servitude.
Ils ne leur restent qu’à débattre des formes de cette servitude, alors qu’ils s’épuisent par la sémantique à se définir individualistes et autonomes par souci de valorisation de leur puissance individuelle qu’ils cherchent à exercer sur la moindre des situations qui se présente à eux, tout en abandonnant les lieux où la réalité concentrée de cette puissance n’est exercée que par quelques-uns.
Tout simplement parce que la majorité des singularités des individus a délégué ou s’est démise de son «pourvoir », devant l’impossibilité d’exercer sa «puissance » sur les autres qui en disposent autant qu’eux-mêmes. Et le seul moyen de faire face à cette dichotomie s’appelle encore la fraternité.
Bien naturellement ces comportements se retrouvent dans la famille où les enfants attendent tout de celle-ci, tout en proclamant leur responsabilité et leur autonomie. C’est le résultat d’une autorité plus libérale exercé par les parents qui favorisent l’autonomie de leurs enfants au travers de choix de consommation et de l’argent de poche ; dans le même temps la famille leur reproche de vouloir n’en faire «qu’à leur tête » et de bousculer les repères de sociabilité, de convenances et d’atomiser la famille.
A ce stade l’on peut dire que la famille a été investie par le principe ambigu de l’individualisme et de l’autonomie qu’elle a voulue, et elle subit plus l’émancipation des enfants qu’elle ne la dirige ou les y prépare. Car si 68 a bousculé les archaïsmes et les tabous, la lutte idéologique qui a été perdue n’a pas su ou pu poser les bases d’une activité citoyenne apte à fournir d’autres repères que ceux du «marché ».
La famille est donc perméable aux intrants qui se véhiculent par les instances secondaires auxquelles chacun de ses membres participe de manière inégale et plus ou moins prégnante.
De ce fait nous nous trouvons devant une première dichotomie du raisonnement. Elle conduit les membres d’une famille à devoir faire coexister leur désir de constituer un groupe familial source de repères et de contraintes, et de disposer d’une existence autonome pour chacun de ses membres.
1 Note des auteurs.
On pourrait dire qu’en démocratie le pouvoir des citoyens c’est de transmettre le pouvoir de décision, par le suffrage, à un certain nombre d’entre eux (gouvernants). Ceux-ci seront de fait investis, revêtus de l’autorité à laquelle devront se soumettre les citoyens eux-mêmes durant une période renouvelable qu’ils se fixent aux travers de règles qu’ils se sont définis (constitution). Dans son article 2 du titre 1 la constitution est «gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». L’exercice du pouvoir individuel de fait s’ordonne au travers de leur participation dans des associations politiques dont le but est de regrouper les points de vue qui s’accordent pour élaborer un projet politique. L’obtention d’un suffrage majoritaire pour ce projet lui conférera, en tant que moyen, le pouvoir d’accéder à l’autorité et au commandement qui exigeront obéissance.
De fait aucun citoyen ne dispose de la réalité de son pouvoir en dehors du moment de l’expression du suffrage. Cependant il dispose du temps de la législature des gouvernants auxquels il le transmet pour le redéfinir, le conforter ou le contester au travers de «l’organisation associative » et de la liberté de penser et d’écrire. Dans ce cadre, l’Entreprise dispose du pouvoir d’autorité sur ses propres possessions (la propriété) que lui a reconnu le pouvoir des citoyens au travers des réglementations que ce même pouvoir édicte. L’autorité de l’entreprise issue du droit à la propriété s’étend aux individus qu’elle emploie, sans que ces derniers ne puissent jamais remettre en cause cette autorité de l’intérieur de l’entreprise. Nous avons donc une organisation démocratique qui déleste le citoyen de son pouvoir direct et une activité économique qui le soumet à son pouvoir absolutiste.
La Boétie en condamnant le pouvoir absolutiste de son époque disait : «les hommes peuvent nouer par le langage des relations égales et réciproques, mais un déficit dans l’échange de la parole leur substitue des relations de forces », et de dire également que lorsqu’un homme prend le pouvoir, il ne fait que recevoir ce dont les autres se démettent (discours sur la servitude volontaire). Pour Max Weber le pouvoir, qu’il appelle domination (Herrschaft), est la possibilité de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé. Il considère que la puissance suppose des capacités individuelles, sans signification sociale, que l’on veut faire triompher au sein d’une relation sociale contre toute résistance (économie et société, tome 1, chapitre1, paragraphe 16, Plon, 1971). La démocratie, par son pouvoir dont elle se démet donne à l’économie le moyen d’exercer sa puissance, parce que cette dernière rencontre chez les citoyens une obéissance prompte, automatique et schématique, en vertu d’une ou de dispositions législatives, réglementaires, coutumières ou historiques acquises ; termes par lesquels Weber définit la discipline, « nous appelons discipline la chance de rencontrer chez une multitude déterminable d’individus une obéissance prompte, automatique et schématique, en vertu d’une disposition acquise » (économie et société). La conséquence en est que le pouvoir démocratique dont les citoyens se démettent au profit des gouvernants, s’exerce durant la période de législature par ce qu’il est convenu d’appeler le «contre-pouvoir », sans entrer dans une analyse plus fine qui nécessiterait d’y distinguer le «contrepoids » au pouvoir. Si donc comme le souligne la Boétie, par le langage nous définissons la démocratie comme une délégation des pouvoirs du peuple vers des instances qui l’exerce en son nom, la réalité de son exercice participatif qui se joue dans un rapport de force, démontre que les citoyens s’en démettent au bénéfice d’un pouvoir autoritaire sous-jacent privilégié.
2 Notes des auteurs. Nous voulons rappeler que durant une longue période, avant leur accession au pouvoir et même durant la période qui a couru jusqu’en 1983/84, il était reproché aux parties politiques situé à gauche par les parties de droite, de ne pas savoir gérer les affaires publiques. Dans cette stratégie de lutte psychologique c’est le préjugé émis qui a prévalu. Ayant, en l’absence d’autres références de gestion socialisante crédible, géré suivant les critères d’une économie de droite (pour faire cour), et ainsi faire la démonstration de leur aptitude à gérer les affaires publiques. Ils n’ont bien évidemment pu qu’aboutir à une gestion d’une politique « de droite », annihilant de fait les avantages consentis à la classe qu’ils se voulaient représenter. Avantage qui dé lors ne peuvent que ressortir comme des acquis onéreux et privilégiés
3 Notes des auteurs. La solidarité repose sur un processus structuré stable d’ayants droit par cotisation ou par un système «redistributif » vers les moins fortunés. L’action caritative repose sur les dons aléatoires du bon vouloir de la charité affective ou/et valorisante. La solidarité résulte d’une action collective à laquelle s’astreignent les individus, la charité d’actions individuelles suivant le bon vouloir de chacun d’eux.
4 Note des auteurs. Comme suite aux sinistres causés par le mauvais temps dans le Gard, dans la Dépêche du Mardi 10 décembre 2002, on pouvait lire un article intitulé « Raffarin au chevet des sinistrés » : Le Premier ministre s’est rendu hier dans le Gard pour dresser le bilan des indemnisations et de la reconstruction. « Non, nous n’avons pas oublié, a-t-il affirmé. Et nous venons ici pour vérifier si la nouvelle ingénierie administrative a bien fonctionné »…etc. Depuis une période qui a débuté et s’est cristallisée entre 1987 et 1995 la défiance des français envers les politiques inopérantes de l’État et le discrédit qui rejaillit sur la classe politique poussent les divers responsables et hommes politiques à pratiquer un marketing de terrain et d’image proche des gens pour espérer être élu, à condition de dire que l’on va s’occuper de l’intérêt immédiat et quotidien de chacun. En retour si, quel que soit l’événement qui se produit, le politique ne formule pas sont avis ou ne se rend pas sur place, son taux de popularité baisse et la presse satirique se gausse ; la politique spectacle récompense le plus habile, celui qui aura été le plus proche du sentiment qu’ont les citoyens de leur réalité ou de leur choix thématique.
On peut poser aujourd’hui dans les sociétés dites modernes comme la notre que le sentiment de perte de valeurs traditionnelles de la famille se comprend plus facilement si l’on explore cette perception de «communauté de famille ».
Cette perception subsiste encore dans le conscient des individus, car la «communauté de famille » offrait une sécurisation du connu, une stabilité. Son amenuisement voire sa disparition a conduit les individus à rechercher cette sécurisation dans le rôle exclusif de l’État, cela, même quand il leur dénie cette aptitude.
Faut-il y voir un paradoxe entre la recherche de l’autonomie individuelle émancipatrice qui souscrit à une évolution de la pensée humaine intellectuelle et celle de la pensée idéologique libérale.
Pensée libérale idéologique dont le but est moins d’aboutir à un enracinement sociologique qu’à la satisfaction d’une recherche de la «toute puissance » par la possession de la richesse qu’offre l’organisation économique. Pensé libérale, qui en individualisant les hommes, les conduit dans la perception d’un isolement aux conséquences psychologiques certaines.
Cela parce que les êtres humains ne peuvent pas vivre sans liens affectifs, ni ne peuvent vivre sans percevoir ce que chacun nomme subjectivement ses «racines », ni sans identité, ce qui les poussent à se réorganiser sans cesse.
Or, la « communauté de famille » offrait cette identification d’appartenance, qui en s’urbanisant a abouti à définir de nouvelles classes sociales. La «communauté de famille » au sein de ces différentes classes sociales (celles de grandes ou de petites familles bourgeoises voire plus tard industrielles) incluait la notion de solidarité et d’entre aide avec toutes les contraintes, religieuses, familiales, professionnelles et discordes qui peuvent naître des relations humaines1. Cependant discordes ou tout simplement la concurrence professionnelle ou commerciale ne va pas jusqu’à la disparition de l’autre, car la disparition de l’un affaiblit l’ensemble de la classe dominante.
La «communauté de famille » a nourri aussi l’histoire du mouvement prolétaire, car notre histoire s’est bâti dans les cités urbaines, plus rarement dans les campagnes ; un monde rural qui semblait absorber toutes les difficultés, malgré les jacqueries, pour ne citer que la révolution des sans-culottes de 1793 ou coexistait une subversion urbaine bourgeoise et une jacquerie paysanne ; un monde rural qui a fourni la main-d’œuvre urbaine.
Cette notion de «communauté de famille » s’identifiait autour d’une sédentarisation rurale par une activité essentiellement agraire. Elle a coexisté avec une communauté villageoise dans laquelle chacun de ses membres avait un lien de parenté plus ou moins éloigné avec les autres membres. Si bien que lorsqu’un mariage subvenait avec une personne d’une autre contrée, il était courant d’entendre dire : «il ou elle a épousé un étranger ». Elle a coexisté également avec une communauté urbaine (cité) et se délimitait par ses quartiers sociaux et ses grandes «maisons de négoce », de petites familles commerces ou d’artisanat.
Bien évidemment cette «communauté de famille » s’amalgamait avec les divers types d’une famille (couple, nucléaire, élargie, de souche), en fonction du remembrement des sols cultivables dans le monde rural, de l’industrialisation de l’agriculture et de l’évolution du commerce et de l’industrie dans les citées urbaines. On comprend aisément sans de grandes explications, que la transition de la «communauté de famille » à la famille considérée sociologiquement seulement sous sa constitution nucléaire ne s’est pas effectué brutalement.
Un examen des statistiques est éloquent : en 1866 l’agriculture employait 47% de la population, l’industrie 25,7% et les services 27,3%. En 1946 l’agriculture concernait encore 38% de la population, l’industrie 28% et les services 34%. En 1980 l’agriculture avait chuté à 8,8% de la population et a poursuivi son déclin jusqu’à ne représenter que 4,2% en 1999, l’industrie opérait une remontée à 35, 9% qui ne se confirmerait pas pour revenir à un niveau égal à celui de 1866 en 1999 soit 24,9%. Par opposition, les services ont poursuivi une courbe ascendante passant à 55,3% de la population en 1980 et à 70,9% en 1999.
Il est facile d’y lire que l’évolution se situe après la deuxième guerre mondiale. De telle manière que dans la reconstruction, l’industrialisation a une part dans l’accélération de la «nucléarisation » de la famille souche (politique de reconstruction de l’habitat). Bien que celle-ci soit moins due à l’urbanisation qui lui était propre (la production de biens) puisque le personnel malgré les réorganisations industrielles est resté stable en pourcentage (1866, 25,7% / 1999 24,9%).
Cette part de l’industrialisation est moins due à sa production qu’aux développements des sciences, de la recherche, des technologies et de l’affirmation des espérances au travers de la violence (conflits) ou des besoins qui en ont découlé et qui ont conduit au développement de l’amélioration du cadre de vie pour engendrer de nouveaux services ou accroître ceux existants, dans un marché qui se mondialise sous l’affirmation de la puissance américaine.
D’une part, l’industrialisation des exploitations agricole a réduit le nombre de familles vivant sur ces dernières tout en amenuisant et faisant disparaître une économie informelle basée sur les services rendus au travers de la production potagère, de volailles, de prêts sur parole, de service de travail compensé, «je te fais tu me feras » ; et d’autre part par l’accroissement de la «tertiairisation », personnels de santé et administratif de gestion par exemple, développement des banques et assurances en tout genre. Services qui ont facilité la recherche d’un revenu de complément pour les ménages grâce au travail des femmes, en plus des raisons dues au dépeuplement de la main d’œuvre masculine lié aux guerres, mais également à cause d’un revenu direct insuffisant du «chef de famille » qui ne permettait pas d’obtenir un niveau de vie conforme à l’offre.
Ceci se comprend par l’augmentation de la consommation de masse liée à une action concomitante, de la technologie, de l’offre, de la demande favorisée par le crédit, par l’organisation d’intérêts de classe, corporatifs et idéologiques ; par une industrialisation productiviste à la recherche de réduction des coûts, et qui tout en enrichissant les individus, leur laissait un pouvoir d’achat jugé par eux toujours insuffisant, face à aux propositions de consommation de biens individuels renouvelables synonymes d’élévation et de valorisation sociale.
Services qui allaient envahir tous les secteurs d’activité et caractériser la société dite «post industrielle ». Société post industrielle qui favorise le développement du profit financier ne nécessitant directement aucune organisation «domestico-économique » (prise dans le sens, où la procréation a pour but de garantir une descendance, mais également des bras pour assurer les productions nécessaires).
De plus, la solidarité2 de la «classe ouvrière »3 se réduit de fait pour laisser la plus large part au statut d’employé structurellement isolé dans de petites unités plus disparates, en dehors de celles des grands corps de la fonction publique ou des assimilés comme tels (sécurité sociale) ou conférant un nouveau statut différencié.
De fait les services n’ont pas pu reconstituer une solidarité «mécanique ou organique »4 semblable à celle de la «classe ouvrière spécifique » dont elle voulait se démarquer par soucis d’élévation ou de valorisation sociale.
Durkheim défini deux systèmes de relations sociales comme suivent5.
Nature de la société |
individuation |
rapport de l’individu au groupe |
type de solidarité |
Ensemble organisé de croyances et de sentiments communs |
faible
|
direct
|
mécanique
|
système de fonctions spéciales unies par des rapports définis |
forte
|
indirect par l’intermédiaire de groupes spécialisés |
organique
|
Si l’on ajoute à cette évolution économique celle émancipatrice des mœurs réclamée par la contestation de la jeunesse de Mai 68 et le développement de la revendication féminine, dont la psychanalyse sur la féminité à permis et favorisé son émergence, nous aurons rassemblé semble-t-il, les ingrédients qui ont conduit à conforter la famille nucléaire en passant par la «nucléarisation » de la famille souche, pour tendre aujourd’hui vers une atomisation de la famille nucléaire.
Pour autant, cette perception de «communauté de famille » caractérisée par le travail agraire n’a pas totalement disparu et s’est d’abord recomposée et déplacée dans les quartiers des citées urbaines autour du travail industriel.
Cités urbaines dans lesquelles le sentiment de «communauté de famille » était moins perçu au travers de la filiation que par la condition sociale. Condition sociale qui est l’objet d’étude pour la sociologie, laquelle ne recherche plus aujourd’hui ce lien de «communauté de famille » car il s’est dilué dans la multitude d’activités et dans l’individualisation de l’habitat, dans la mixtion des populations migrantes, à moins d’en admettre son existence par l’endogamie et l’homogamie. De telle manière que ce qui caractérisait la «communauté de famille » par l’enracinement au sol et le lien de parenté s’est réalisé par la condition d’appartenance à une classe sociale dont on attendait la même sécurisation qu’offrait autrefois la «communauté de famille ».
Ainsi une partie de la population jusqu’aux années 1970-1975 a vécu dans un cadre subjectif de «communauté de famille », soit directement, soit recomposée.
1 Note des auteurs.
Nous pouvons naturellement opposer à la communauté rurale, la libération de la personne due à l’urbanisation, par rapport aux contraintes que faisaient peser sur elle les exigences sociales de la communauté.
2 Note des auteurs. Le mot solidarité utilisé par Durkheim n’a pas le sens commun que nous lui accordons d’aide ou d’entraide, pour lui il caractérise la nature des éléments et des liens constitutifs de la société.
3 Note des auteurs. Il est difficile de poser la notion de classe ouvrière dans une phrase sans apporter quelques précisions (même si nous devons faire court) et en ne l’appréhendant pas seulement dans son acception marxiste. La classe ouvrière est à la fois catégorie sociale en terme de rapport de l’activité sociale des individus dans une économie capitaliste, et également une entité concrète agissant comme un acteur social de son tout. Cette interdépendance ne peut être séparée, car le fait d’être une unité active issue d’un type de production capitaliste se reconnaissant sociologiquement comme catégorie a débouché sur une culture ouvrière. Sans en dérouler l’histoire cette classe sociologique n’était pas homogène et pouvait être différenciée par des paramètres de revenus, d’emplois, de types de consommation et d’idéologie politique. Dans le texte nous faisons allusion à la classe ouvrière participant à la production à l’aide d’outils ou de machines, par rapport aux employés et aux cadres assurant toutes les autres fonctions. La mensualisation des revenus à partir de 1975 a participé à l’abandon progressif de la référence à la notion de classe ouvrière, tout autant que l’évolution des technologies qui ont apporté l’utilisation d’outils et de machines dans le traitement des informations et de nouveaux métiers. Si bien que cette référence ne sert plus de distinction. Néanmoins la « classe ouvrière » sociologique demeure une permanence par sa situation dans un système technique et social de production industrielle ou post industrielle, tout autant que par son hétérogénéité en tant qu’unité active, même si nous ne l’appelons plus ainsi en parlant du salariat. Ce qui s’est transformé c’est la « culture ouvrière », par l’évolution du mode de vie auquel elle a participé par ses réussites et ses échecs et surtout en réclament son émancipation. Il appartient à chacun d’apprécier si cette émancipation correspondait aux désirs exprimés.
4 Note des auteurs. En s’appuyant sur le concept de solidarité mécanique et organique définie par Durkheim, nous pouvons l’extrapoler dans celui de la classe ouvrière. Cela en considérant que ce concept de classe ouvrière s’est développé, entraîné de manière mécanique par l’avènement du système de production capitaliste, pour évoluer d’une solidarité mécanique vers une solidarité organique, tel que le montre le tableau cité par la note 19. Car si Durkheim opère une distinction dans les solidarités pour pouvoir les distinguer, elles n’en demeurent pas moins toutes deux actives simultanément avec des influences qui s’opèrent durablement de manière inégale quand un événement nouveau prend corps ; de la même manière que dans notre cerveau le cortex est en relation permanente avec l’ensemble des autres structures du cerveau.
5 Philippe Steiner, La sociologie de Durkheim, édition La découverte, 1994, p 19.
Aujourd’hui le phénomène s’est inversé, c’est le monde rural qui veut ressembler à la cité urbaine dans son «impersonnalisation » et/ou sa variété. Par «impersonnalisation » il faut comprendre le désintérêt plus ou moins marqué pour et par l’existence de son voisin dû à une forme de croyance en un «culte de l’individu ». Culte de l’individu, car la société, présente aujourd’hui et, réduit l’individu à un être devant s’accaparer seulement toutes choses, avec lesquelles certes il va peaufiner sa singularité (personnalisation). Mais si cette singularité ne trouve pas les moyens de la reconnaissance, d’une identification collective différenciée, si personne ne peut s’y reconnaître, alors elle n’est qu’une «impersonnalisation », et il ne restera sur terre qu’un regroupement d’individus sans «âmes ».
Ceci conduit à une individuation faible, anomique, par le désir affiché de vivre le sentiment commun «d’un égoïsme ».
Également «culte de l’individu » incité et favorisé par des consommations de biens et de services individualisants qui malgré leur variété conduit à l’anonymat, car ils sont finalement communs à tous. Cette pseudo personnalisation, qui devrait être l’affirmation des capacités de l’individu tout en étant au service du groupe, mène en définitive également à une individuation faible, car elle n’est plus issue d’un sentiment émotionnel relationnel, mais induite par une démarche à finalité mercantile qui organise les émotions, en partant de la connaissance que nous avons d’elles.
Illusion d’un individualisme devrions-nous dire, car les individus possèdent et utilisent des biens et des services issus le plus souvent de productions de masse qui leur ôtent de fait cette originalité individuelle qu’ils recherchent. Raisonnement schizophrénique qui pousse chacun à rechercher une individualisation1 qui le déçoit dès qu’il la découvre chez les autres, tout en invitant les autres à souscrire à ses propres choix qu’il juge être les meilleurs, et pour lesquels l’adhésion du plus grand nombre lui apporte une certitude réconfortante. D’une certaine manière cela nous conduit à un ensemble de comportements stéréotypés débouchant sur une individuation2 faible, qui limite la source d’autonomie de pensée et d’action par une forme de «croyance dans la loi du marché » qui exerce sa répression uniformisante grâce à la consommation et nous amène à tendre, à pratiquer ce que Durkheim appelait une solidarité mécanique, avec l’image d’une solidarité organique.
Si bien que cette perception toujours présente, rassurante et sécurisante de «communauté de famille » est réclamée par les citoyens. Mais l’État, ancré dans une idéologie libérale, renvoie cette demande à l’initiative personnelle privée. De fait les individus se retournent vers la valeur refuge qu’est la famille et également les amis (dont les moyens sont inégaux), mais aussi vers ce qu’ils reconnaissent comme assurant leurs ressources : « l’Entreprise ».
De telle manière que nous assistons à la cohabitation paradoxale de choix politiques libéraux et d’une demande sociale sécurisante pour compenser l’isolement dans lequel la forme d’autonomie contrainte imposée par l’organisation libérale a plongé la famille. Il s’ensuit une dichotomie du raisonnement engendrée par la recherche d’un égoïsme valorisant et d’un lien familial affectif sécurisant et vital, propre à la «communauté de famille » organisée autour de l’activité économique.
Ce besoin organique s’exprime par la recherche d’une appartenance à un «corps » spécifique qui se manifeste par des symboles : tel la reconnaissance vestimentaire ou un mode de consommation qui n’ont plus rien à voir avec le phénomène de mode. Car ils relèvent de la recherche d’une identification d’appartenance à un groupe différencié, du besoin de recomposition d’un lien social en compensation de la quasi-disparition du groupe familial élargi ou de souche, et de son substitut représenté par un des rôles régulateurs de l’État qui est de proposer des projets communs, par la disparition de la conscience de classe. Il ne s’agit plus d’un comportement marginal original comme il en a toujours existé, mais d’une lutte contre l’isolement affectif par la poursuite de buts matériels, d’une course à l’activité en tout genre, d’un mode de vie, devant la disparition de projets idéologiques fédérateurs pourvoyeurs de débats.
Dans notre monde contemporain marqué par l’individualisme on aurait tendance à croire qu’il peut exister un Être capable de vivre seul, un Être sauvage qui n’aurait pas besoin de liens affectifs autres que la satisfaction de sa sexualité ; qui n’aurait pas besoin d’une reconnaissance sociale, ni de sentir le besoin d’appartenir à un groupe, d’être aimé. On aurait tendance à croire que nos sociétés modernes ne sont qu’un ajout d’individus égoïstes dont notre idéologie libérale actuelle veut absolument entretenir l’image en réunissant dans un fait social les individus pour qu’ils affirment qu’ils veulent vivre seuls au milieu des autres, ce qui donne une tendance à croire que le libéralisme consiste à faire les choses «comme chacun les sent ».
Il nous faut donc faire la distinction entre. D’une part l’acquisition individuelle des aptitudes à une capacité de compétence et d’initiative, non pas pour être autonome, mais pour s’inscrire dans l’activité d’un groupe au sein duquel il y a, ou devrait y avoir, une place pour chacun et duquel chacun recevra en retour la sécurisation sociale qui lui donnera le sentiment d’être Un et Autonome. Et d’autre part la croyance ou suggestion que l’on peut exister sans les Autres parce que l’on aura acquis une capacité d’autonomie individuelle.
Il nous faut également faire la distinction entre l’affection par la réalisation de sa sexualité qui se concrétise suivant le modèle en vigueur (le couple dans la société judéo-chrétienne), et les mœurs3 qui débouchent le cas échéant sur la pratique de relations sexuelles polygamiques non avouées (amant amante), et le besoin d’une affection plus large ; c’est à dire le besoin d’être aimé par tous les autres pour concrétiser le fait d’exister, d’être reconnu de ses semblables par ses œuvres. Objectif plus généralement atteint par le côtoiement inhérent à la vie sociale source de rencontres en dehors de la cellule familiale nucléaire. Autrement dit par la relation humaine, et la relation humaine implique de savoir « recevoir et donner ».
Si nous mentionnons en caractères gras ces deux mots et si nous les avons mis dans cet ordre ce n’est pas le fait du hasard. Ils sont si banals que l’on en oublie que nous existons parce que nous avons d’abord reçu un héritage et qu’il ne peut y avoir un développement organique si nous ne savons pas donner, qu’elles que soient les imperfections de cet échange.
D’une certaine manière donner une âme à notre communauté Humaine.
1 individualisation. Action d'individualiser ; son résultat. Fait de s'individualiser ; personnalisation.
Rendre individuel, distinct des autres par des caractères propres.
Se distinguer des autres en affirmant sa personnalité.
2 individuation. Philos. Ce qui distingue un individu d'un autre. Psychol. Processus par lequel la personnalité se différencie.
3 Note des auteurs. L’expression de la sexualité déborde toujours les voies institutionnelles d’où découlent les pratiques multiformes de l’érotisme, dont certaines pratiques sont transformées en dérégulation par la tyrannie de la règle, qui suscite le développement d’une exploitation financière (proxénétisme) et donne lieu à un art et une abondante littérature, un langage grivois de badinages et de plaisanteries, de chants et de danses que la société tolère voire encourage à ses limites. Débordement que la société conçoit dans le cadre de rapports privés librement consentis entre adultes, ou parfois institutionnalise par le « carnavalesque » à des moments précis et ritualisés.
Une analyse rapide des «communautés familiales » va nous permettre de mieux saisir tout cela au travers du groupe «domestico-économique » dont nous avons l’impression qu’il a totalement disparu sous sa forme archaïque dans nos sociétés modernes, seulement parce que la référence au sol n’existe plus.
L’auteur auquel nous nous sommes référés la définit comme suit : « La communauté familiale est une forme de la famille et de la propriété à la fois, souvent méconnue ou inconnue de ses membres parce qu’il la vivait ou la vivent « naturellement ». Les éléments constituants semblent pouvoir s’énoncer ainsi :
- communauté de sang des éléments mâles, cette communauté ne pouvant être remplacée qu’exceptionnellement par un autre lien, en général un travail de longue durée ;
- communauté de vie et de travail de l’ensemble de ses membres et assimilés ;
- communauté de propriétés, au moins des biens fonciers (ou assimilés : Bétail, par exemple, pour les non fixés au sol) et des instruments de travail : animaux et techniques nécessaires à la mise en valeur du bien foncier commun ;
- communauté d’autorité, au moins pour les actes de disposition portant sur le bien commun.
Il semble d’une part que ces quatre conditions représentent les éléments constituants la communauté familiale jouant le rôle de groupe «domestico-économique » et que, d’autre part, cette forme de propriété et de vie soit encore dans le tiers monde, mais majoritaire dans le monde humain ; les régions dans lesquelles elle a disparu ne dépassent guère, et peut-être pas totalement, les zones hautement industrialisées.
On voit par le simple énuméré de ces conditions d’existence ou de ces éléments constituants, qu’il ne s’agit pas de famille au sens Ouest européen du terme, et pas davantage d’un groupe qui n’aurait de fonction que domestique ; mais qu’il s’agit bien d’un groupe à la fois domestique et économique. La propriété est supposée admise en ligne directe ou collatérale, il faut une communauté de vie (repos repas) au moins dans le même enclos, d’un certain nombre de personnes ; une communauté de travail ; une communauté d’autorité, relative au bien commun et à ses dispositions concrètes, ainsi qu’aux devoirs majeurs de l’ensemble des membres vis à vis de la communauté et vis à vis des groupes extérieurs à la communauté »1.
L’auteur de cette analyse de la communauté familiale, au travers de la recherche de la compétence et l’autorité, conclu sur une remarque pertinente que l’on reprendra par la suite.
« Le remplacement du chef de la communauté, quel que soit son âge, par un autre membre doué de plus de compétence escomptée, est une des règles de la communauté, étant entendue que dans la pratique elle est rarement appliquée : mais il faut voir que la prééminence donnée à «l’ancien » vient de son expérience supposée et de ses qualités d’administrateur, et non pas d’une sacralisation de son âge. Qu’en réalité on rencontre une majorité d’anciens remplissant les fonctions de «maître » ; c’est une évidence, mais c’est là une question de fait et non de droit. Et ainsi, l’on sort de l’explication commune qui assimile le chef au paterfamilias.
La communauté peut-elle se constituer en ligne verticale : de l’aïeul au dernier de ses descendants directs, sans lignes collatérales ?
Où le caractère horizontal de la composition des communautés par la présence de lignes collatérales, est-il obligatoire ?
Les faits observés ainsi que la présence de termes désignant les deux formes, verticale et horizontale, de la communauté plaident en faveur de la possibilité d’existence d’une communauté verticale ; les faits d’enquêtes sont nombreux, la dualité des termes plus rare, mais la présence de « maison d’un seul », « maison d’une seule ligne » opposée à «maison non divisée », ou «famille de la descendance du père » opposée à «famille selon la parenté », plaiderait aussi en faveur de notre interprétation. Et ainsi on démystifie de nombreuses interprétations abusives du rôle du père ou de l’aïeul, là où l’influence romaine n’est pas de mise ou de celui du patriarche sacralisé ; du même coup on rétablit la réalité. On voit combien l’on est loin du concept commun de famille prise dans son sens ouest-européen, nucléaire, limité et sans perspective économique directe »2.
L’auteur s’interroge sur trois des possibilités de ces communautés familiales, la mort, la survie ou la généralité, et de poursuivre. « On admet communément la mort : phénomène moyenâgeux en ce qui concerne l’Europe, phénomène pré colonial en ce qui regarde le Tiers Monde ; phénomène en tout cas, dégénéré là où, Europe ou pays ex-colonisés, un chercheur méticuleux en découvrirait des traces ou quelques persistances »3.
Dans la recherche de l’existence de telles communautés l’auteur admet qu’une erreur était commise en recherchant des communautés «des temps passés » regroupant un nombre considérable de commensaux, parfois plusieurs centaines. La diminution du nombre de ses participants signifiait dépérissement de l’institution et donc sa mort, sans que les causes de cette réduction de la population de la communauté familiale pour des raisons multiples, ne serait-ce que celles liées à l’étendu de la terre à leur disposition, sous une forme ou une autre de tenure (fermage moderne). Cette évolution n’incitait pas à rechercher dans des communautés de moindre envergure le maintien des structures constituantes de communautés familiales verticales ou horizontales. Il souligne également qu’une autre erreur a été faite au moment des enquêtes qui observaient la confusion entre la dissolution de la communauté par un passage à une forme de famille conjugale et sa disparition brusque et totale si on soutient la notion de mutation sous l’influence de la civilisation industrielle. Erreur due au fait que ces observations ont été faites sans se soucier si d’autres communautés ne s’étaient pas reformées : assimilation de communautés familiales avec la communauté villageoise ; absence de la prise en compte des communautés familiales dans le droit positif. Il en déduit qu’il y a là autant de causes subjectives et objectives, de jugements erronés sur l’existence récente, voire actuelle, ou sur la disparition de la communauté familiale, dans telle partie de l’Europe ou dans le Tiers monde. « Autant de raisons théoriques de penser que la communauté familiale survit, ou en elle-même ou dans ses dérivés, au moins par ses influences, dans une grande partie de l’Europe et demeure un phénomène d’une généralité certaine et d’une existence réelle dans la plus grande partie du Tiers Monde »4.
L’intérêt de cette analyse de la communauté familiale ou communauté de famille ou communauté «domestico-économique », est de mettre en évidence une structure qui se compose de la relation du groupe familial de sang mâle (patrilinéaire), qui partage une communauté de vie, d’appartenance à une «maison » pour accomplir une activité économique. Tout ceci sous l’autorité du plus compétent qui bénéficie de la reconnaissance d’une capacité d’administrateur sanctionnée par une pratique que donne l’expérience de l’âge. Toutefois, l’appartenance à une «maison » reste ouverte à des assimilés, à des tiers par le travail.
Le groupe familial demeure propriétaire de «l’outil de travail » (en l’espèce le sol, ou le bétail et les outils et techniques qui vont avec).
Mais l’on peut aller un peu plus loin que le seul intérêt qu’indiquait l’auteur de cette analyse en énumérant les composantes de cette communauté familiale dont l’on vient de faire le récapitulatif de la structure. L’on peut essayer de regarder comment ce groupe familial «domestico-économique » dans lequel existait une forme «d’autogestion » s’est recomposé, dans l’esprit, au sein d’une société qui s’est industrialisé autour de grandes industries de production et aujourd’hui de groupes financiers et d’unités réduites diversifiées.
1 Sicard Émile, la Zagura sud-slave dans l’évolution du groupe domestique, Paris, 1944.
2 Ibid. p 13
3 Ibid. p 13
4 Ibid. p 13
Cette référence que nous faisons par rapport à la «communauté de famille » n’a pas pour objectif d’en rechercher actuellement son existence, ni de tout expliquer. L’on veut insister à travers elle, sur le besoin essentiel d’appartenance à des critères de reconnaissance qui fondent les groupes sociologiques sur la base d’une organisation familiale de fait et de droit.
Aujourd’hui nous pourrions les appeler des «communautés d’agrégats d’intérêts individuels » qui s’apprécient à partir du statut social individuel. Et ainsi croire que les liens d’affections, et le besoin d’être «aimé » auraient disparu parce que les «communautés de famille » types se seraient atomisées, serait une erreur.
Ils se manifestent de manière différente tout simplement.
Le lien qui caractérisait ce groupe familial, que l’auteur qualifie de domestico-économique, avec comme centre la famille porteuse de liens affectifs, semble être devenu du moins dans les zones industrialisées un lien «économico/domestique » avec comme centre le statut d’agent économique régit par l’intérêt sans lien affectif apparent.
Prenons l’exemple des anciennes houillères. L’entreprise capitaliste paternaliste ne peut compter sur ses seuls membres de parenté pour l’exploitation de la mine et recrute donc du personnel. Lequel, parfois sur des générations de famille, ne vit plus (repas et repos) au rythme du groupe familial de type domestico-économique orchestré par l’activité agraire, mais par celui de l’organisation du groupe de production industriel. Si le lien familial «domestico-économique » se trouve éclaté du fait du phénomène d‘urbanisation, cela tient également au fait que nous ne comptabilisons la lignée que par le lien patrilinéaire et ne tenons plus compte des liens collatéraux. Le lien «domestico-économique » se reconstitue néanmoins partiellement en unités plus réduites, cela surtout quand il bénéficie d’un élément de durée et de permanence favorisé par la sédentarisation de l’activité industrielle. Le lien affectif d’appartenance familiale est toujours celui de «domestique » mais quelque peu différencié car il n’est plus direct. La famille sait pouvoir espérer que ses enfants seront employés par le groupe industriel, et le groupe sait pouvoir compter sur une main d’œuvre future. Cette reconnaissance d’une appartenance à une «famille de production spécifique » ne se fait plus par référence à une «maison » mais à un emploi : « nous sommes mineurs de père en fils ». Et la maison des commensaux, les hameaux de communautés agraires deviennent des cités ouvrières. La condition d’appartenance n’est plus familiale mais sociale. Car comme l’admet l’auteur, la communauté peut s’élargir par assimilation grâce à un travail fourni sur une longue durée. Et ce qui n’était qu’exception devient le lien communautaire qui se substitue au lien familial. Les familles, ainsi rattachées par un ou plusieurs de ses membres employés par le groupe de production, attendent de lui une situation rassurante et sécurisante.
Cette recherche conduira à l’élaboration de nouveaux groupements d’intérêts de classes sociales (corporatistes ou idéologiques) qui donneront naissance à des institutions de solidarité et d’entre aide, des revendications de participation aux décisions, d’intéressement aux bénéfices, qui rechercheront en fait ce qu’offraient les communautés de famille agraire.
C’est tout ceci que viendra conforter la loi sur la sécurité sociale, les mutuelles, les conventions collectives, le code du travail avec la caractéristique du contrat à durée indéterminée, contrat qui peut être regardé comme un lien de «sang » ou d’assimiler par le travail de longue durée.
La comparaison est osée, car pour définir nos notions de familles qui se concrétise par le fait et le droit nous attribuons à ce lien le caractère symbolique de lien de «sang » qui est présenté ou estimé comme une force de liaison biologique indissoluble innée, alors qu’elle n’est dans ce cas que structurelle.
Aujourd’hui il est encore courant d’entendre du personnel exprimer ce sentiment de «communauté familiale » dans leur colère d’être rejeté par un plan social au bout de X années. Colère qui traduit parfaitement ce sentiment d’avoir appartenu à une «famille nourricière » et d’en être écarté. Si l’on considère les conditions très dures de travail «l’exploitation » de la force de travail obligé de lutter pour obtenir quelques progrès, on pourrait être tenté de voir dans le sentiment de ces ouvriers et ouvrières, une espèce de syndrome de Stockholm industriel.
L’entreprise qui n’est pas ignorante de ce phénomène le cultive au travers de l’esprit d’entreprise.
Si l’on recherche une communauté de vie et de travail, l’on ne peut pas y trouver naturellement une vie communautaire au sens de la «communauté de famille », mais l’on peut en trouver une au travers des rythmes qu’impose l’activité industrielle par l’organisation des heures de travail et de repos. De plus l’activité sociale de cette communauté économique développé par le paternalisme patronal a ensuite été élargie et confiée, par la loi, aux comités d’entreprises, auxquels il a été également donné une obligation d’information et de consultation économique relative au «bien commun », représentant la communauté d’autorité, avant de se compléter par une participation consultative dans les conseils d’administrations, et une participation directe aux bénéfices, actionnariat et autres, représentant la communauté de propriété.
Aujourd’hui le dirigeant paterfamilias est chose rare. On rencontre toujours le plus âgé conforté par son expérience, mais surtout la compétence universitaire ou technocratique comme règle de capacité d’administration, même si le cousinage ne peut pas être écarté.
Ainsi sans le savoir, dans certaines branches professionnelles, en fonction de leur effectif, la demande salariale a reconstitué dans l’esprit, comme nous venons de l’expliquer ci-dessus, la «communauté de famille » recomposée, mais nous pouvons n’y voir comme nous le faisons par une approche statistique et systémique dépourvue d’analyse d’affects, qu’une organisation structurale.
Et comme Émile Sicard concluait, « on voit combien l’on est loin du concept commun de famille prise dans son sens ouest-européen, nucléaire, limité et sans perspective économique directe ».
Mais comme nous l’avons vu au travers des statistiques citées plus haut la population des salariés s’est déplacée de l’activité agraire vers une activité de services, la population industrielle restant stable en pourcentage. De la même manière que les «communautés de famille » ont subi un déclin en fonction de la réduction de la superficie des exploitations, la taille des sociétés industrielles ou de services ne sont pas toutes capables de reconstituer ou recomposer dans leurs structures ce sentiment de communauté sociale de classe qui s'est construit à l’heure des grands groupes industriels (particulièrement la branche de la métallurgie). Dans beaucoup d’entre elles, la relation avec l’entreprise, l’artisan ou le commerçant est plus de nature de la «famille nucléaire » que de celle de la «communauté de famille ». Si bien que la «normalité » a tendance à vouloir s’illustrer au travers de petites unités. (Voir s’il est possible d’avoir une stat sur la taille des entreprises)
Dés lors elles ne se reconnaissent pas dans les mesures de solidarité et d’entre aide, y compris la lutte de classe et syndicale, offrant assurance et sécurisation, et ainsi ces mesures apparaissent comme des privilèges, comme des freins au développement d’une concurrence ultra libérale.
D’une certaine manière un état d’esprit s’est retourné. Il fut un temps ou les salariés recherchaient les avantages et la sécurisation qu’offraient les grands groupes ou institutions.
Maintenant ces derniers sont montrés du doigt comme sièges de privilégiés qui ne se sont pas soumis à la rigueur, aux mesures drastiques qu’exige le marché, et ceux qui n’en bénéficient pas espèrent leur remise en cause. Si bien que ceux même qui contestent ces »privilèges » espèrent individuellement de meilleures situations, et faute d’oser s’associer à un «groupe ou une famille d’intérêt corporatiste » s’en remettent à l’action de l’État qui lui-même préconise des mesures de rigueur drastiques.
Cela ne se trouve pas dans les statistiques parce que nous ne le cherchons pas, parce que nous ne posons pas la question qui le ferait apparaître.
Et même la poserions-nous, la honte d’être lâche, pleutre et servile nous la ferait éluder.
La transition est d’ordre psychologique et simple : « j’envie à espérer mieux et si je ne peux l’obtenir, alors je souhaite intérieurement que les autres partagent ma frustration ». Car les hommes qui sont «lâche1 », faute d’avoir la clairvoyance de le percevoir et se l’avouer ne trouveront jamais le courage de lutter contre les servitudes tyranniques qui les accablent. Pire ils chercheront en quoi ils peuvent se justifier d’en être solidaire.
Aujourd’hui qui n’a pas dit : « il n’est pas normal que les personnels de la fonction publique aient la sécurité de l’emploi ».
Mais si vous demandiez à ces mêmes personnes si elles veulent que les agents de la fonction publique deviennent chômeurs, elles vous diraient non. Nous savons bien que la réponse ne tient qu’à la formulation de la question.
Aujourd’hui par l’atomisation des unités productions «l’esprit de communauté de famille » a quasiment disparu sauf dans de grands groupes, de grandes institutions. Pourtant la recherche d’une autonomie, entretien et conforte l’idée que les hommes ne sont liés que par des liens d’intérêts, et que les liens affectifs sont bannis de l’activité économique, alors qu’il n’y a pas d’économie qui ne dépende fortement du jeu de facteurs humains.
La recherche de l’autonomie entretient de la sorte un isolement social par peur des Uns d’aller vers les Autres, sauf au travers de tous les symboles sociaux qui les compense2. Elle est devenue symbole d’indépendance, et elle se confond avec l’individualité égoïste confortée par une idéologie libérale, par une évolution technologique, une évolution éducative scolaire, et une évolution des mœurs. Malheureusement aujourd’hui la seule «communauté de famille » la plus marquée est celle des exclus.
Une jubilation malsaine due au couple « domestico-économique ».
Pour revenir sur la «communauté de famille » c’est comme si ceux qui n’y appartenaient pas avaient dit dans leur temps, qu’il fallait supprimer les «communautés de famille » parce qu’elles offraient affection et sécurisation, et qu’il n’était pas normal qu’elles ne vivent pas dans l’isolement et «l’insécurisation » qui sont les nôtres.
Nous vivons presque dans une sorte de jubilation malsaine du désarroi des autres, lesquels, faute d’une solidarité d’intérêts communs, aspireront les mieux nanti vers leur sort. Il n’est pas politiquement correct dans notre grand mensonge social de soulever dans des analyses sociologiques l’impact de ce comportement psychologique car il n’est pas flatteur. Nous préférons le laisser dans l’intimité des cabinets de psychiatre ou le résumer par un dicton populaire : le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Ainsi au travers de cette analyse de la communauté de famille, on peut faire une approche sociologique différente de celle qui se fait traditionnellement. On peut se rendre compte que le besoin d’appartenance à une «maison » à un «groupe » est toujours existant car il est une perception restreinte et directe du vécu. De son vécu que l’instruction ou l’éducation peut élargir. Et il est difficile de dissocier l’activité domestique et économique au travers de cette comparaison. Nous pouvons dire que l’activité économique que nous avons classée dans les intrants secondaires joue un rôle de premier plan dans l’activité «domestique », dans la famille, si bien que les valeurs organisationnelles qu’elle véhicule y entrent et en ressortent sociétales.
Généralement, le fait urbain est aujourd’hui le fait social, car la civilisation s’est toujours définie par rapport au phénomène d’urbanisation3 (ne parlons nous pas du Parisianisme), car il nécessite une concentration des hommes comme condition du progrès des sciences, des arts, de l’organisation économique et politique, dont la diversification se série par nature et fonction, donnant des branches professionnelles dans lesquelles se constituent les réussites sociales.
Cette réussite sociale est ouverte à tous sans distinction. Cependant si les hommes sont égaux en droit, les faits ne le confirment pas toujours. Les études sur l’accès aux fonctions assurant prestige, richesse et pouvoir se caractérisent par une sorte de règle des deux tiers, entre 60 et 75% selon les domaines. Une proportion des deux tiers des hommes éminents ou des dirigeants proviennent d’une partie restreinte de la population et constituent la classe supérieure, tandis qu’un dixième environ proviennent du milieu ouvrier, employé et paysan, qui représentent les deux tiers de la population et un quart de la «classe moyenne ». Les raisons de cette persistance ne sont pas dues au hasard, mais au passage d’une génération à l’autre au sein du groupe professionnel auquel elles appartiennent. De telle manière que le mariage n’est pas non plus dû au hasard et que les conjoints se choisissent dans une similitude de cadre de vie, si bien que l’homogamie demeure dans la société actuelle. Même si l’élévation du niveau des compétences s’est accrue, en même temps que celui des postes de commandement qui se sont multipliés, offrant plus de possibilités de franchir un niveau social. Chacun trouve les raisons de cette persistance au sein de sa famille où l’enfant apprend les normes de conduite qui dirigeront en partie son existence, mais aussi celles de sa «famille économique ». Partant de là nous opérons donc un retour vers la «communauté familiale », la communauté «domestico-économique ».
Si le phénomène n’est pas très perceptible c’est qu’il se déroule dans une activité post industrielle dans laquelle les progrès de la technologie et leur mise en œuvre donnent naissance à une prolifération de nouveaux métiers ou de nouvelles activités, dont la sérialisation se met progressivement en place et ne constituent pas des métiers ou professions qui se transmettent au sein de la famille, mais plus par une sélection de l’éducation scolaire. Pour la plupart des métiers ou professions qui ne sont pas classés dans ceux conduisant à la réussite sociale, les chances pour un enfant de garder un emploi similaire à ses parents s’amenuisent, car les probabilités de la mobilité sociale et professionnelle sont trop nombreuses, les groupes sociaux sont plus divers, les modes de comportement, de consommation, de production sont plus changeants. Si bien que la société évolue rapidement d’une génération à l’autre, et que cette mobilité demande aux individus une capacité d’adaptation qu’ils ne peuvent emprunter à la génération précédente. Il y a une inversion de l’apprentissage entre générations, par exemple aujourd’hui ce sont les enfants et les petits-enfants qui enseignent les nouvelles techniques à leurs ascendants (informatique, téléphone portable etc.) Ceci exige d’eux une autonomie qu’ils ne peuvent trouver que dans un besoin de plus de savoir, de formation, «d’école ». Toutefois l’école ne constitue pas un lien d’appartenance (sauf pour les enseignants), une substitution de «communauté famille ou de communauté familiale sociale ». Ainsi chacun erre et recompose ce besoin au travers de diverses demandes d’autonomie, de demande de spécificité linguistique, de reconstitution passéiste, de transports extatiques, de reconnaissance communautaire, de religiosité, de consommation ; et faute de mieux chacun s’isole dans ses territoires de reconnaissances.
Il serait donc illusoire de croire qu’une organisation type de la famille idéale existe ou existera, cela n’enlève rien à la nécessité de former des couples qui décident de partager leur affectivité sur la base d’un principe de longue durée, qui sera forcément fait de frustrations qu’ils seront le mieux à même de surmonter s’ils ont reçu durant leur enfance une éducation sociologique sur la structure principale qui organise notre communauté et nous donne une première identité.
La famille communauté d’agrégats.
Nous avons dit que pour sortir de la «famille tribale » une diversité d’organisations familiales s’est constituée sur la base de valeurs structurantes, et suivant la rétribution de l’activité économique et son site géographique. Elle s’est composée plus ou moins largement, jusqu’à une tendance à s’atomiser de nos jours, tout en ayant chaque fois donnée une réponse plus ou moins heureuse à l’exigence de vivre et composer ensemble. Ce qui se perd donc aujourd’hui, c’est moins une structure qu’un lieu d’apprentissage de la fraternité, pour retenir un terme républicain, car c’est au sein de la famille que se développe son atomisation actuelle. Cela parce qu’elle n’est plus une «communauté de famille » même éclatée ou recomposée, où se développe la socialisation, mais une «communauté d’agrégats d’intérêts individuels ». Et si les statistiques nous soulignent que la famille est toujours une valeur sûre, c’est plus comme «bouée de sauvetage » devant la «démission » socialisante des instances politiques qui est en rétroaction celle de ses électeurs. « Démission » nécessite d’être mis entre guillemets car elle peut résulter d’un choix conscient ou induit. Devant une idéologie libérale qui se fait le chantre du bonheur des individus, comme toute idéologie, elle sélectionne ceux qu’elle reconnaît comme siens. Dans cette complexité, l’analyse de la structure systémique est aussi importante que l’analyse affective et le plus difficile dans un débat sémantique demeure de faire ressortir que chacun participe à ce dont il se plaint, car il pense que c’est toujours dû à l’autre. Car il n’est pas nécessaire pour vivre qu’il sache que l’Autre est son « miroir ».
Comme nous l’avons vu au travers de ce rapide et incomplet parcours de l’évolution de la famille, nous avons mis l’accent sur les incidences de l’activité économique et du besoin humain de se regrouper «affectivement » qui conduisent au sein de la famille multiforme à la socialisation. Pourtant la relation, entre la structure de la famille, qui est la conséquence de l’affectivité en rétroaction, et l’homme, subit les influences de ce que l’Homme pense être lui-même dans les autres instances où il agit. De fait lorsqu’une instance faillit ou est insuffisante une autre ou d’autres s’y substituent. Ce passage se fait au travers du rôle d’une instance que nous avons qualifiée de primaire, l’école. Et toutes ces instances se bâtissent dans un «pot commun » qui est la circulation de «l’information » que chacun sélectionne en fonction d’une stratégie d’acteur, comme nous, nous avons sélectionné l’idée d’examiner «l’autonomie contrainte ». Et aujourd’hui ou «l’école » supplée l’insuffisance des individus et de la famille son rôle est primordial dans le traitement des «informations » conditionnant la vie des individus, celle des autres, du monde, et la créativité.
Le fait d’avoir pris la «communauté de famille » comme source d’étude comparée ne nous fait pas oublier que l’urbanisation liée au progrès, a soustrait l’individu aux contraintes des communautés rurales qui réglaient aussi bien sa vie sociale, religieuse, familiale que professionnelle. Mais il est aussi juste de dire que les communautés rurales ne se transmettaient qu’une culture normative réalisée dans les cités instruites et non dans les campagnes ignorantes qui se sont toutes faites «coloniser et convertir » et que ce n’est pas sa structure qui en est à l’origine, même si elle s’en est faite ensuite la garante. Car souvent il est reproché aux «communautés de familles » d’avoir «asservi » ses membres que l’urbanisation aurait libérés. Aussi si l’urbanisation industrielle et technologique à favorisé l’autonomie de l’individu et a permis la «libération » de la personne, faut-il encore que cette libération ne soit pas une illusion et pour se faire, il faut qu’elle soit capable de constituer une communauté socio-économique et non une communauté économico/sociale, pour que l’autonomie individuelle soit créatrice de fraternité et de cohésion, et non productrice de peurs et d’indifférence. Pour ce faire, l’évolution que voudront donner les Hommes à la famille et son complément l’école aura toute leur importance.
Nous avons mis le mot entre guillemet, car il s’agit d’une valeur culturelle qui ne vise que la situation envisagée. Ceci parce que la peur, qualifié parfois de lâcheté à tort ou raison, est l’un des principaux processus, naturel ou inné, clé du conditionnement humain, largement utilisé pour asservir les masses ou les ordonner, suivant le point de vu de l’observateur.
2 Pour la prise en compte de l’idéal dans la conception que se fait Durkheim des rapports entre l’individu et le groupe, il avance l’idée que « la sociologie doit prendre en compte la tension qui existe entre les deux pôles théoriques que sont l’individu d’un côté, le groupe social de l’autre : en même temps qu’elle est transcendante, par rapport à nous, la société nous est immanente et nous la sentons comme telle. En même temps qu’elle nous dépasse, elle nous est intérieure, puisqu’elle ne peut vivre qu’en nous et par nous. Ou elle est plutôt nous-mêmes, en un sens, et la meilleure partie de nous-mêmes, puisque l’homme n’est un homme que dans la mesure où il est civilisé ». (1906, in Durkheim, 1924, 78-79). Cette relation dialectique entre individu et le groupe passe alors essentiellement par l’intermédiaire des symboles grâce auxquels la vie sociale produit de l’idéal.
Philippe Steiner, La sociologie de Durkheim. 1998, p93.
Note des auteurs. Ceci implique que même dans une analyse comparée impliquant des individus, il ne peut être écarté ni les affects ni les systèmes éducatifs conduisant à ce que nous considérons être un homme civilisé.
3 D’urbain : Propre à la ville, et l’on peut retenir que l’organisation nécessaire découlant de toutes concentrations humaine génère des comportements « sériables » et « référençables » que favorise la sédentarisation au tour d’une urbanisation.
L’éducation au travers de l’école possède également une historicité. L’école n’est pas apparue spontanément, elle a émergé du rôle éducateur de la famille, lorsque l’acquisition de savoir-faire plus complexe et de modes de relations plus élaborés ont nécessité d’avoir recours à des institutions éducatives : confréries de classes d’âge, périodes d’initiations sous la direction d’hommes spécialisés dans un lieu donné. Tout autant que la division du travail, l’éducation comme fonction différenciée commence là. C’est avec la division du travail que se développe la fonction éducative, car il est arrivé un seuil où, ni la famille, ni les groupes indifférenciés ne peuvent se transmettre directement tout le savoir-faire devenu trop complexe pour être partagé par tous.
Dans n’importe laquelle des sociétés considérées, l’école a été d’abord conçue pour une minorité de personnes, telle l’école hellénistique pour les lettrés, écoles romaines pour Patriciens et certains plébéiens libres, écoles monastiques. En Europe, Émile Durkheim situe à l’époque carolingienne le début de la création d’un réseau d’écoles, dont leurs fonctions sont de former de futurs prêtres, et de futurs fonctionnaires. Philippe Ariès (historien français) rapporte plus tard l’existence de petites écoles, pour les moins misérables, et d’universités dont les riches avaient des chances de faire partie. Ce sont de ces universités que naîtront peu à peu les collèges, préfiguration de l’enseignement secondaire. D’abords parallèles à l’université, ils y préparèrent. En France, du XVI ième au XVIII ième siècles, les collèges devinrent plus prospères que les universités, et constituèrent une forme d’éducation dont nous avons directement héritée. Une stratification sociologique de l’enseignement, indépendante et séparée, se développe, et se rapproche d’un système scolaire sans qu’il soit pour autant unifié, de telle manière qu’un enfant ne passe qu’exceptionnellement d’un type d’école à l’autre.
L’éducation sort des « salons » élitiste.
Comenius, (nom latin de Jan Amos Komensky) humaniste tchèque et évêque des frères moraves préconisa vers le milieu du XVII ième siècle une école commune à tous, garçons et filles, mais surtout enfants de toutes conditions. On y décèlera, contre toutes idées reçues, qu’ils sont capables de suivre un enseignement à des divers degrés scolaires. Ce sera le départ de la première conception d’un système scolaire. 1
En France, la Législative puis la Convention reprendront l’idée d’école de base, et viseront l’institution d’une «instruction publique » (notamment dans le but d’unifier une langue du français). Et puis, dans l’esprit de tous, l’acquisition du français était devenue une des formes de l’égalité, et l’unification linguistique une affaire nationale. Condorcet considère «l’égalité de fait » comme la visée de l’art social qui se constitue et ne peut être atteint, selon lui, que progressivement par l’instruction. Ce n’est que plus tard au cours du XIX ième siècle, que l’école élémentaire se réalise en France, 1866 ligue de l’enseignement ; 1881-82 scolarité obligatoire et gratuité ; en 1883 obligation faite aux communes de posséder une école.
Émile Durkheim quant à lui définit le rôle de l’éducation scolaire, comme destiné à « susciter et développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclame de lui la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné »2. En toute hypothèse l’action de l’école comporte une socialisation morale, technique et intellectuelle, qui conduit l’enfant à devenir, en tant qu’adulte, un « honnête homme ». Il est imprégné d’une façon d’être, une façon d’être qui paraît immuable.
Mais l’accent mis sur la croissance économique, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, a considérablement investi le système éducatif à partir des années 1960, d’une part pour le rationaliser par des techniques de gestion et d’analyses issues de l’économie, et d’autre part pour répondre à la compétitivité des compétences professionnelles exigées par les modes de gestion et de production. Ces compétences doivent être de plus en plus affinées et élevées pour se maintenir à un niveau de performance compatible avec l’évolution des besoins du marché et être en mesure de systématiser les nouvelles technologies issues de la recherche. Ce n’est pas sans débat passionné (Mai 68), sans de multiples lois, sans permanence des inégalités (la démocratisation de l’éducation a seulement déplacé les inégalités vers le haut), sans erreur d’orientations (apprentissage) que le processus de rationalisation a poursuivi cet objectif de mise en adéquation de l’éducation avec l’économie qui est éminemment politique. Ce choix s’oppose peut être à d’autres missions plus sociologiques qui devraient fournir aux individus des repères culturels pour se mouvoir dans une évolution plus rapide que celle des siècles antérieurs de notre monde, sans que la référence de l’analyse politique soit les guignols de l’info, (ce qui ne préjuge pas de la qualité contestée ou non de cette émission). Ainsi la mission qui demeure attachée à l’éducation, quelle que soit l’anticipation à laquelle ses analystes se livrent, ne peut précéder l’événement, elle ne prépare qu’à ceux qui sont connus, elle s’ajuste à ceux qui se déroulent, et elle développe les choix qui lui sont politiquement assignés. Aussi les « sciences de l’éducation » sont soumises au débat de savoir si elles doivent se limiter à préparer à tel ou tel moment d’un processus d’acquisition ou si elles doivent aussi éclairer sur la philosophie de la vie. La réponse n’est pas facile. On peut considérer que c’est un domaine réservé aux individus que d’élaborer leur propre opinion, mais comme ils la tiennent aussi de l’apport du système éducatif, sans doute vaudrait-il mieux qu’ils soient instruits de ce que les sciences humaines ont permis de comprendre de la vie. Mais partant de là nous nous retrouvons avec le dilemme de Condorcet dans le texte qu’il présenta au début de 1792 à propos des écoles primaire : « On pourrait me reprocher d’avoir trop resserré les limites de l’instruction destinée à la généralité des citoyens ; mais (….) le petit nombre d’années que les enfants des familles pauvres peuvent donner à l’étude nous a forcé à resserrer cette première instruction dans des bornes étroites ; il sera facile de les reculer lorsque l’amélioration de l’état du peuple, la distribution plus égale des fortunes, suite nécessaire des bonnes lois (…) en auront amené le moment »3. Si l’éducation s’est acquittée de ses missions professionnelles, il en va tout autre de la formation du citoyen aux sciences humaines, de telle manière que le système éducatif devra apporter une réponse au commerce de l’information. D’autant plus qu’il se développe par Internet et qui va être un concurrent direct en tant que système « éducatif » parallèle dont on peut nourrir de fructueuses espérances, mais qui n’est pas contrôlable et sera bien évidemment un moyen de diffusion de propagandes en tout genre. Et comme aujourd’hui faute d’avoir accès aux sciences politiques4, les jeunes s’inspirent aussi des guignols de l’info pour affiner leur opinion politique, d’autres trouveront la leur dans les pages d’Internet, sur lequel nous trouveront certainement toutes les grandeurs de nos créations, mais aussi toute la tyrannie de notre espèce. Et dans les choix qui devront être fait, celui du commerce idéologique auquel nous avons préparé nos esprits l’emportera sur celui de la philosophie.
1 Note des auteurs.
L’éducation peut être analysée comme un système d’enseignement s’accommodant d’une organisation de « production ». Celle-ci se fixe des objectifs qui caractérisent la politique d’éducation en faisant une place variable aux différentes finalités de l’éducation : culturelle, pour transmettre des connaissances de comportement par lesquels une société reconnaît en elle un homme civilisé ; sociale, par intégration de tous dans le corps social grâce à l’uniformisation des valeurs morales, des connaissances générale, des catégories intellectuelles ; professionnelle, en préparant les individus à la vie active. Le système reçoit en entrée des élèves, et avec les moyens matériels, financiers et humains, il doit par le processus éducatif avoir atteint les objectifs qu’il s’est donné lorsque les élèves quittent le système et il doit s’assurer par contrôle de la valeur des acquis.
2 Philippe Steiner, La sociologie de Durkheim, édition la Découverte, 1998, p 94.
3 G. Duveau, La Pensée ouvrière sur l’éducation pendant la seconde république et le second empire, Domat-Montchrétien, paris, 1948.
4 Notes des auteurs. « En 1663, Colbert fonda l’Académie des inscriptions. Chargée au départ des inscriptions sur les monuments publics, elle devint un «temple de l’érudition» qui favorisa la naissance de nombreuses disciplines, axées sur le passé (numismatique, archéologie, épigraphie, études médiévales...) mais aussi sur l’orientalisme.
agressif des sciences créée en décembre 1666, également sous l’égide de Colbert, était le fruit d’une nouvelle sociabilité savante et d’une volonté de l’État d’assurer un patronage plus constant que le bon vouloir des mécènes sur des activités dont les conséquences pour la richesse du pays devenaient toujours plus évidentes ».
Au lieu des mécènes, aujourd’hui nous dirions des marques commerciales comme en Amérique, ou des lobbying économiques, ou du sponsoring (parrainage)qui fait plus jeune et désintéressé, subventionnent sous certaines conditions des programmes éducatifs.
« Quant à la naissance des Académies artistiques (de peinture et de sculpture en 1648, de musique en 1669, d’architecture en 1671), elle témoignait aussi bien de la volonté d’émancipation et de reconnaissance des artistes que de celle des souverains de s’assurer le prestige de leur production.
Ces Académies rassemblèrent les meilleurs esprits, les créateurs les plus brillants, les inventeurs les plus prestigieux. Mais la Révolution, dans sa volonté novatrice, voulut faire disparaître tous les témoignages de la royauté – dont les Académies étaient aussi l’incarnation. Le 8 août 1793, l’abbé Grégoire obtint leur suppression. Mais, aussitôt détruites, elles ressuscitèrent, tant le besoin de corps savants se faisait sentir et, le 25 octobre 1795, la Convention finissante adopta un rapport de Pierre Claude François Daunou : «Nous avons emprunté de Talleyrand et de Condorcet un plan de l’Institut national. Idée grande et majestueuse dont l’exécution doit effacer en splendeur toutes les académies des rois comme les destinées de la France républicaine effacent les plus brillantes époques de la France monarchique.» À une société fondée sur la naissance devait succéder une société du mérite.
La grande nouveauté tenait à la création de trois classes (sciences physiques et mathématiques, sciences politiques et morales, littérature et beaux-arts) qui siégeaient en commun. Cette pluridisciplinarité laissa rapidement apparaître ses faiblesses pratiques et le Premier consul Napoléon Bonaparte donna plus de latitude aux différentes composantes de l’Institut, en supprimant à cette occasion les sciences politiques et morales, corps réputé trop critique. Il restait quatre classes : sciences physiques et sciences mathématiques, langue et littérature française, histoire et littérature ancienne, beaux-arts.
Avec la Restauration, une vague d’épuration accompagna le rétablissement des Académies sous leur nom primitif, le 21 mars 1816. Il fallut attendre le 26 octobre 1832 pour que renaisse la cinquième d’entre elles; Guizot en expliquait ainsi les raisons à Louis-Philippe : «Les sciences morales et politiques [...] influent directement parmi nous sur le sort de la société, elles modifient rapidement les lois et les mœurs. On peut dire que, depuis un demi-siècle, elles ont joué un rôle dans notre histoire. C’est qu’elles ont acquis pour la première fois ce qui leur avait toujours manqué, un caractère scientifique.» Cette cinquième Académie était bien la fille du libéralisme. Désormais, l’Institut (royal) de France avait la forme qu’il a conservée jusqu’à nos jours avec ses cinq Académies. Résumé de Marès Antoine directeur du Cefres (centre français de recherche en sciences sociales.
Ainsi comme Condorcet, nous avons resserré notre système éducatif dans des limites destinées à la généralité des enfants des citoyens, mais le nombre d’années que le système accepte de consacrer à l’instruction de ses enfants ne permet plus, par la nécessité d’entrer dans la vie active de distribuer à tout le peuple une éducation égale en quantité et qualité, avec l’apparence que cette limite n’est plus due seulement à la fortune des familles, mais à la quantité de savoirs disponibles. Malgré tout, ces savoirs ne peuvent être donnés qu’à ceux qui disposent du temps et des ressources suffisantes pour y accéder. Cependant lorsque l’amélioration de l’état du peuple, suite nécessaire de bonnes lois qui auront amené le moment pour un nouvel élan, il sera facile de reculer les bornes dans lesquelles nous avons resserré ce premier système éducatif. Dans plus de trois cents ans quelqu’un d’autre pourra dire la même chose, car l’école n’est qu’une forme organisée de l’apprentissage socioculturel que nous nous transmettons. Sans cette fonction, il n’y aurait pas plus d’économie que de démocratisation. Pour autant les programmes éducatifs de l’école ne sont pas sans incidence sur ce que nous considérons être sa base, sa Laïcité. Cela parce que l’école peut servir fabriquer aussi bien des dictatures que des démocraties. Ainsi, elle est plus qu’un seul système rationnel préparant à devenir un « honnête homme », comme le souligne Durkheim, et à intérioriser une certaine morale, car elle peut conduire à devenir un être de condition servile, apte à s’intégrer dans des groupes de travail, à respecter hiérarchie et horaires fixes, et qui se démet de son pouvoir et de sa « fraternité » pour les confier seulement à des marchands, à des groupes oligarchiques technocratiques.
Tout comme l’Académie artistique de Colbert, qui si elle témoignait de la reconnaissance de ses artistes, elle servait surtout le prestige du souverain afin de s’accaparer leurs productions.
L’histoire de l’Entreprise référentielle dans l’analyse du paradoxe de «l’autonomie contrainte » peut être considérée à partir de la division du travail et des branches d’activités motrices telles, le textile et la métallurgie, qui ont eu un effet d’entraînement sur les autres secteurs de l’économie. Il s’agit de l’Entreprise industrielle de type capitaliste dont la spécificité est la propriété privée des moyens de production et dont la finalité est le profit. Ce capitalisme motivé par l’individualisme se verra conforté et développé par le libéralisme. Le terme « libéralisme » apparaît dans la langue française à partir de 1821. Il appartenait déjà au monde politique, car son sens usuel remonte au XII ième siècle et signifiait «généreux », (emprunté au latin Libéralis). Ensuite au XIII ième siècle il permet de désigner un individu : «digne d’un homme libre ». Ainsi le sens de ce terme libéralisme est passé lentement du domaine politique au domaine économique et caractérise la devise «laisser faire, laisser passer ». La fin de ce qu’il a été convenu d’appeler les «Trente Glorieuses », secouées par le premier choc pétrolier, va ouvrir une part incessante à l’innovation portée par le développement technologique continu, surtout celui de l’ordinateur et des communications. L’entreprise se réorganise dans sa structure productrice, passe de la division du travail parcellaire à celle de la division de groupes de tâches. Celles-ci réclament suivant le niveau requis une part d’initiative sanctionnant les différents paliers d’autonomie dans l’application des directives ; elle fait de moins en moins appel à une main-d’œuvre peu spécialisée. La modification qualitative des marchés issus d’une activité de renouvellement des biens conduit l’entreprise à moins vendre un produit qu’à satisfaire un besoin et couvrir tous les secteurs d’activité inhérents à ce besoin. De cette manière elle réalise moins son profit sur la vente du produit que sur les besoins que ce produit aura crées. Cette réalisation se fait au travers de tout le système de prise de participation, ou par la sous-traitance à des firmes spécialisées de taille réduite pour être efficaces et inventives. Ainsi la richesse ne se réalise plus à partir du seul produit nécessaire. C’est ce que nous appelons à tort ou raison la société postindustrielle.
Donc, l’entreprise dans cette société postindustrielle se caractérise par l’importance croissante de la gestion et de l’animation qui nécessitent la mise sur pied de méthodes de gestion dans lesquelles les responsabilités sont clairement définies par des objectifs de gestions propres, tout en étant en relation avec d’autres niveaux ou domaines de responsabilité qui sont régis par des principes similaires, ce qui requiert une mobilité adaptative.
C’est ainsi que la poursuite de la créativité accélérée par la concurrence de plus en plus technologique, le thème de la place de l’homme au travail et sa relation avec l’économie et le social ont imposé des réformes.
Les réformes des structures d’organisation, qui ne se limitent plus aux structures et organigrammes d’un système rigide et fermé sur ses règlements et ses procédures internes, ont fait une place de plus en plus importante à l’initiative, à la responsabilité et à l’imagination de ses membres. Elle étend ses innovations dans l’étude ergonomique du travail qui en offrant un cadre agréable et rationnel au salarié, celui-ci augmente ses performances.
Celles des méthodes de direction reposent sur une information objective (prévisions, budgets, programmes, contrôles) ainsi que sur une délégation de pouvoir avec les responsabilités qui en découlent. Ces méthodes caractérisent l’abandon d’une direction de « droit divin », intuitive plutôt qu’objective, qui empêchait tout développement des hommes et toute adhésion active à la fonction de créativité. Celles du management ont rendu ce dernier «scientifique » (direction par des professionnels et non les propriétaires, bien que la pratique des stocks options vise à associer les deux) avec les outils modernes de gestion. Ces outils permettent de préparer des décisions (budgets, programmes projets, plans à moyen et à long terme) plus précis, avec des systèmes de contrôles instantanés qui permettent de mesurer les écarts d’objectifs et de prendre les mesures correctives appropriées. Le contrôle exige l’exercice de son autorité, soit par un pouvoir supérieur de tutelle, soit par un pouvoir parallèle ou un autocontrôle. Les méthodes de la flexibilité des structures se divisent selon la nature des activités, et entraîne une décentralisation de chaque activité et diffusent plus largement les responsabilités. Cette souplesse des structures a introduit face aux structures verticales, des structures horizontales fondées sur des projets à réaliser auxquels il est donné l’autonomie et la flexibilité nécessaires qui les rendent mobiles et temporaires. Une autre tendance est celle des structures par « groupe », chaque cadre participe à deux groupes l’un auquel il appartient et dont il est membre et l’autre dont il est le responsable. Cette pratique a pu se répercuter sur toute l’échelle hiérarchique et a même atteint les exécutants, il suffit de se rappeler les cercles de qualités.
Celles des systèmes de rémunération et de promotion grâce aux outils modernes de gestion ont permis d’associer plus directement la rémunération des hommes à la vie de l’entreprise et aux résultats de leur travail, quant à la promotion elle récompense les contributions les plus efficaces à la créativité.
Les acteurs ou animateurs (il ne s’agit pas des exécutants) disposent ou bénéficient d’une autonomie de compétences par la formation qui leur est apporté au sein de l’entreprise pour trouver les moyens (se responsabiliser) de se conformer aux méthodes de gestion et atteindre les buts assignés, en d’autres termes devenir «autonome ».
Un tel remodelage, imposé par la « modernité », circulation des capitaux, des marchandises et des connaissances presque instantanées suivant leur nature ont accru l’efficacité des moyens de production et laisse le débat ouvert sur son origine que s’attribue le système libéral, sous-entendant par-là qu’un tel résultat ne peut-être atteint que si les hommes sont libres et autonomes. L’on peut penser qu’il y a un intérêt général évidant s’il s’agit d’associer les hommes, de contrôler les dirigeants, d’insérer l’entreprise dans le cadre d’une activité globale vers un intérêt commun. Or il est facile de comprendre que l’efficacité dont se prévaut le libéralisme économique ne peut pas résulter du fait que chacun fait ce qu’il veut. Et donc l’autonomie de ses acteurs est parfaitement délimitée par l’obtention d’un résultat contrôlé par un pouvoir disciplinaire «requalifié » et quantifié «scientifiquement » avec minutie qui est en définitive d’une efficacité «aliénante » renforcée par la compétitivité et l’insécurité de l’emploi.
Qui oserait dire que dans une armée les gradés et les soldats sont autonomes ?
Pourtant c’est bien ce que l’on tente de nous faire croire dans l’entreprise, cette autonomie n’est que le choix laissé aux individus de recourir aux meilleurs moyens d’améliorer leur résultat pour augmenter les profits, et non d’obtenir une quelconque indépendance.
Nous ne voulons pas en parlant de profit le péjoré par son acception marxiste, car il constitue de fait le revenu de l’entreprise. Toutefois, le développement de l’actionnariat s’accommode mal de l’idée que des travailleurs tirent un profit, via les dividendes, sur le dos d’autres travailleurs. Pourtant cette réalité, demeure, les placements financiers favorisés par le pouvoir politique comme moyen de drainer l’épargne populaire ont démocratisé cette pratique. Cette pratique qui a pour objectif de capter l’épargne vers le marché boursier en direction de l’investissement, laisse croire à ceux qui y souscrivent qu’ils appartiennent à la classe dirigeante. Et ceux qui y ont cru se trouvent désappointés quand ils prennent conscience de la considération qu’on leur porte, tout comme quand d’autres prennent conscience que la qualité d’actionnaire ne leur apporte aucune garantie de l’emploi. D’une manière caricaturale nous pourrions la résumer ainsi : « donne ton argent et tais-toi, c’est le prix de ce qui veulent être les rentiers du système, mais il ne faut pas avoir l’outrecuidance de vouloir le diriger ». Il est important de ne pas oublier que la plupart des législations sur l’entreprise consacre le fait que seul l’intérêt des actionnaires doive prévaloir, et que les autres intérêts ne sont pris en considération que s’ils favorisent ceux des actionnaires.
Cette transformation se retrouve dans l’exercice du pouvoir, où toute organisation possède un système d’autorité au travers duquel circulent les objectifs et les consignes parce qu’il est convenu d’appeler l’encadrement. La forme de l’entreprise avec un dirigeant monarchique, ou conduite comme un régiment, laisse la place à un tout, formé de sous-ensembles, dans lequel la classe dirigeante n’est pas seulement celle qui détient l’autorité, mais celle qui gère d’abord l’investissement. La fonction des dirigeants est moins d’assurer l’autorité que de veiller à ce que les sous-ensembles relativement autonomes s’adaptent aux changements qui rentabilisent l’investissement. Ainsi, la classe dirigeante n’est plus celle qui agit directement sur la fabrication des produits et services et qui commande à l’encadrement. Elle agit hors de la structure de production ; elle agit sur le marché ; et les rapports de travail sont commandés par le prélèvement du profit marchand. Elle gère les forces d’auto transformation de la société qui conduisent à une accumulation d’activités professionnelles en fonction des intérêts de ses propres investissements. L’autorité, elle, est confiée à des managers la plupart du temps intéressés aux investissements, chargés moins de diriger comme des monarques que de diffuser une politique d’organisation, de gestion, d’exercer une influence participative sur les partenaires sociaux : développer un esprit d’entreprise.
Seules les entreprises de haute technologie échappent à cette gestion économique, car pour elle c’est la gestion technique qui gouverne et qui s’exerce directement sur la fabrication du produit ou du service de haute technologie.
L’entreprise caractérise et modélise notre «société postindustrielle » par son organisation, sorte de « melting-pot » sociale et industriel, une forme d’entreprise qui voudrait faire croire que sans conflit la condition salariale peut progresser1.
L’Entreprise a engendré les formes politiques socialisantes, les idéologies de l’Occident moderne, et l’idéologie du travail comme valeur essentielle. Fondée à partir de la reconnaissance de l’individualisme absolu, l’être naît libre, puis sur la réalité thématique de hiérarchisation de «classes » dans son organisation, propriété privé, elle s’est installée aujourd’hui dans la rationalité « pseudo scientifique ». Ce « modèle » qui se veut moderniste envahit même le domaine du Service Public, y compris la police qui se voit dorénavant soumise à une culture d’objectif et de résultats. Et à quand la vie humaine ?
Cette évolution de la structure de la société capitalistique est d’autant plus importante que c’est en son sein, en son esprit que prendront corps une extrapolation de la notion d’autonomie, dans laquelle il faudra distinguer celle synonyme d’indépendance que poursuit toute personne, de celle qui sera imposé par la structure. Nous verrons qu’un terme synonyme d’indépendance, comme Autonomie, entraîne de fait une dépendance, une servitude.
Le grand danger est de se cacher la stratégie du chantage à l’emploi qui refoule les peurs et font des salariés les serviles forcés d’une théorie économique. Il s’agit en fait d’une fausse réconciliation qui implosera comme nous le voyons au travers de formes de violence individuelles ou collectives dans des entreprises qui ont procédé à des licenciements, car elle repose sur un marché de dupe. Cette violence rappelle les époques insurrectionnelles avant que la création des syndicats régulateurs de la violence individuelle et collective érigée en conflit du travail pour le bénéfice d’une classe sociale et le droit d’association (1884) ne soit promulguée. Hors aujourd’hui le morcellement tant politique que syndical n’offre aucune perspective, et la violence se déplace sur d’autres terrains.
Nous visons plus particulièrement celles qui se constituent comme réponse à une individuation faible et développent leurs propres territoires de reconnaissance et d’actions, telles les zones. Également tous les circuits financiers parallèles par exemple de ceux qui se situent en haut de l’échelle sociale, car l’individuation faible ne produit pas seulement ses effets que sur une classe sociale qui y est plus exposée par la pauvreté. En définitive, tous ceux qui subissent ou profitent de cet affaiblissement de l’individuation. A tel point que l’on peut presque dire que l’activité économie, se « criminalise », ce qui ne représenterait qu’une gradation supérieure par rapport à la définition de Jean-Marie ALBERTI NI2 qui considère que l’économie n’a besoin que des vices des hommes.
1 Note des auteurs. « La théorie de l’entreprise mise au point par les économistes traduit essentiellement une réalité de principe. Les lois sur lesquelles elle se fonde, les hypothèses qu’elle met en jeu, les règles qu’elle prétend définir ne cadrent pas toujours avec les faits. L’efficacité est ici inséparable d’un certain empirisme.
À partir de cette constatation est née la science du management : il s’agit d’adapter systématiquement les techniques de gestion de l’entreprise aux conditions de l’environnement. Une telle politique de gestion exige le recours à de multiples disciplines scientifiques : marketing (mercatique), psychosociologie, informatique, etc. Elle implique surtout une modification profonde des structures de décision au sein de l’entreprise.
Au même moment, dans la plupart des pays occidentaux, les experts ont insisté sur la nécessité, pour chaque pays, d’améliorer la compétitivité de leurs entreprises. Le premier problème est bien sûr celui du financement (cf. «Financement des entreprises»). On cherche généralement à donner aux firmes la possibilité de s’autofinancer dans une large mesure – en leur permettant, notamment, de renforcer leurs structures financières. Le développement de l’autofinancement se justifie parfaitement du strict point de vue économique. Des réserves peuvent être introduites au nom de l’impératif de justice sociale. Dans une perspective d’inspiration socialiste, favoriser à l’excès l’autofinancement revient à tolérer que les travailleurs soient privés du bénéfice de leur travail : la redistribution du revenu national se faisant au bénéfice des détenteurs du capital.
L’entreprise apparaît donc aussi comme un carrefour d’intérêts divers, voire antagonistes : intérêt de l’entrepreneur, des actionnaires, des salariés, des clients. C’est afin de protéger les intérêts de chacun que s’est développé peu à peu un véritable «droit de l’entreprise». La firme n’est plus, comme autrefois, un simple groupement d’activités humaines pouvant être «exploité» librement. Ses responsables sont tenus de respecter un certain nombre de règles. Le but recherché – sinon toujours atteint – est évidemment d’empêcher que le profit des uns ne se fasse aux dépens de la liberté des autres. La liberté, en la matière, a pu apparaître comme relevant du domaine de l’illusion. L’homme au travail, même protégé par la loi, serait-il un homme «aliéné» ? Frustré dans ses aspirations plus ou moins conscientes, il adopterait à l’égard de l’entreprise une attitude de méfiance ou d’indifférence, voire d’hostilité. Aussi a-t-on vu se multiplier les efforts destinés à aménager les structures de l’entreprise dans le sens de ce qu’on appelait naguère la «participation» et dont des avatars plus modernes peuvent être repérés dans le développement des réflexions sur les «ressources humaines». Il s’agissait, d’une manière générale, d’associer les salariés aux responsabilités de création et de gestion. Mais ces tentatives de «réforme de l’entreprise» ne se contentent-elles pas le plus souvent d’une simple adaptation des schémas actuels ? Source Universalis.
2 Jean-Marie Albertini, né en 1929, directeur de recherche au CNRS, a fondé le laboratoire CNRS/IRPEACS. Il est l’auteur de nombreux ouvrages d’initiation à l’économie.
Dans le processus de socialisation de la société industrielle et post industrielle la valeur essentielle du travail est devenue une référence, sans qu’elle soit pour autant une donnée anthropologique, car cette valeur apparaît avec le travail salarié.
Le salariat est apparu dès que les liens féodaux ont été suffisamment lâches pour permettre à des hommes de disposer librement de leur force de travail. Bien que cette liberté soit plus formelle que réelle, car ne disposer que de la force de ses bras pour subsister et assurer ses lendemains, borne nécessairement cette liberté. C’est ainsi qu’au XIV ième siècle, apparaît le terme «prolétaire » qui qualifiait ceux qui ne possédaient que leur descendance (proles, en latin), et les pauvres dont l’existence ne dépendaient que de leur capacité à louer leur bras.
Mais la plupart du temps leur activité professionnelle les faisaient qualifier «Brassiers », «manouvriers », «journaliers ». Ils étaient plus comme des domestiques, car la plupart du temps ils s’intégraient à la famille de leurs employeurs, dont ils partageaient le gîte et le couvert, à l’instar de la «famille » romaine qui désignait en fait l’ensemble des esclaves. Cette intégration limitait la précarité de leur existence, parce que le salaire correspondant (modeste fraction de la récolte, quelques pièces de monnaie équivalentes à un argent de poche) ne permettait pas de trouver une autonomie, à moins de trouver d’autres occupations complémentaires, ce qui n’était pas chose facile. Malgré des conditions qu’il ne faut pas regretter, cette société rurale, dure pour les pauvres et les sans grades, était immergée dans un monde de relations personnelles, voire familiales qui lui donnaient un sens (communauté de famille).
Avec l’avènement de l’industrialisation, les liens personnels ne comptent plus, du fait d’une part de l’urbanisation (migration vers les cités industrielle), d’autre part par la structure industrielle qui mobilise des masses de travailleurs que l’on voit mal s’installer dans la famille de l’employeur. La seule forme qui subsistera en la matière, héritée de la ruralité, sera le «paternalisme ». Un paternalisme qui donnait un sens à l’intégration dans l’entreprise, de la même manière que nous parlons aujourd’hui, «d’esprit d’entreprise ».
Le salaire devint le mode dominant de mobilisation et de rémunération de la force de travail, sans que pour autant la condition des travailleurs s’améliore, car ils passent d’un dur labeur rural, à un prolétariat qui les plongent dans la misère, et il faut attendre la première loi «sociale » votée en mars 1841 pour voir le travail des enfants limité dans les filatures. Au XIX ième siècle le salaire devient un prix comme un autre, soumis aux fluctuations de l’offre et de la demande en fonction de l’intensité de la concurrence, ce n’est donc plus le juge ou la coutume qui le fixe. Cette relation est analysée par le code civil en 1804 et reconnue comme résultante d’un échange de libres volontés, et considéré comme une forme de «louage de service ». (Imposture du contrat de travail, plutôt contrat d’adhésion).
Ainsi le salarié privé de liens familiaux ruraux, privé d’une fixation d’un salaire coutumier, voit la recherche d’un travail et du salaire correspondant devenir essentielle, et s’imposer comme la valeur référentielle quelles que soient les lentes transformations qui ont jalonné jusqu’à nos jours, sa durée, son organisation, sa rémunération en fonction des trois grandes périodes qui marquent notre société industrielle.
Nous pouvons donc dire que la relation affective des individus a contribué à créer des «filiations variables » dans une organisation domestico-économique sédentaire qui accommode la sociabilité des individus au travers d’un lien de dépendance à la réciprocité inégale. Le développement de la pensée humaine, favorisé par l’éducation, a conceptualisé les notions égalitaires et antinomiques de liberté individuelle et de droit de propriété. Le tout dans le cadre d’une prégnance historique de méritocratie, fondée sur l’exercice d’une discipline guidée par des échelles de valeurs subjectives établies par le fait majoritaire qui se reconnaît dans une culture Judéo-héléno-Chrétienne.
Les progrès de la pensée libérale n’en restent pas moins limités par la condition humaine qui peut conduire tout individu (suivant l’observation que nous avons pu en faire depuis plus de quatre mille ans) à la tyrannie s’il n’est pas borné par la pensée des autres. Ignorant de la «réalité » des raisons de leur condition, les Hommes ont développé la socialisation qui organise l’intrication de leur existence dans celle des autres.
Notre aptitude à la créativité a produit une multitude de biens et de services dont l’accès n’est rendu possible que par une activité participative régulée par une appréciation subjective de nos relations. Ces dernières fixent à leur tour la valeur d’échange de ces biens et de ces services, avec pour objectif la recherche permanente d’un hédonisme à géométrie variable qui est fonction d’une désidérabilité sans limite.
Cette désidérabilité ne prend corps que grâce à l’usage de la raison qui en délimite les contours et concourt de ce fait à son accessibilité réelle ou imaginaire. Cette aptitude à la créativité, qu’elle soit intellectuelle ou physique, ou les deux à la fois, le plus souvent en la qualifiant et la quantifiant, nous l’appelons le travail.
L’histoire du travail apparaît à la suite des besoins biologiques nutritionnels de l’homme, mais sa définition sous notre regard hiérarchisant ou «méritocratique » commence à prendre forme lorsque, d’une appréciation qualitative de l’observation de l’exercice d’une activité économique humaine diversement organisée et désignée, s’élabore la quantification d’une valeur d’échange commune, après n’avoir été qu’une valeur d’usage liée à la fonctionnalité des productions. C’est avec l’œuvre de Petty William (1623-1687) que se situe la transition avec les mercantilistes et les libéraux. Sa théorie de la valeur corrèle une unité de monnaie avec une journée de travail et une acre de terre (elle valait en France 52 ares environ). Elle est à l’origine de la théorie de la «valeur/travail » qui encrera définitivement ce mot comme la clé objectivée d’une mesure de référence universelle de l’activité productive de la civilisation industrielle permettant l’intégration d’un individu dans une société dite de « libre échange ». Sa consécration se caractérise par le nombre de sciences particulières qui lui ont été consacrées, et desquelles sortent des modèles, comme les techniques de rationalisation qui sont appliquées dans d’autres domaines que ceux du travail, et notamment de nombreux secteurs de la vie sociale, certains services de l’État, le sport, et pour une bonne part la gestion du temps de notre existence. Ceci n’a été rendu possible que par une praxéologie mathématique au travers d’un raisonnement «logicomathématique » nécessitant une tactique et une stratégie d’acteur devant la nature de l’action industrielle qui appelle le calcul de procédures et la quantification des données.
Ainsi s’affine et s’affirme une virtuosité tactique dans une pensée stratégique d’anticipation qui vise à l’optimisation du choix des moyens qui sont devenus saisissables. Nous avons donc fini par parler de «sciences économiques » qui regroupent certes les progrès de la théorie économique, mais qui sont source d’une certaine illusion des vertus de la rationalité de l’action économique. Le travail, soumis à cette rationalisation, entraîne de fait la rationalisation de ses exécutants qui se la transmettent dans tous les lieux ou ils agissent.
Ils ne se comptent plus que comme unité quantitative au service de laquelle ils mettent leurs qualités, et les individus s’étonnent d’avoir des exigences biologiques humaines coûteuses.
Ainsi le travail rationalisé oriente aujourd’hui notre société, la rend intelligible pour fixer une stratégie d’existence qui nous laisse imaginer que nous pouvons maîtriser toute notre histoire.
Pour ne pas être victime de cette illusion il faut prendre conscience, comme le note Dominique Méda, que le travail n’est pas une donnée anthropologique, il est devenu une valeur de référence. (Référence à Méda).
Le travail s’entend aujourd’hui généralement d’une activité rémunérée. Pourtant toute activité d’un individu demande un effort qui peut s’apparenter à un «travail », mais dans ces cas là nous devons parler d’activité de non/travail. (Activités, Aristote et Arendt). Ces activités de non/travail peuvent être effectuées plus ou moins au rythme et au gré de celui qui les pratique.
Ce non/travail concerne la population la plus nombreuse entre 55 et 60%.
Ces activités de non/travail sont fondamentales car elles sont le tissu sociologique de plus de la moitié des français. Et toutes ces activités sociologiques vont dépendre d’une activité de travail dont elles sont elles-mêmes issues. Ces activités de non/travail nous les connaissons tous : c’est l’homme ou la femme au foyer, la participation à la scolarité, le bricolage, (activité familiale production domestique) toutes les activités des retraités, des rentiers. Mais aussi toutes les activités du tiers secteur comme le bénévolat au sein d’associations par exemple. Suivant qui les exercent, leur fréquence, suivant la manière dont nous concevons nos relations, les activités de non/travail peuvent passer dans l’activité de travail et vice-versa, et enfin une activité de non/travail pour les uns peut-être une activité de travail pour les autres.
Ainsi, ce qui distingue l’une de l’autre c’est la ressource qui lui est liée et les contraintes qu’elle impose pour l’obtenir. Le non/travail a permis de définir le travail dans le cadre d’une référence d’échange (la monnaie) et le travail permet de pouvoir se livrer au non/travail. (Référence de féministes sur le travail des femmes au foyer qui permet la reproduction de la force de travail).
Si nous mentionnons cette interdépendance c’est qu’en permanence l’un intervient dans le champ d’activité de l’autre, et c’est suivant la manière dont s’exercera la «répression de la solidarité, selon Durkheim» sur l’un ou sur l’autre que leurs influences se caractériseront. C’est ainsi que l’entraide médicale caritative dépendante d’une activité de non/travail le plus souvent exécutée par des dispensaires religieux est devenue une activité de travail exécuté par les personnels chargés de la santé publique, et représente un secteur d’activité économique exponentiel.
En ce qui nous concerne nous nous retenons le travail salarié qui fournit à la fois le statut social et familial.
Nous pouvons donc écrire à ce moment que la socialisation de la famille a donné la socialisation de «l’entreprise » qui fournit le statut social dont va dépendre à nouveau la socialisation de la famille. Nous apercevons dont clairement que la modification d’un des maillons aura inévitablement des incidences sur les autres.
Nous ne discutons pas ici les définitions académiciennes, que ce soit celle qui considère que tout effort long et pénible est un travail. Bien qu’il soit entendu que c’est cette idée qui reste maîtresse pour avoir au fil des siècles transformé un mot latin, (trepalium) qui désignait un élément de torture, en référence d’activité laborieuse. Faut-il donc qu’il y eu un temps où le travail dû être considéré comme dégradant et punitif. Ni celle qui consiste à observer que tout mouvement demande un effort, et certain, un effort long et pénible (par exemple courir). Bref il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour en connaître toutes les extensions.
Nous celui qui nous intéresse et c’est le travail fourni au service d’autrui pour recevoir quelque chose en échange (une ressource); aujourd’hui dans bien des pays de la monnaie. Nous précisons cela pour ne pas entrer dans la confusion qui s’entretient depuis la supposé disparition de la classe ouvrière et l’apparition du salariat ainsi que de l’actionnariat anonyme. Parmi lesquels nous trouvons des dirigeants de groupe salariés plus riche que n’est pu l’être de réel patron et toutes les opportunités juridiques qui transforment des employeurs en salariés. Opportunités qui leur permet de bénéficier d’une garanti de revenu et le cas échéant de réaliser son capital investi, chacun considérant qu’il travaille, n’ayant pas le monopole de la définition du travail nous ne discuterons pas de cela.
Ce sur quoi il nous paraît judicieux de formuler une observation, c’est que si chacun été prêt à fournir un travail sans contre partie, donc gratuit, il n’y aurait pas assez d’homme sur terre, ni de temps. Si cela n’est pas, c’est donc qu’existe un certain nombre de paramètres biologiques et psychiques structurants dans la relation de l’homme à son semblable et à la nature. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui il n’est de cesse d’entendre dire qu’il n’y a pas de croissance parce que les salariés ne travaillent pas assez, et chacun se propulse dans les statistiques qu’ils découpe à leur mesure. Nous entendons également les citoyens dirent qu’ils réclames du travail (ou dans le même sens des emplois sans subtile discussion) ; bien sur il ne faut pas être dupe ce qu’il réclame c’est le coupon d’échange (monnaie) qui leur donnera les moyens de survivre, vire ou consommer. Si vous doutez de cela imaginer seulement que tous les joueurs gagnent aux jeux de gains d’argent, il faudrait rétablir le STO de triste mémoire ou bien accélérer l’immigration.
Or personne ne conteste que peu de salariés travaillent à la production de biens consommables qui ont été la base de l’essor du capitalisme, et il n’y a donc pas d’emplois ou du travail pour tous dans ces activités classiques. Pour des raisons qui tiennent aux développements des technologies, des nouvelles ressources tant que du déplacement de productions. Nous pouvons donc dire que dans certains états nous n’avons pas besoin du travail de tous, parce que la production de surplus (la productivité) libère des Hommes pour d’autres activités. Nous avons donc consacré cet espace libéré à l’usage des services et de la distraction. Mais même ces espaces là, demeure insuffisants si la production de biens qu’ils induisent ne compense pas directement les transferts d’emplois, indépendamment des fluctuations démographiques in situ.
Il est donc possible de transformer des activités de non/ travail en travail pour que ceux qui si activent perçoivent le coupon d’échange indispensable, en attendant que l’intrication de nos actions passés engendre les activités du futur.
Que pourraient penser les romains soumis au travail d’alors s’il voyaient nos contemporains se désespérer parce qu’ils n’ont pas de travail ?
Ainsi si un instrument de torture à pu être un qualifiant dégradant pour une activité qui aujourd’hui donne de la souffrance à ceux qui n’en ont pas ; c’est qu’il y a une place pour le raisonnement. Et la possibilité d’accepter de rémunérer des hommes pour apprendre, comme nous l’avons dit dans le premier essai, ou rémunérer des activités considérées comme du non/travail n’est pas irrecevable. En quelque sorte payer des gens à « ne rien faire de productif » parce que nous n’avons pas besoin de leur travail, sans qu’ils se sentent écartés de la société car ont peu les employer à travailler pour le futur. Sans qu’ils se sentent écartés parce que notre monde de compétition ne retient que les meilleurs, et que tous ne peuvent pas l’être, et il n’y a rien de dégradant en cela.
Bien sur nous observons le contraire où dans un monde de compétition, les premiers ne veulent qu’éliminer les moins bons parce ce que ces derniers sont comptabilisés comme une charge. Sans se rendre compte qu’à ce jeu de la chaise ils en mourront car un jour c’est le deuxième qui sera dernier. Mais enfin est-il concevable pour les tenant de la compétition de ne pas remercier les moins bons qui leurs assurent leur succès ?
Comme nous venons d’essayer de l’expliquer notre relation au travail n’est pas une relation close, ce n’est pas du travail qui manque c’est la monnaie qui se donne en contre partie.
Aussi indépendamment des impossibilités technologies plus ou moins longue, c’est la circulation de la monnaie et sa quantité disponible (création) qui posent le problème du manque de travail comme nous disons à tord.
Bien entendu l’adéquation des citoyens aux activités existantes est un autre problème qui a toujours suivit les évolutions technologiques et qui ne sont pas à la source d’un manque d’emplois et d’un chômage récurant.
Aujourd’hui le mot liberté a envahi la planète et il n’est pas une société un individu qui ne s’y réfère pas, si bien que même les dictateurs ou les dictatures revendiquent leur exercice au nom de cette liberté. L’économique n’est pas en reste et réclame la liberté de pouvoir dans la discrétion des consortiums, des refuges de la confidentialité élaborer des manœuvres dont les objectifs, de caisses noires aux dessous de table et aux comptes douteux, ne visent qu’à gruger ceux qui peuvent l’être. D’autres s’accrochent à ce mot pour déterminer la responsabilité des uns et écarter la leur, d’autres imaginent que la liberté est une donné scientifique ou anthropologique, parce que l’homme occidental en ayant défini une perception, pense qu’il est en droit d’en étendre son acception au monde entier, comme aux meilleures époques de la colonisation. Dans ce labyrinthe d’usages galvaudés du mot liberté comment sortir de ce qui n’est que mystification ?
D’abord il faut distinguer l’acception du langage ordinaire du mot «libre » comme adjectif qui caractérise la capacité des individus d’agir avec une intention, en utilisant les aptitudes biologiques et psychiques de leur Être. Les expressions utilisées dans ce cas sont des mots tels que : projet, motif, décision, raison d’agir, auteur ou acteur responsable, et tous les synonymes qui incluent une intention.
Une intention qui n’apparaît pas dans les causes «mécaniques » (comportements instinctifs d’organisations sociales1), s’il n’y a pas une aptitude cérébrale à assembler et organiser des éléments contenus dans ces mêmes causes pour leur donner une fonction autre que celle de leur propre déterminisme observable. En ce sens la liberté est synonyme pour tous les individus de créativité inégale en fonction de leur condition, qu’ils soient maîtres ou esclaves, savants ou ignorants. Ils vont donc devoir conjuguer leurs aptitudes naturelles déterminées (inné), productrices de gestes et de mouvements humains, avec les mouvements observés dans la nature (stimuli), pour les diriger vers l’accomplissement de l’intention initiale (manger, copuler, s’abriter), par des actions et des savoir-faire qui se spécialisent (acquis) dont la cause se trouve dans leur environnement2 et qui n’était jusqu’alors qu’un ensemble de possibilités non exploitées surgissant de leur psychique, ou de leur Être.
La liberté en ce sens n’est que la reconnaissance des aptitudes de la condition humaine, dont le XVII ième siècle a jeté quelques bases en parlant de «l’état de nature » dans lequel l’individu disposait de droits naturels qui en était issus3.
L’autre acception qu’il faut distinguer est celle qui a été définie par une notion de la liberté qui est contenue dans l’expression : « l’Homme naît libre ». Cette expression ne se rattachait pas seulement à une analyse ontologique mais à son état d’interdépendance où s’affirme un pouvoir des uns sur les autres, il signifiait surtout que les hommes ne naissaient pas soumis à l’absolutisme4. Avant 1789 les hommes disposaient du même pouvoir inégal de créativité, mais ils naissaient sujets de sa majesté, soumis à son arbitraire qui ne manquait pas pourtant ni d’un droit ni d’une justice, mais qui reflétait une condition de servitude, dont l’antiquité nous apprend que ce n’était en rien une exclusivité catholique et romaine.
Donc, si les hommes ont écrit un jour que l’individu naissait libre, il faut bien admettre que ces mêmes hommes ont identifié un processus privatif de cette «liberté » au sein même du droit en vigueur. Ce processus qui est apparu à la réflexion de l’Homme n’en est pas moins inhérent à la condition humaine quel que soit son type de solidarité, «mécanique » ou «organique. » Toutefois, ce processus ne s’est totalement révélé qu’avec la division du travail qui, selon Durkheim, en organisant la différenciation des tâches et des individus qui les accomplissent, a défini une spécialisation qui restreint le domaine d’action de l’individu. Cette spécialisation a fait prendre conscience aux individus de leur complémentarité et de leur interdépendance, aboutissant à la solidarité organique fondée sur la communauté d’intérêts.
Le paradoxe étant qu’en devenant de plus en plus tributaire des autres, l’individu cherche de plus en plus à s’affirmer indépendant.
Il découle une spécificité d’état d’Être, dans lequel certains se sont reconnus ou ont été reconnus comme exerçant le rôle de «maître » en s’appuyant sur des moyens physiques ou abstraits, arbitraires ou «contractuels. » De telle sorte que nous pouvons dire que la liberté individuelle en son acception «faire se qu’on veut » est inaccessible pour tous dans une société, et que l’individuation est privative de cette liberté, à moins de retourner à l’état animalier : c’est à dire sans organisation d’une civilisation « culturelle » identifiable historiquement comme telle par ses œuvres, suivant nos critères.
Il nous paraît nécessaire de définir ce que nous entendons par état animalier. C’est la prise de conscience de notre appartenance à une espèce vivante mise en évidence par les travaux de Darwin qui nous a conduit à nous classer parmi les mammifères. En nous dégageant d’une approche créationniste, elle nous a assimilé à la catégorie des espèces vivantes dénommées «animaux », qui se caractérisent par l’absence de la «parole », apanage du genre humain5. Cette qualification traduisait l’image d’une existence cruelle sans un recours «divin » pour l’organiser, qui se laissait aller à ses instincts, à la coupable existence de l’animal dans l’humain. Or, par les travaux scientifiques des spécialistes, nous savons que tout est régi par un «ordre » surgissant des intrications de l’univers, et que l’état animalier est ordonné de manière très variée suivant les espèces dans le but d’assurer leur renouvellement. En dehors de l’approche suggestive à laquelle nous avons fait référence, «l’état de nature » sous-entend qu’il n’existerait pas d’autre ordre que celui de la «cruauté » liée à notre observation de la vie des animaux, ce qui ne nous met pas à l’abri d’une approche anthropomorphique6.
Or, «l’ordre » de l’humain est de plus en plus précisé par les travaux des scientifiques et est également contenu en partie dans la solidarité «mécanique » définie par Durkheim. Force est donc de constater que cette référence à l’état «animalier » est supposée être au regard de l’homme l’exercice de la «liberté arbitraire » par lequel se définissaient les dominants laissant libre cours à leur instinct, avant que ne soit mieux défini le cadre qui a été qualifié de «sélection naturelle biologique7. »
En fait la plupart du temps nous utilisons le mot liberté pour définir seulement des niveaux d’autonomie et d’indépendance ou des seuils de contrainte et de dépendance dans le cadre de la solidarité «mécanique».
Ainsi la «liberté » innée ou la liberté naturelle de la condition humaine n’a de sens que par l’analyse des moyens qui limitent son exercice et par les mots qui désignent son état. La liberté de se nourrir, de s’unir, de s’abriter, de penser, ne sont pas des libertés mais un état initial que l’on qualifie de «liberté arbitraire8 », laquelle dés lors qu’elle s’analyse individuellement, désigne l’égocentrisme indispensable à la formulation d’un jugement, instinctif ou réfléchi, pour que l’individu puisse exister dans son environnement. Il n’y a donc pas de liberté dans l’exercice de ce pour quoi l’on est conçu.
Pourtant cela peut apparaître comme une liberté dés lors qu’on en est privé par la contrainte immanente de la condition humaine qui pousse à la vie en commun : la sociabilité organique. Celle-ci s’apparenterait à une espèce d’exercice d’une «liberté naturelle » qui inclurait toutes les libertés arbitraires obligées de composer entre elles (à moins qu’il puisse être démontré un jour que l’homme dans son biotope était un animal solitaire), non pas seulement dans le cadre d’une sélection naturelle, mais en plus avec le cadre d’une «sélection artificielle culturelle » contenue de fait dans le vivant. Ceci peut apparaître à notre observation comme contradictoire. Alors il faut oser se dire que si l’ordre immanent nous conduit au constat d’une contradiction, cela tient peut-être au fait que nous ne faisons pas le meilleur usage de la condition humaine, sentiment que nous exprimons au travers de ce désir permanent de liberté. Dans la situation actuelle je pourrais dire que nous faisons un mauvais usage de l’individuation propre à la solidarité «mécanique. » Ce qui revient à dire que nous ne nous sentons pas parfaitement intégrés dans cette individuation évolutive de la solidarité «mécanique » qui associe dans une grande complexité ce que je fais ressortir comme une contradiction.
Cette vie en communauté a imposé à l’Homme de composer avec l’Autre dans un environnement géologique extérieur qu’il subit.
En fonction de l’abondance ou de la rareté des moyens de subsistances, la gestion de cet environnement a exigé des systèmes d’autorités privatifs d’une certaine idée de la liberté individuelle innée que chacun s’imagine (ou liberté naturelle.) Cette liberté individuelle est suggérée par l’aptitude que possède chacun d’être le dominant (principe de la fameuse «survivance du plus apte», selon le slogan de Spencer), de diriger sa vie ; de disposer d’une influence suffisante pour dispenser un apprentissage ; de pouvoir se répartir les produits de la nature, en accédant à ce que nous appelons la civilisation qui se traduit souvent par « faire ce qu’on veut ». Et l’Homme, habile dialecticien, a trouvé la liberté dans un monde qui n’est que contraintes, un monde où personne ne peut circuler s’il n’a pas un papier qui indique à quel groupe il appartient, le tout contrôlé par ses semblables.
Cette communauté de vie est au cœur du problème de la liberté. C’est plus précisément dans son exercice que se définissent toutes les expressions ou restrictions de la «liberté arbitraire » individuelle dues à son évolution sociétale de type «mécanique », dans laquelle certains disposeront de l’exercice du «libre choix ou du libre arbitre » et où d’autres leur seront soumis au travers des formes de souveraineté politique, d’organisation économique et de pensée. Tout ceci sans que la plupart trouvent leur destin anormal ? (Lire le «Discours sur la servitude volontaire » de la Boétie.)
Cette «liberté arbitraire » individuelle, dans le cadre de l’individuation, nécessite d’être restreinte au bénéfice d’une intégration dans une «solidarité mécanique. » Nous pourrions la nommer «la liberté positive » pour la distinguer de la «liberté naturelle » qui populairement renvoie à une organisation animalière suggestive ou organique (instinct).
Nous retrouvons cette «normalisation » dans ce que nous appelons les libertés publiques subordonnées aux droits, naturel, coutumier et positif. Il est donc nécessaire de comprendre que «la liberté arbitraire » individuelle n’est qu’un processus d’attraction qui ne peut se suffire à lui-même, sous peine de conduire à ce que Durkheim appelle l’anomie si cette «liberté arbitraire » est exercée par tous.
Cette anomie pourrait s’illustrer dans la liberté issue de la nature (la condition humaine capable d’agir avec une intention) qui, associée à la liberté arbitraire (le faire ce qu’on veut) exprimée dans le rapport à l’autre, donnent ce qui est la caractéristique de ce que l’on nomme sommairement «la sélection naturelle », sans toutefois en saisir toute la complexité.
Or ce rapport là, nous l’avons qualifié de «liberté naturelle », donc l’anomie ne peut pas être le retour à «l’ordre » naturel, avec pour principe reconnu la préservation de l’espèce, mais une dérégulation de la sociabilité par une élévation trop importante du niveau de stress des individus qui développent des pathologies isolationnistes et passionnelles incapables de structurer une communauté ou une société différenciée.
Ainsi, après avoir retiré en partie des civilisations qui se prétendent civilisées les «comportements humains estimés animaliers » (car issus de ce que nous avons seulement compris de la sélection naturelle avant Darwin), il est aisé d’admettre que ses effets ne s’en sont pas moins opérés. Ils ont donné ce que nous identifions le plus facilement : des dominants disposant d’un pouvoir absolutiste ; nos guerres ; mais également des types de démocraties privatives de la «liberté naturelle », telles les démocraties dogmatiques ou celles de la Grèce antique.
C’est dans ces conditions que l’esclavage a existé sous toutes ses formes de servitude jusqu’au 19ième siècle. Il a été la forme de travail la plus répandue, imposée et parfois acceptée par l’ignorance de la connaissance actuelle de la «réalité » de la condition humaine. Son observation laissait supposer que tel ou tel naissait de fait pour exercer sa condition sociale inégale (hommes et sous-hommes) ou/et devait accepter cette «sélection naturelle » en vigueur produit des connaissances de la culture d’alors.
De la même manière aujourd’hui nous trouvons normal qu’au nom de la liberté individuelle, tous les individus aient droits à la propriété privée. Propriété privée qui sous-entend aussi bien la propriété économique de moyens de production que la propriété d’un logement individuel, dont la condition sociale de naissance fixe la répartition et l’accession. Pourtant quand l’on observe de plus prés ce droit à la propriété économique, ce qui pose une difficulté, ce n’est pas qu’un particulier ou qu’un groupe en soient propriétaires, mais que l’exercice du pouvoir arbitraire délimite la liberté de tous, qu’elle soit privée, publique ou économique, au travers des moyens d’actions qui s’en dégagent et des systèmes d’autorités. Ceci place l’élite dirigeante dans une position d’autarchie (pouvoir absolu) qu’elle revendique en permanence au nom d’une rationalité comptable, qui se voit ainsi imposée comme loi de l’espèce humaine et qui définit son activité.
Cela conduit la liberté de l’Homme d’agir avec intention, vers une liberté dogmatique de l’action, dés lors qu’il présente celle-ci comme une vérité, l’intention à laquelle il convient de souscrire, ou se la voir imposée par le rapport de force. Cette conception de la liberté, trouve sa pleine dimension aujourd’hui dans le sentiment de liberté qu’inspire à l’homme une consommation sans mesure. Il fait fi de la notion d’interdépendance en réclamant comme un dû les services d’autrui, simplement parce qu’il peut se les offrir. Disparaît alors le sentiment de procéder à l’échange d’une activité sociale ou économique spécialisée, au profit d’un sentiment de pouvoir conféré par la possession de l’argent qui lui permet d’obtenir ce que l’on veut.
En observant l’histoire humaine nous ne connaissons que des types de «liberté positive », et nous supputons ce qu’a pu être notre «liberté naturelle » en essayant toujours d’en préciser son «organicité. » Pourtant tous les débats des Hommes autour de la liberté ont fait émerger une subjectivité, au sein de laquelle apparaît tout l’intérêt de ce mot.
La subjectivité de la liberté n’a pu être cernée que lorsque l’Homme a découvert de manière plus précise les lois ou certains principes de la nature, qui l’incluait dans un système unifié déterminer par des probabilités aléatoires. Si bien que la liberté subjective est antinomique de la nature car nous ne pouvons pas être « libre » de notre « création » (innéité), à tel point que l’homme doit toujours indiquer de quelle servitude il veut s’affranchir ou de quelle fonction il veut user sans contrainte.
L’Homme est né libre d’agir, il a restreint et a supprimé cette liberté à certains d’entre eux, quelles qu’en soient les raisons, et il s’est redéfini cette liberté. Pourtant au-delà des mots, garantir cette liberté d’action, pour tous les hommes, n’a pas résolu le problème de la dépendance des actions des uns envers les autres, si ce n’est par la sémantique et les conditions d’exécution de ce qu’il s’est reconnu comme étant un droit.
Car cette liberté naturelle est un état de la condition humaine et la reconnaître comme un droit, c’est admettre qu’elle est limitée ou cette liberté naturelle transformée en « droit » par l’Homme, donne à celui-ci un sentiment de toute puissance. Comme si l’Homme pouvait définir que la planète Terre a le droit d’exister. Pourtant cette démarche dans laquelle nous sommes inscrits révèle la malléabilité de notre psychique propice au conditionnement.
Ainsi la notion de liberté a été élevée à un niveau de mysticisme, et il nous faut constamment apprécier cette notion de liberté pour ne pas nous perdre en elle. Cela ne nous empêche pas de reconnaître que ce mysticisme joue un rôle : celui de justificateur de la transgression de «l’arbitraire, de la contrainte, de la servitude, de la dépendance normalisée. » La liberté en ce sens exprime la catalyse de la réalité des intrications humaines qui ne sont pas toujours accessibles à notre compréhension et nous pousse à l’évolution et à l’apaisement. Par exemple quand des politiciens s’opposent sur sa définition et finissent par s’accorder dans un consentement consciemment hypocrite autour des contraintes qui limitent la subjectivité du mot. Mais au-delà l’Homme ne peut s’attacher qu’à des fins qui lui sont supérieures, et ne peut se soumettre à des règles que s’il perçoit ce dont-il peut-être solidaire. C’est ce qu’offre cette notion de liberté subjective. Sous certains aspects elle s’est « sacralisée », sans pour autant avoir un contenu clairement identifiable, hormis par la notion de « liberté arbitraire », ou bien celle des libertés publiques que nous avons nommées « liberté positive. »
De la sorte dés lors qu’il est porté atteinte à ce qu’il juge être sa «liberté arbitraire », tout individu peut à tous les instants se référer au principe sacré subjectif de liberté individuelle installée par sa reconnaissance dans la Constitution Universelle des Droits de l’Homme.
Ainsi son usage peut-être en permanence actualisée par l’évolution du droit. Mais un droit qui ne peut se prévaloir du blanc seing de la liberté subjective qui seule autorise la transgression du droit dans la recherche d’une liberté arbitraire individuelle attractive, ou d’une nouvelle liberté positive.
Cette liberté subjective ne peut donc s’évaluer qu’au travers des systèmes d’autorité censés préserver l’individuation tout en maintenant la solidarité organique qui est la nôtre avec pour objectif de faciliter l’intégration sociale.
Dans notre analyse de l’autonomie contrainte cela apparaîtra. Ce sont toutes les formes insidieuses qui vont conduire (dans un souci de préserver de manière générique la liberté individuelle), à son conditionnement contre son propre intérêt subjectif au sein d’un cadre communautaire ou sociétal pour le bénéfice de quelques élites particulières. Élites qui s’installent dans un système dominant auto généré qui propose son image de la liberté subjective à laquelle chacun doit s’identifier, avec pour conséquence une désocialisation par l’exclusion due au rejet des différenciations.
Le plus important des systèmes d’autorité est aujourd’hui le néolibéralisme économique. Il bénéficie de l’aura attachée à la subjectivité de la liberté ainsi que de toutes ses ambiguïtés. Il propose des régimes démocratiques fondés sur un droit définissant les limites de la liberté arbitraire par des références profanes (laïcisme) ou sacrées (religions) afin d’aboutir à une liberté positive individuelle publique. Mais il revendique également l’exercice la liberté arbitraire des individus dans le cadre des relations économiques pour entreprendre.
Si aux siècles derniers il fallait être investi du droit divin pour être monarque, aujourd’hui c’est le pouvoir économique investi d’une «mystique liberté » qui fait et défait les dirigeants des démocraties et remplace les dictatures. Compte tenu de la complexité des circuits tant financiers qu’économiques les citoyens s’en remettent à des schémas caricaturaux présentés par les acteurs politiques, si bien que par le jeu subtil de la puissance des médias soumis aux financements des publicistes, des caricatures thématiques façonnent « l’opinion publique ». Ceci de telle manière que les citoyens qui la composent abondent sans réflexion et par conditionnement9 (télévisuel et cinéma essentiellement) en ce sens, laissant libre cours aux activités des oligarchies qui font et défont les politiques des États et dont les élus se font les rapporteurs. Ce glissement nous a entraînés vers la reconnaissant unanime de la loi du marché par les grands partis politiques. Et même si les citoyens votent, ils le font sur des choix qui leur sont imposés par la loi du marché, donc indirectement par les oligarchies économiques qui de familles se sont reconstitués et élargies avec le temps par cooptation en classe « NI » anonyme ou presque : en dominants systémiques. De fait nous sommes dans des démocraties oligarchiques reconstituées.
Ainsi, lorsque la réalité des systèmes d’autorités précise les contours de la liberté subjective, l’on peut dire que la liberté d’agir et de choisir s’apprécie moins par le choix d’un gouvernement, dit démocratique, que par la capacité de disposer d’un moyen économique, qui s’acquiert pour certains par l’exercice d’un «travail. »
Cette liberté sera certes conditionnée par la garantie d’une activité économique ou d’un travail, mais aussi par la hauteur de ses revenus (monnaie) qui seront fonction de l’aptitude de chacun dans la sélection socio-historique à hériter ou acquérir la propriété économique, ou de se situer dans la hiérarchie du salariat.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement pour le salariat d’avoir un travail, mais d’être associé à la définition des conditions de son exécution et par-là d’avoir accès à toutes les libertés publiques que l’État garantit par le droit ou par contrat.
Toutefois ces conditions ne sont pas définitives et il est toujours possible d’en définir de nouvelles ou en restreindre certaines, pour s’insérer dans une solidarité organique dans laquelle chacun exprimera ce qu’il pense devoir être la «liberté de son individualité. »
Cette liberté sera bien évidemment suggérée par la condition sociale et par l’éducation de l’individu concerné. Pourtant soumis à n’importe quel examen cette «liberté de son individualité » (que l’on considère souvent être la liberté arbitraire) se révèle n’être qu’une appréciation personnelle de la «liberté positive » en fonction de l’évolution des valeurs normatives. Elles même redéfinies par la recherche de cette liberté transgressive au nom de l’intérêt individuel permis par la liberté subjective.
Pour suivre cela il faut se référer à la Constitution de 1946 qui par un rappel de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacre un certain nombre de droits. Ce sont les droits économiques et sociaux, comme la liberté syndicale, la liberté du droit de grève, le droit à l’emploi, le droit à la détermination des conditions de travail par la voie de conventions collectives, garantit la protection de la santé, l’accès à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. Toutes ces garanties furent reprises et sont dans la Constitution de 1958 sous laquelle nous vivons aujourd’hui.
Rapporté comme cela, il semblerait qu’il ait seulement fallu légiférer pour qu’apparaissent les moyens garantis et que le droit les préserve. Or cette vue n’est qu’un joli conte et c’est méconnaître son histoire sociale que de croire cela. Notre société est parvenue à ces garanties constitutionnelles, par une lutte permanente, illégale de fait, par transgression des lois définies sous des gouvernements qui affirmaient tous garantir les libertés publiques issues de la déclaration des droits de l’homme, sur lequel veillait les systèmes judiciaires.
Friedrich Hegel disait : « les Orientaux ne savent pas que l’esprit ou l’homme est libre en soi. Parce qu’ils ne le savent pas, ils ne le sont pas. Ils savent uniquement qu’un seul est libre. Chez les Grecs et les Romains existe le savoir que quelques-uns sont libres, et c’est seulement dans le christianisme qu’on en est arrivé à la conscience que l’homme en tant qu’homme est libre. » L’essence de ce thème consiste à considérer que celle-ci est la prise de conscience que la liberté est la liberté de tous, et qu’elle ne peut pas être une liberté définie par quelques-uns. Car comme nous l’avons dit ci-dessus, l’histoire nous démontre que tous les combats pour la liberté font surgir de nouvelles oppressions ; de telle sorte que la conscience de la liberté s’affirme par une privation de liberté qui passe inaperçue dans l’individuation.
Ainsi, il n’y a pas de liberté qui soit immanente en dehors de celle issue de la condition humaine, et comme elle a été reconnue, elle peut tout aussi bien disparaître, pour cela il suffit d’en revenir à ceux que nous avons présenté comme la « liberté arbitraire », « le faire ce que je veux » de l’Un avec les moyens fournis par la nature. Comme l’homme ne peut existe seul, il doit trouver les moyens d’asservir les Autres pour exercer sa toute puissance. Mais ceci ne peut pas se produire par un retour vers un ordre « animalier » ou d’une organisation de la solidarité « mécanique. » Dans le meilleur des cas ce sera vers une tyrannie ou une anomie, et dans le pire des cas vers un cloaque (annexe n°1) pour reprendre l’expression de Calhoun.
La liberté systémique.
Tout ceci parce que l’on n’est toujours pas capable d’imaginer une liberté de tous, alors qu’on ne peut la garantir et la préserver pour un que si on la veut pour tous.
Ce sont les limites actuelles de la logique de notre réflexion qui s’actualise dans une structure civilisatrice qui recompose par apprentissage les mêmes schémas plus affinés de la solidarité «mécanique », au service d’une minorité agissante investi par le fait social, et repousse toutes les innovations grâce à la répression qu’exerce le système d’autorité dominant. Mais dans les démocraties qui se veulent les garantes contre la servitude, pour que l’Un domine, (faute d’un hypothétique coup d’État), il reste l’éternel moyen économique qui revêt le double caractère de pouvoir «libérer » et asservir l’Homme.
Le libérer des tâches d’un travail nourricier qui le contraint à les exécuter pour se donner du temps de non/travail, et l’amener ainsi à vivre une forme paradoxale de liberté dont il n’a pas conscience qu’elle en est en fait privative.
La démonstration la plus évidente est que, depuis la fin des «Trente Glorieuses » le taux de croissance sur lequel repose la «liberté » issue du travail n’est plus suffisant pour maintenir le plein emploi. Devant cette incapacité récurrente, les phénomènes de transgression se sont multipliés et ont favorisé une politique sécuritaire dont la réponse, devant l’incurie du système d’autorité à y faire face, est d’accroître le système répressif et de proposer pour toute relance, en réponse à l’accroissement de la misère la construction de prisons. Et pour ceux que le système répressif découragera, ils devront supporter leur misère dont nous savons pertinemment qu’elle est privative de capacité de consommation et d’action. Celle-ci qui dans notre système économique et un des générateurs de croissance, mais surtout d’une forme de valorisation existentielle sans laquelle les individus se sentent atteint dans leur dignité humaine.
Par le miracle du langage, le travail et la nécessité de son exécution, est devenu libérateur, là ou il ne s’agit que de lui reconnaître qu’il est un passage obligé et nécessaire qui concourt à l’amélioration du niveau de vie et d’un plein ou meilleur usage de notre condition humaine (dont l’avenir nous dira à quel prix, mais c’est un autre débat), parce que ceux qui se faisaient exploiter se sont révoltés. Parce que nous n’avons que des analyses amnésiques, nous ne retenons sur des millénaires qu’une période de trente ans comme référence, en oubliant toutes celles miséreuses qui l’ont précédée, même si elles ne se reproduiront pas à l’identique. Et c’est parce qu’elles ne se reproduisent pas à l’identique dans l’évolution des sociétés, que dans l’analyse sociale il est si difficile de les apprécier et les reconnaître dans la comparaison. Le plus souvent c’est le décor théâtral qui change, bien que les scénarios soient des remakes. Mais les conséquences psychologiques qui en découlent pour les individus, elles, sont identiques.
En conséquence, apprécier la liberté de l’exercice de sa condition humaine demande en permanence d’analyser les systèmes d’autorités avec leurs agents qui sont : qui «détient » l’argent ? Qui «détient » l’information ? Qui «détient » la propriété.
Par contre, la liberté subjective est promise à tout le monde, sachant par avance qu’elle est à ce jour inorganisable, puisque c’est la liberté de Tous. De telle sorte que chacun s’en démettra pour la confier à des «groupes » qui exerceront la réalité du pouvoir des systèmes d’autorités (en s’étant fait leurs agents.) Et pour ceux qui ne percevront pas ce dont ils peuvent être solidaires, il leur restera la conquête du pouvoir de transgresser ces systèmes d’autorité au nom du droit à la liberté d’exister.
Au nom de la notion de la liberté les dominants exigent d’être les maîtres.
Alors il devient nécessaire d’être attentif au langage utilisé et aux réalités qu’il recouvre.
Nous aurions demandé à un esclave grec s’il se pensait esclave, il aurait certainement répondu que telle était sa condition de naissance et que son espoir d’une amélioration se situait dans la perspective de pouvoir être affranchi ou de pouvoir acheter sa liberté pour accéder au statut supérieur. Quelques milliers d’années plus tard nous sommes dans la même situation. Si on demandait à un salarié s’il se sent esclave il vous dirait que non, mais qu’il espère pouvoir être affranchi de sa situation sociale ou de pouvoir disposer d’assez d’argent pour accéder au statut supérieur d’indépendant. Ainsi « les Hommes naissent égaux » mais chacun dans des conditions sociales définies par celles de leurs parents et les chances d’en sortir sont minimes. Pourtant nous n’avons toujours pas réussi à dire que le salariat était la forme actuelle de «l’esclavage », cela parce que nous ne sommes pas les historiens de notre civilisation.
Notre ambition n’est pas de redéfinir la liberté mais de la sortir du mysticisme qui nous conduit à ne pas nous rendre compte de ceci : dans les siècles passés les dominants se sont installés en utilisant les systèmes d’autorités en place (politico-religieux) qui étaient leurs dieux. Le catholicisme dominant en Europe a investi tous les pouvoirs et béni tous les « maîtres », de telle sorte que les maîtres se prévalaient et se revendiquaient de cette autorité pour exercer leur arbitraire (le droit divin). Aujourd’hui le mécanisme est le même, pour faire partie des dominants il faut se référer au système qui le légitime, «la notion de liberté », et en son nom les dominants exigent de pouvoir être les maîtres.
Ainsi, ce mot censé nous libérer des «maîtres » nous asservit à d’autres par l’intermédiaire de leurs agents.
Peut-il en être autrement ?
Malheureusement nous ne répondrons pas à cette question. Mais si nous ne pouvons pas répondre à celle-ci nous pouvons dire que lorsque nous observons ce qui est aujourd’hui notre sociabilité, celle-ci ne nous apparaît pas avoir pour fonction de permettre aux hommes de se rapprocher, mais plutôt d’être l’instrument ou un état d’être ayant pour objectif de ne pas gêner les autres dans leur désir d’obtenir «la liberté arbitraire. »
Notre sociabilité n’a alors pas pour fonction de faciliter l’affiliation mais de préserver l’individualisme.
Or nous savons que «la liberté arbitraire » de chacun ne peut se suffire à elle-même pour exister. Partant de là tout système qui s’y référera idéologiquement, pour une autre fonction que son rôle «d’attracteur inné », est voué à l’échec. Non parce que nous ne pourrions pas vivre la «sélection naturelle actualisée à notre monde culturel », mais parce que nous avons fait de la recherche de biens, le socle, la base, de notre richesse matérielle et intellectuelle (la rareté).
Dans ce cadre là, la réalité historique des faits est prégnante, et elle nous démontre que la «liberté arbitraire » était le propre des tyrans culturels, et que le droit n’a jamais garantit quelque liberté que ce soit, sinon celle de ceux qui l’établissent pour réguler la sociabilité de la communauté humaine dans l’objectif de produire et de se répartir dans un échange inégal la richesse réalisée.
Dans le domaine des libertés, il conviendrait mieux de parler des devoirs qu’ont les hommes les uns envers les autres pour se garantir ce qui constitue l’essence de leur existence : agir pour s’épanouir avec toutes les aptitudes et créations du cerveau humain ou de son Être. Mais cela n’est possible qu’après un long apprentissage de la maîtrise de la «sélection naturelle » faite de «sage liberté » et «d’esclaves passions » posées par les stoïciens. Cette maîtrise nécessite d’acquérir une capacité transgressive de jugement dans la construction de la normalisation de sa personnalité, avec comme ultime rempart son «for intérieur » (conscience) pour ne pas faire aux autres ce que l’on n’aimerait pas qu’ils nous fassent. Ceci tout en s’intégrant dans une organisation productive et politique qui exige de s’y investir, de comprendre l’utilité de la place que l’on y occupe et d’être reconnu pour celle-ci, afin de concevoir les biens et services discutables qui nous paraissent, à tort ou raison, indispensables, et d’assumer une évolution plus ou moins rapide qui s’imposera de fait.
Cela paraît si simple à dire que nous pouvons nous demander pourquoi nous ne l’avons pas réalisé ?
Personne ne sera donc surpris que nous disions que nous n’avons pas la réponse. Mais chacun pourra en avoir une idée indicative au travers de l’étude de Calhoun sur une colonie de rats, même si elle ne peut coller parfaitement à la complexité Humaine et parce qu’elle a été menée en laboratoire pour l’utilité de sa cause, (voir annexe n°1.)
1 Notes des auteurs. Les règles de bases observables concernant les espèces les plus proches de nous laissent apparaître l’existence d’une fonction d’aptitude de dominant pour chaque individu d’une espèce. Chacun individu est apte à jouer ce rôle de dominant par défaut de l’expression d’un dominant supérieur. Ceci de manière de pouvoir assurer dans tous les cas le développement de l’espèce par la sélection du meilleur géniteur. C’est au travers de cette sélection du meilleur géniteur que s’élaborent les règles sociétales organisatrices de chaque espèce.
2 Notes des auteurs. Par environnement nous incluons également la perception directe qu’a l’Homme de l’évolution de son propre organisme (pathologies ou vieillissement, aptitudes ou capacités).
3 Notes des auteurs. Rien ne surgissant spontanément, il faut bien imaginer que la nature humaine avait fait l’objet de l’observation de bien des hommes dont les uns et les autres ont rapporté ou écrit ce qu’ils en comprenaient. Ainsi dans la longue chaîne de ceux qui ont défini petit à petit la condition humaine, nous trouvons les moralistes de l’antiquité, comme les stoïciens par exemple, Cicéron pour la Rome, les pères de l’église qui insistaient sur la liberté de la nature humaine restaurée par Christ. Mais aussi saint Thomas d’Aquin, ou encore Vazquez suivi de François Suarez son élève qui contribua au développement du laxisme représentant la tendance extrême du probabilisme des jésuites, on terminera sur Grotius car la liste serait longue. Ce n’est pas pour autant que la liberté d’exercer sa nature humaine fut proclamé, car pour cela il faudra attendre la révolution. Ce sont donc d’autres événements qui conduiront à la proclamation des droits de l’homme.
4 Notes des auteurs. Dans le cadre de l’élaboration de la déclaration universelle des droits de l’homme le 19 août 1789, Rabaut-Saint Etienne développe le vœu pour une « déclaration simple, claire, d’un style qui fût à la portée du peuple, renfermât toutes les maximes de liaison et de liberté qui, enseignées dans les écoles, formeraient une génération d’hommes libres capables de résister au despotisme.» Ainsi le contenu de la déclaration revêt moins d’importance que le fait qu’elle soit écrite car, le fait que « l’homme naisse libre » été connu de puis fort longtemps comme nous l’avons indiqué dans la note précédente, mais pour la première fois cela était écrit de manière non équivoque, et était reconnu comme un droit inaliénable. Bien sûr c’est là un principe que l’histoire en son nom continue de transgresser, quand les États qui s’y référent ne donne pas aux hommes les moyens de son exercice, ce qui conduira à la définition de droits sociaux. Ces mêmes droits qui, inégalement développés dans les différents États, font l’objet de lucratives plus values dans les relations commerciales, et dont les États qui se référent si souvent à la liberté dans la pratique économique de leurs citoyens ou de leurs systèmes économiques, se gardent bien d’y pousser au développement des droits sociaux.
5 Note des auteurs. De nos jours et après bien des travaux conduit par des éthologistes, nous savons que les animaux disposent eux aussi d’un langage, et que certains ont des comportements sociétaux que certains éthologues qualifient de culturelle. Lestel. Les origines animales de la culture. Champs/Flammarion. 2001.
6 Notes des auteurs. Ce risque est parfaitement développé dans l’essai sur la condition animale réalisé sous la direction de Boris Cyrulnik. « Le monde propre de l’animal n’est pas le reflet de la réalité. La transposition de nos représentations humaines à des êtres sans langage n’est pas satisfaisante, quand on est convaincu que les images que l’on prête parfois aux animaux sont tributaires de nos concepts, et que la perception est un processus complexe lié à la sémantique ». Alain Gallo et Fabienne De Gaulejac sous la direction de Boris Cyrulnik, Si les Lions Pouvaient Parler, Éditions Gallimard, 1998, p329.
7 Note des auteurs. La sélection naturelle biologique. La notion de sélection (du latin selectio, choix) revêt une importance capitale en biologie, qu’elle soit appliquée ou fondamentale. Le tri qu’implique toute sélection porte ici sur la diversité phénotypique et génotypique des organismes, diversité dont l’existence a été reconnue, au sein de toute population, et a fortiori de toute espèce. La sélection dirigée par l’homme est qualifiée d’artificielle, par opposition à la sélection naturelle, force évolutive d’une puissance fantastique, dont le moteur est la nature même, jouant par l’interaction de tous ses paramètres depuis l’origine de la vie. Les diverses conceptions «Étant donné que plus d’individus sont produits qu’il n’en peut survivre, il doit exister dans chaque cas une lutte pour l’existence, soit entre un individu et un autre individu de la même espèce, soit entre individus d’espèces différentes. Peut-on, dès lors, considérer comme improbable, puisque des variations utiles à l’homme sont manifestement survenues, que d’autres variations utiles en quelque manière à chaque être vivant, dans la grande et complexe bataille pour la vie, se soient parfois produites au cours de milliers de générations ? S’il en va ainsi, pouvons-nous douter (en nous rappelant que bien plus d’individus naissent qu’il n’en peut survivre) que les individus possédant un avantage quelconque, si minime soit-il, sur les autres auraient une meilleure chance de survivre et de procréer leur propre type ? Inversement, nous pouvons être assurés que toute variation, délétère à quelque degré, serait impitoyablement éliminée. Cette préservation des variations favorables et ce rejet des variations défavorables, je l’appelle la sélection naturelle.»
C’est ainsi que Charles Darwin, dans The Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the struggle for Life (1859), définissait la sélection naturelle sur laquelle reposait sa théorie de l’évolution. Les recherches entreprises indépendamment, notamment par R. A. Fisher (1930), S. Wright (1931), J. B. S. Haldane (1932), G. Teissier et P. L’Héritier (1933), devaient heureusement assurer le regain du darwinisme en le faisant bénéficier de l’acquis génétique et conduire, par intégration des données accumulées par les systématiciens de populations et les écologistes, à la théorie synthétique de l’évolution. Leur mérite essentiel a été de faire comprendre que la sélection naturelle était un processus statistique, jouant en termes de probabilités sur des populations naturelles; il n’est pas question d’une survivance automatique et exclusive du plus favorisé, de la fameuse «survivance du plus apte», selon le slogan de Spencer, mais de tenir compte du simple fait que le plus apte a, dans des conditions définies, une probabilité plus grande de transmettre ses caractères. La sélection naturelle assure en fait la transmission statistiquement préférentielle de ces génotypes (E. Mayr, 1964).
On comprend, par là même, que la sélection sexuelle soit considérée par beaucoup d’auteurs comme une forme particulière de sélection naturelle. Elle consiste dans le fait que les mâles les plus vigoureux (dans les contacts qui préludent aux accouplements), ou les plus entreprenants, ou les plus subtils, prennent le pas sur leurs rivaux dans la séduction et la possession des femelles, trop souvent considérées, à tort, comme passives. Elle serait responsable, pour beaucoup, des manifestations le plus souvent étonnantes du dimorphisme sexuel chez la plupart des espèces gonochoriques, manifestations morphologiques (développement de structures hypertéliques chez les mâles, couleurs éclatantes de l’un des deux sexes, au moins au moment des pariades) ou éthologiques (postures, chants, danses, offrandes). L’importance relative d’une vigueur liée à l’hétérozygotie des mâles et de facteurs comportementaux fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches expérimentales d’un grand intérêt.
Sélection artificielle
C’est par la mise en œuvre de méthodes sélectives que l’homme, depuis des temps reculés, a réussi à améliorer des variétés de plantes utiles : légumes, céréales, arbres fruitiers et des races d’animaux domestiques, ou même à créer de nouvelles variétés ou races.
Les recherches orientées des sélectionneurs et des agronomes modernes, avertis des données de la génétique formelle et quantitative, n’ont que de lointains rapports avec les essais désordonnés des agriculteurs ou éleveurs des siècles passés, dont les succès pragmatiques ne sauraient pourtant être minimisés. Les «nouveautés» ont souvent pour origine une simple mutation ou une nouvelle combinaison génique, conférant à un individu donné un caractère inhabituel, plus ou moins frappant, que les hommes, par intérêt ou curiosité, se sont efforcés de perpétuer. Ainsi sont nées d’innombrables races stabilisées, parfois belles, ou étranges, ou monstrueuses : races de chiens, de chats, de volailles, moutons et bœufs sans cornes, chiens et bovins bouledogues, végétaux nains ou pleureurs, fleurs doubles, variétés de pelage ou de couleur n’en sont que quelques exemples. L’obtention de races pures est plus ou moins aisée : la sélection d’un gène récessif est beaucoup plus rapide que celle d’un allèle dominant (les hétérozygotes étant le plus souvent indiscernables des homozygotes dominants). Le danger que représentent pour le maintien de telles races des croisements successifs entre descendants (in-breeding), donc une consanguinité trop poussée, ne doit jamais être sous-estimé. L’homme a été tenté, depuis l’Antiquité grecque, par l’idée d’améliorer les populations de sa propre espèce. En théorie, un tel eugénisme ne pourrait avoir que d’heureuses conséquences sur la vie sociale, par suppression des tares. Mais si l’on peut envisager un succès biologique en ce qui concerne les tares dominantes (à condition d’appliquer à l’homme les techniques zootechniques d’extermination ou de castration des «anormaux»), une élimination des tares récessives, de loin les plus nombreuses et les plus délétères, s’avère rigoureusement impossible. Seule une entrave aux mariages consanguins peut réduire la fréquence des maladies récessives [cf. EUGÉNIQUE ET EUGÉNISME]. Si dans l’ensemble, les résultats de la sélection artificielle sont et continuent d’être remarquables en ce qui concerne la biologie appliquée, ils demeurent, d’un point de vue évolutif, limités par le facteur temps (quelques milliers d’années seulement) à la différenciation de simples races. Ils ont cependant fourni à Darwin (après que le fait d’évolution se fut imposé à lui au cours du voyage sur le Beagle, et qu’il eut eu connaissance de l’œuvre de Malthus) et à A. R. Wallace le modèle élémentaire de cette force omnipotente depuis quelque trois milliards d’années qu’est la sélection naturelle. Commentaire de Bocquet Charles, ex-professeur à la faculté des sciences de Paris, ex-directeur du laboratoire de génétique évolutive et de biométrie du C.N.R.S.
8 Notes des auteurs.
C’est le rapport d’un sujet libre avec son propre corps et l’arbitraire dont il est capable dans l’appréciation de la situation globale qui l’entoure en fonction de son seul intérêt.
9 La construction de grandes zones de libre-échange et des marchés uniques macro régionaux a ouvert la chasse aux universaux culturels. La création d’un marché unique d’images est un enjeu des redéploiements industriels. Cette quête d’une culture globale à travers des chaînes panaméricaines, pan asiatiques, paneuropéennes ou tout simplement planétaires s’appuie sur les messages distillés au fil des ans par la culture de masse dans l’imaginaire de consommateurs appartenant pourtant à des cultures très diverses. Comme le reconnaissait en 1986 un expert en campagnes de marketing global: “Il faut capitaliser les symboles et les références culturels universellement reconnus [...]. Sans l’éducation pratiquée par le cinéma et la télévision, qui ont divulgué l’image de l’Américain de l’Ouest au caractère viril et vigoureux, la prolifération de la marque Marlboro, par exemple, n’aurait pas été possible.” En termes techniques, c’est ce que les stratèges de la gestion des marchés transfrontières appellent la “convergence culturelle des consommateurs”, postulat de base de l’“approche globale”. Croyant s’effacer sous les mots génériques “global” et “globalisation”, l’industrie de l’entertainment américain et ses matrices de production sont toujours bien présentes dans les têtes. Ses produits sont des “supports naturels d’universalité”. De même, la langue de la globalisation n’est pas la langue de Shakespeare mais l’anglo-américain. Mattelard Armand, professeur en sciences de l’information et de la communication, université de Paris-VIII (Saint-Denis Vincennes).
Prendre aujourd’hui conscience de la référence «au biologique », (qui nous est scientifiquement plus accessible) c’est être conscient d’une «dépendance » totale à ce que les anciens appelaient la «nature, ou dieu ».
Alors quand nous parlons d’autonomie de quoi nous parlons ?
Nous parlons de se définir par rapport à un pouvoir, une autorité, une hiérarchie et des moyens qui façonnent les individus comme pour la liberté. Cela compte tenu de la limite de la compréhension de nos intérêts dans «une solidarité organique » qui, s’ils conduisent à «nuire » à autrui, à léser ses intérêts, celui-ci, en réaction, réclamera au nom de la liberté subjective son autonomie en fonction du développement de ses aptitudes dont la nature biologique l’a investie. Même si cette science biologique sert aussi les buts idéologiques qui y trouvent une confirmation de «l’individu sujet unique » et l’amalgame avec l’individualisme qui justifie le besoin de possession névrotique insatiable, comme si cela allait de soi.
La conséquence de cette appréciation de l’autonomie individuelle de plus en plus grande entraîne un rejet croissant des formes de contraintes extérieures, et donc du contrôle externe. Contrôle externe qui est exercé par les communautés politiques et religieuses, d’une manière séculaire au travers de l’apprentissage générationnel et au fil des modifications apportées successivement à la liberté positive.
L’évolution actuelle de la notion d’autonomie, à laquelle nous nous référons de plus en plus pour toute chose est issue des années soixante-dix (1970). Elle est poussée par les mutations économiques et sociales et elle induit un conflit générationnel sur fond de normes et valeurs.
Présentée comme cela, nous pourrions penser que l’autonomie est un sujet moderne. Pourtant toute l’antiquité en parle, Épictète, Aristote, Platon, les modernes, Pascal, Rousseau, Kant, et tant d’autres sans trouver malgré le talent de ses personnages une définition universelle, si ce n’est d’y reconnaître la définition de la liberté. Et pour cause. Car elle ne s’apprécie que dans le rapport à l’autre ; dans l’intérêt que se portent les individus à prendre conscience qu’ils constituent une communauté Humaine de jugements éclectiques.
C’est-à-dire à une communauté (tous) qui concourt au développement de la capacité de jugement et d’aptitude des individus qui la composent (eux-mêmes), afin que la communauté soit capable d’assurer l’obéissance variable (solidarité) rétroactive qui en découle. De telle manière que la communauté humaine exerce un contrôle externe, pour que l’intérêt arbitraire «attractif » de l’individu ne soit pas celui de la destruction de la communauté humaine au travers de ses communautarismes et de ses sociétés culturelles closes. Ceci tout en permettant à la communauté de ne pas se dogmatiser et repousser une évolution générique qui s’exprime au travers du mysticisme (tendance à se fonder sur le sentiment, l’intuition).
Les Hommes doivent s’évertuer de faire la plus juste traduction de ce mysticisme par l’apprentissage de ce qu’ils SONT au moyen d’une connaissance qui s’actualise en permanence.
Tout ceci ne peut se réaliser que dans une capacité à la socialisation.
Or, aujourd’hui ce que nous voulons de cette sociabilité dans l’exercice de la citoyenneté est à l’image de la rationalité de la «communauté économique ». Cette dernière se réclame de la «liberté arbitraire » au nom de la liberté de chaque individu à être autonome, grâce à une indépendance économique obtenue par le droit de la propriété économique et vice versa.
De fait cette «communauté économique » qui s’est structurée, a placé inévitablement la communauté humaine comme source d’intra exploitation arbitraire. Toutefois la communauté économique rejette le contrôle externe de la communauté humaine quand celle-ci veut s’émanciper de la servitude qui a émergée de la communauté économique. Mais paradoxalement cette communauté économique réclame ce contrôle pour ne pas subir les conséquences néfastes de la rationalisation comptable des échanges qui s’en est dégagée grâce au développement des sciences (comme les mathématiques et l’informatique), et qui conduit à l’appauvrissement de certaines catégories qui parfois s’insurgent, guidées la plupart du temps par une fraction «d’intellectuels humanistes ».
Ainsi, la propriété économique, dans sa répartition inégale historique (et nous ne parlons que de celle-là pour qu’il n’y ait pas de confusion avec la propriété de biens qui ne concourent pas à une quelconque production), est privative d’autonomie pour ceux qui n’y accèdent pas et qui exercent une activité de salarié en son sein.
Elle est privative parce qu’ils sont soumis à l’autorité des propriétaires qui organisent les consignes d’obéissance (discipline) nécessaires à la fabrication du produit (production/commercialisation) dont ils tirent les moyens de leur existence (leur propre autonomie), et qui est garantie par l’organisation politique.
Ainsi l’autonomie issue de la propriété économique sur laquelle notre système industriel repose (et qui incite chacun à en disposer), ne peut exister et être créative que dans la mesure où ce système industriel «capitalise » les moyens autour d’initiatives limitées.
Les autres (les non possédants) faute de disposer de cette autonomie dans une concurrence sélective pour la recherche de la propriété économique, devront rechercher leur autonomie économique en répondant à la demande de celui qui la possède, et qui requièrent l’aide d’autrui pour aboutir à leurs objectifs1.
Donc l’individu salarié se trouve dans la situation où il doit rechercher son autonomie financière et par-là sociale, dans la dépendance de l’initiative arbitraire d’autrui. Partant de là on comprend le rôle qu’a à jouer la communauté citoyenne (chaque citoyen par l’État) pour exercer un contrôle externe régulateur par son organisation politique, comme ce fut le cas dans la crise de 1929 (interventionnisme de l’État).
Cette organisation politique résulte en définitive de l’action de ceux qui sont «asservis » et qui forment la classe la plus nombreuse (dépendant de l’initiative des autres et non, «partenaire ») qui élisent généralement (dans les démocraties) les systèmes d’autorités qui les asservissent.
Mais c’est aussi la classe la moins apte2 à prendre des initiatives et la plus prompte à se démettre de ses véritables pouvoirs, pour se satisfaire de «pouvoirs intermédiaires » qui leur donnent un ascendant sur les membres de leur classe.
Si l’on observe où se trouve ce véritable pouvoir, on en arrive au constat que, sans leur concours, rien ne peut aboutir et donc que l’autonomie des détenteurs de la propriété privée économique dépend de la socialisation que développe la solidarité organique.
Ceci est fondamental. Toute société organique fondée sur la division du travail est inégalitaire. Elle définit la source de revenus qui de plus ne doit pas représenter un surcoût d’exploitation, tout en maintenant une consommation suffisante permettant la croissance et la capitalisation. Sans cela il n’y aurait pas de mouvement, pas d’évolution positive ou négative.
De plus, ayant une organisation économique basée sur le principe de la rareté, peut-on être surpris qu’il y ait des exclus ; peut-on encore s’illusionner de croire qu’un tel système donnera les moyens de les supprimer, puisque c’est son principe qui les génère.
En demeurant dans un tel système réduire les inégalités qui conduisent à l’exclusion ne signifie pas les supprimer, mais les annihiler (paralyser), faire en sorte qu’elles ne se stratifient pas dans des groupes ou des castes sociales, qu’elles ne maintiennent pas les individus concernés dans une misère intellectuelle et financière dégénérative qui les empêchera d’en sortir, et dont les plus actifs feront appel à des moyens légaux ou «transgressifs » pour y échapper.
Chacun peut parfaitement comprendre qu’un individu qui n’a pas les moyens de se nourrir ne peut faire l’effort de travailler la terre de laquelle il pourrait tirer sa nourriture, s’il ne reçoit pas de l’aide d’un autre bien portant.
Ainsi, annihiler les inégalités ne peut pas reposer sur une organisation rationnelle de type recherche «coût/avantage » individuel issue de l’organisation économique qui les a générées. Ceci doit reposer sur une volonté politique de socialisation dont le coût ne peut pas s’appuyer sur le système qui a généré les inégalités car il limiterait de fait cette volonté politique. Cette socialisation est obligatoirement, de fait, intergénérationnelle, les uns travaillant pour eux-mêmes, pour les autres et pour ceux à venir, et non pas pour s’ajuster au rapport «coût/avantage », mais pour que celui-ci s’ajuste à l’évolution des populations issues du principe initial du surplus de production qui a débouché sur la division du travail. Donc sur une capacité à la socialisation.
Or, notre socialisation repose de plus en plus sur la recherche d’un intérêt privé individuel assis sur le principe «chacun doit payer pour soi » (au nom d’une pseudo responsabilité compensant l’effondrement d’une éducation civique citoyenne et l’effondrement d’une identité ouvrière) qui constitue un leurre car il cache de manière idéologique l’entraide intergénérationnelle ramenée à un coût d’exploitation rationnel «clientéliste ».
De cette manière l’on souscrit une assurance privée individuelle qui cache sous son discours individualiste que de toutes les manières vos aléas seront payés par les Autres, et non pas par la compagnie d’assurance qui ne sert que d’intermédiaire pour réaliser un résultat financier, même si cela se fait parfois par l’intermédiaire du marché financier. Mais si ceci satisfait à l’idéologie dogmatique individualiste, çà fragilise et même déstructure ce qui fait la solidarité de toute société, la solidarité intergénérationnelle, et par-là aussi la socialisation car les individus ne perçoivent plus ce en quoi ils peuvent se sentir solidaires les uns des autres entre générations, y compris celles à venir.
Alors la solidarité d’entraide se formalise dans des actions caritatives plus ou moins aléatoires (dons) qui n’offrent pas une stabilité de structure capable de faire face aux inégalités, en offrant une stabilité sociale valorisante paralysant les effets inégalitaires. C’est la charité qui, si elle est valorisante pour ceux qui si adonnent, est le plus souvent humiliante pour ceux qui la reçoivent, car elle leur signifie qu’ils sont à l’écart de l’activité de la société. Par contre la solidarité d’entraide organisée intergénérationnellement signifieraient que les citoyens ont la connaissance pleine et entière que toute organisation économique produit des effets désocialisations qu’il convient de paralyser structurellement et sociologiquement.
Pour maintenir les citoyens concernés dans une activité sociale valorisante tout ce différentiel lié à l’évolution de toute société ou aux mutations économiques produisant des situations d’exclusions, doit faire l’objet de traitement «artificiel » (endettement créateur de monnaie) par rapport à l’organisation économique en vigueur, si celle-ci n’est pas suffisante pour les annihiler. Or, cette forme de solidarité est perçue par «l’ultra libéralisme » comme paralysant les motivations créatrices, et nous attendons généralement du système qui génère les inégalités désocialisantes que celui-ci les supprime. Le plus souvent en mettant en avant l’augmentation nécessaire de la croissance. Pourtant dans un secteur comme celui de la santé ou la demande de soin est exponentielle, donc susceptible de générer une croissance basée sur la recherche d’une qualité des soins, il n’est de cesse que l’on nous répète qu’il nous faut réduire cette consommation génératrice d’emplois (industrie pharmaceutique et service médicaux et para médical). Alors que dans le même temps les conditions stressantes d’emploi entraînent des pathologies auxquels s’ajoutent les maux liés à la désocialisation et l’ensemble ne fait que croître.
Ainsi pour des raisons financières nous acceptons un paradoxe de plus : celui où les conditions globales d’emplois engendre des troubles qu’il faut soigner, et justifie la demande de soins, et d’un autre côté il est mené une politique qui n’a de cesse d’en restreindre les moyens collectif, sauf quand chacun se les offre par les «assurances privées à but lucratif ».
Ainsi le système ultra libéral non content de ne pas les supprimer les inégalités désocialisantes utilise les conséquences de l’insécurité sociale qu’il engendre pour proposer ses services et offrir par l’intermédiaire d’assurances privées une garantie contre ses propres effets néfastes tout en réalisant de nouveaux bénéfices (tel les assurances privées contre le chômage). En d’autres termes c’est comme si un pompier mettait le feu à votre maison et vous proposait ensuite ses services payants pour éteindre l’incendie qu’il a allumé. Dans un cas, aussi évident, chacun crierait au scandale.
Alors pourquoi l’acceptons-nous sans rien dire ?
1 Note des auteurs.
Le cas le plus flagrant est la «demande » du facteur travail par l’entreprise et «l’offre de travail émanant des demandeurs d’emploi. Offre et demande se confrontent sur le marché du travail.
2 Note des auteurs. Il ne s’agit pas de dénigrer les capacités des individus, mais de constater l’absence de culture socio-économique qui réduit leur vision à une seule perception de l’immédiateté qui limite de fait leur compétence.
Sans doute à cause d’un long processus de tertiairisation qui a mené la classe ouvrière à s’écarter de son identité au gré du boum technologique et de l’enrichissement qui en a découlé, jusqu’au point de penser appartenir à la classe supérieure grâce à la sémantique valorisante qui est sortie de ce « boum ». Elle s’est faite porteuse d’une rationalité économique, d’un rapport coût/avantage qu’elle a importé dans tous les systèmes de solidarité intergénérationnels ou mutualistes en les considérant comme un «service marchand » et non comme un «service socialisant ».
Au lieu d’en réclamer le coût au capital, elle le réclame à l’État qui leur soutirera de leurs propres revenus par l’impôt et charges, alors que le capital refuse toujours d’y participer et incite les particuliers (par l’action politique de ses représentants quand ils sont à la tête de l’État) à procéder à une démarche identique, tout en leur proposant des services financiers pour faire un investissement productif sur les inégalités désocialisantes.
Ici il ne s’agit pas du faux débat «privé contre public » qui est mis en exergue pour cacher cette réalité, mais du pouvoir associatif des masses salariales les plus nombreuses qui se révèlent inaptes à accompagner et gouverner le diktat d’une élite active qu’elles génèrent et entretient.
Des individus qui s’associent, pour organiser un système mutualiste par exemple, est totalement de droit privé, et tous les membres qui y adhérent en deviennent propriétaires du groupe mutualiste par le biais de cette adhésion. Comme chaque membre en est propriétaire, il est inutile que l’association distribue des dividendes et de fait, l’intérêt individuel de chaque membre se trouve dans la rentabilité qui engendre soit une baisse des cotisations ou l’augmentation des services qu’elle couvre. Le but affiché est donc non lucratif dans le sens ou une personne qui apporterait son capital ne recevrait aucun dividende, et ne pourrait songer à s’enrichir personnellement sous un tel régime. Par ailleurs en fonction de l’efficacité des gestionnaires les adhérents pourront se garantir de meilleures prestations pour améliorer leurs conditions d’existence.
C’est la problématique autour de la «Sécurité sociale » qui appartient de droit (privé) à tous ses cotisants et dont le rêve de certains est de faire passer ses activités aux assurances privées à but lucratif, de telle manière que des investisseurs puissent, en apportant leurs capitaux à ses compagnies en retirer des dividendes, ce qu’ils ne peuvent pas faire avec les organismes à but non lucratif.
Donc le débat n’est pas «privé contre public », mais celui d’une élite (dominants systémiques1) contre la capacité des masses à prendre des initiatives pour s’organiser en dehors de ces élites. Alors se pose le problème pour cette élite dominante d’amener une activité de service socialisant non marchand (mutualisme ou Sécurité Sociale) à devenir un service marchand pour que des individus investisseurs puissent faire du profit dessus.
De fait, on transfère la propriété de tous les adhérents de ces organismes à but non lucratif à quelques particuliers, par un processus insidieux qui consiste à réduire ses services ou à les rendre plus coûteux pour que ses membres aillent chercher des services ailleurs.
Cependant pour exprimer la solidarité inter générative il n’est pas nécessaire effectivement de passer par l’État. Il est seulement nécessaire de se regrouper autour d’une identité socialisante indépendamment du fait de savoir qui possède quoi au nom de la propriété économique, ce qui est tout le contraire de la recherche d’une autonomie individuelle.
Or, comme le droit de propriété est individualisant, dans de tel organisme mutualisant qui réparti sa propriété aux masses d’adhérents, ces derniers ne se sentent pas concernés de fait, si bien que les «dominants systémiques » non de cesse que de la leur reprendre ou conquérir à partir du moment où ces derniers ne se sentent plus solidaire des services socialisants des systèmes mutualisant, mais se considèrent comme de simples clients.
On voit de cette manière que l’autonomie ne s’apprécie pas seulement par : savoir qui détient la propriété économique, mais par les formes de partenariat qui sont susceptibles de s’en dégager et que les acteurs de cette complémentarité sont capables de développer, ou d’être dupe.
Or ce n’est pas un partenariat qui a été recherché et qui est recherché au travers de la division du travail par la poursuite du pouvoir arbitraire au travers de la propriété économique.
Aujourd’hui par la dialectique, celui qui prend une initiative et qui est «demandeur d’aide » pour réaliser son projet est devenu celui qui offre un emploi parce qu’il en est créateur dans son propre intérêt.
Ce n’est bien sûr qu’un retournement du rapport des forces, car il est bien connu que celui qui demande se trouve en position de faiblesse.
En fait, nous pourrions tout aussi bien considérer qu’en mobilisant l’aide d’un individu pour l’aboutissement de son propre projet, son initiateur prive cet individu qui l’aide de sa capacité d’initiative.
Car en sollicitant son aide, il le détourne de la démarche individuelle qui consisterait à prendre sa propre initiative pour se trouver un moyen d’obtenir son autonomie issue de la possession de la propriété économique.
On pourrait poursuivre le raisonnement plus loin et considérer que lorsque le système éducatif forme les individus à l’exercice d’un métier pour les besoins de quelques-uns, il les prive de leur capacité d’initiative en les formatant. Qui plus est, dans ce système certains auront ensuite l’arrogance de leur reprocher leur absence d’initiative, surtout dans les situations de fort taux de chômage.
En revanche si l’individu qui demande l’aide d’autrui l’associe à son projet, cet autre devient un partenaire, nous sommes à partir de là dans un cadre «partenarial ». Il s’agit là bien sûr d’une autre approche de la société ; c’est la longue route pour passer de l’esclavage à une interactivité «partenariale », au lieu d’une simple activité participative.
Nous apercevons clairement que nous sommes en permanence dans la situation d’une autonomie contrainte par la division du travail qui lie irrévocablement les individus pour produire leurs besoins.
De plus, la rationalité scientifique de l’économie (dont l’utilisation n’est pas limitée au seul usage actuel que l’on en fait), est utilisée au nom de l’intérêt que trouve l’individualité à la poursuite d’une autonomie qui ne cache en fait que la poursuite de buts parfaitement affectifs, «idéologisés » ou «dogmatisés ». Mais également à une représentation de «l’autonomie » qui conduit à maintenir une classe de citoyens en l’état de dépendance dans laquelle elle se trouve en la présentant comme une situation «d’autonomie réelle ». Le but étant de faire percevoir comme «réalité » ce qui n’est en fait qu’une représentation de l’autonomie.
La raison se trouve dans le fait que la propriété économique n’est pas apparue avant l’homme. Elle s’est définie et organisée autour de systèmes d’autorités politiques (religieux et idéologiques), organiques puis mécaniques qui ont déterminé un pouvoir conquérant, et qui ont réglementé la propriété au travers de l’activité socio-économique qui se déroulait à l’intérieur de ces systèmes. Si bien que pouvoir politique et propriété sont consubstantiels et consensuels. Et c’est seulement grâce à l’ambiguïté2 à laquelle a conduit la reconnaissance du droit à la propriété privée individuelle, que les anciens possédants et les nouveaux, qui se reconnaissent dans leurs pratiques, réclament du système politique leur autonomie «autarchique », pour exercer une «liberté arbitraire » privative d’autonomie pour ceux qui en dépendent. Dès lors, ces derniers réclament leur émancipation en fonction de leur niveau d’éducation qui les amène soit à prôner un changement de société, soit à s’en satisfaire et de demander simplement, au nom de la liberté, d’accéder à l’autonomie sociale que peut leur procurer la notion de «capabilité » développer par A. Sen.
Mais le plus souvent, pour ceux qui sont salariés, cette autonomie sociale ne dépend que de l’acceptation de leur servitude, requalifiée en louage de la force de travail (1804), qui s’est transformée en aptitude à se vendre sur le marché du travail.
Cette ambiguïté qui résulte d’une volonté énoncée de garantir un droit à la propriété synonyme «d’autonomie » pour tous, qui sert toujours aux possédants de garantie à leur exclusivité ; même quand ces possédants sont constitués de fait en entités arbitraires recherchant une nouvelle forme de pouvoir «autarchique », dont on a dû limiter les ambitions par la législation du travail, et les lois antitrust.
Il faut comprendre par-là qu’il ne s’agit pas d’une contestation de la capacité à prendre des initiatives, à être inventif, à organiser, à contester la formation d’une élite ou de devenir propriétaire. C’est le constat de la difficulté que rencontre l’Homme pour développer une société rationnelle (cognitive) sous le contrôle de l’innée (inconscient).
Dans cette boucle de rétroaction que développe l’ambiguïté autour de la propriété privée, tout le monde s’accorde pour reconnaître que la propriété privée (économique) est un facteur de motivation, de liberté individuelle d’entreprendre, le tout dans un rêve subjectif de liberté et d’autonomie.
Dès lors, toute communauté politique paraît être une entrave si elle veut s’immiscer dans la réglementation du pouvoir «autarchique » que donne la propriété économique, laquelle, aujourd’hui peut n’être que financière, et une fausse espérance pour ceux qui croiraient obtenir d’elle l’autonomie sociale ; renonçant par-là à leur pouvoir majoritaire de classe.
Cependant la perception la plus complexe réside dans certaines approches de l’autonomie individuelle que l’on nous propose, et qui conduisent ceux qui l’acceptent à se placer sous le joug d’une dépendance arbitraire. Ceux-ci appartiennent bien souvent à des groupes sociaux moyens ou petits qui ont le sentiment de prendre des initiatives y compris en capitalisant leur épargne, mais dont en réalité la destiné leur échappe.
Il ne s’agit pas là de viser le bien fondé de l’initiative individuelle et de la capitalisation privée, ni l’interdépendance de toute organisation basée sur l’acceptation d’une discipline organisatrice. Mais force est de constater que ces personnes trouvent dans ce type d’organisation les moyens et la justification de l’autoritarisme et de la puissance dogmatique qui dépend des tempéraments et des caractères des individus.
C’est le cycle infernal de celui qui entreprend et qui possède. De fait il en déduit que ce statut lui donne une autonomie de dominant qui le situe au-dessus des autres (perception affective qui se rationalise). Il en conclut que cela lui donne le droit de disposer d’autrui pour atteindre ses buts, et il réclame dès lors des hommes politiques (le dominant affectif/ monarque et le dominant rationnel à divers degrés/ démocratie) une législation qui limite l’émancipation d’autrui si celle-ci ne s’inscrit pas dans son intérêt idéologique.
Ce résultat est dû au fait que ces groupes, moyens ou petits, détiennent leur autonomie de l’interaction avec les groupes supérieurs historiques, nés de l’industrialisation capitaliste que nous pouvons appeler les «dominants systémiques ». De fait , ces groupes petits ou moyens se sentent économiquement solidaires des «dominants systémiques », et n’ont aucun intérêt à les remettre en cause, tout en recherchant une diversification (autonomie) qui ne les rend pas dépendant d’un seul dominant.
Cela conduit à des situations paradoxales où les groupes moyens ou petits relaient les intérêts des «dominants systémiques » : intérêt qui bien que liés, leur sont pourtant étranger (ceci se voit régulièrement dans la sous-traitance). Il en va de même pour ceux qui ne peuvent quitter le territoire (dans le cadre de la circulation des capitaux et de la mondialisation), et qui supportent le poids des charges sociales du pays dans lequel ils sont, alors que les groupes supérieurs transnationaux ne s’en acquittent pas. Ce qui conduit ces groupes moyens ou petits, et même les ménages de particuliers à réclamer des réductions d’impôts et de charges parce qu’ils doivent assumer, en plus de leur part la déficience de certains des «dominants systémiques ».
Ceci faute d’être de taille ou d’avoir assez de courage politique pour s’opposer aux groupes dominants, pour exiger d’eux qu’ils participent aux coûts du développement social des pays dans lesquels ils sont installés, ou parce qu’ils trouvent dans une telle situation les raisons à leur égoïsme névrotique.
Nous devrions savoir que l'observation d'événements rythment nos existences, et qu'aucun ne surgit spontanément.
Tous ont une histoire événementielle dans un temps geohistorique dont nous ne mesurons la durée qu'entre deux événements et nôtre mémoire s'en souviendra.
Nous vivons donc dans un passé qui n'existe pas, mais dont les effets sont effectifs. Ils nous permettent de dérouler nos existences avec comme toute mesure les peines et les joies qui en découle ent.en retenant les évènements.
Les philosophes d'Asie l'ont compris depuis fort longtemps et parlent dans le bouddhisme d'evanessance de l'existance. Seul les savoirs issus d'observations transmisent par l'enseignement mimétique puis scolaire comblent nôtre ignorance inné.
Si bien que toute analyse évenementielle requiert de considérer la place où nous sommes et les savoirs compiler dans nos souvenirs. Cette analyse sera unique, comme toutes celles des autres. Leurs points de convergences résulteront de nos possibilité à échanger.
Il en va toujours ainsi ce qui nous impose de devoir composer les uns avec les autres. De former des regroupements et des organisations régulatrices de la concentration humaine sédentarisé pour assurer sa sudsistance.
Il en résulte ce que j'ai qualifié de "dominant systémique".
C'est à dire tous les totems et tabous qui tiennent à la connaissance ou à l'ignorance de nos observations reconnues comme nécessaire pour faciliter la sociabilité, l'organisation économique et la confiance en des certitudes rassurerantes.
Cette assurance, retiré de 'l'organicite" de groupes humains sur des territoires connus, a évolué au fil des conflits politicos économiques et de recherches existentielles par une interrogation surgit de la conscience humaine et des divergences d'observations dans l'interprétation d'événements observables, tel le ciel, la mort etc.
Cette évolution c'est toujours trouvée confrontée à l'intégrisme, la radicalité, au dogme, à la dictature, à l'autocratie des guides ou des dirigeants qui se sont imposés par la force tyrannique du groupe, la persuasion prolesytiste ou qui ont été choisis par diverses formes d'expression du groupe.
Chacun d'eux qu'elles qu'en soit les raisons a été coopté par l'organisation systhémique sans jamais détenir sa légitimité de ses seuls caractères innés, CEUX qui désignent le dominant géniteur. Ce sont les lieux d'existences la famille parentale ou sociale qui feront naître son destin.
De fait ce dominant systémique parvenu, est un dominant aléatoire déterminer par son environnement culturel. Il s'imposera suivant l'organisation systémique en place, de gré ou de force avec l'assentiment taisant ou exprimé des autres. C'est a dire tous ceux qui entrerons dans la régulation qui émane du système construit par la compilation de ce qu'ils auront jugé devoir être transmis pour le bien être du groupe quel que soit sa taille.
Nous voyons clairement que les hommes se sont soumis à un ordre, à une organisation issue de la complexité généré par leur environnement faire à mesure qu'ils réduisaient le capital ignorance de leur existence.
Pourtant ils ne s'en sont pas moins
opposés par rapport à la place d'où ils observaient leurs vies pour l'imposer aux autres et leur convoiter ce que leur territoire ne leur donnait pas ou ce qu'il n'avaient pu en retirer.
Ou tout simplement, envier, convoiter ce dont disposait l'autre, car il observait sa place sociale desirer en retirer les mêmes bénéfices reconnus par la communauté.
Quand nous examinons quelles règles nous appliquons pour agir, faire des choix, désirer, éviter, écarter, évaluer, communiquer, nous voyons bien que cela arrive à l'âge de discerner et d'analyse de l'environnement, qui nous a été transmis par mimétisme.
Et c'est tout d'abord le comportement de ceux qui nous ont élevé et éduqué puis instruit.
La psychanalyse simplifié cela par la notion de Tabou et Totem. Elle signifie par là que tout humaine à son existence ordonnée et coordonnée par autant de comportements, qu'il y a de possibilités d'analyses de l'environnement dans lequel il c'est installe seul, à plusieurs ou en communauté plus moins étantdue.
Cela donne la diversité.
C'est donc de leur concentration que les hommes vont retirer par l'inné les moyens d'une adaptation, afin de réguler leurd existences et la pérenniser chaque fois qu'ils en retirerons de quoi survivre.
De cette pérennité naîtra la reconnaissance de l'ordre qui en découle pour remplir toutes les tâches qui s'avèrent utiles et nécessaires.
Cela en liaison étroite avec ce qui peut être compris du monde, d'où surgiront autant de modèles socio politiques et cultuels. Nous les nommons la culture.
Et d'eux vont émerger les Dominants Systhémiques. Ils s'adresseront aux hommes de la même espèce que ceux qui les ont structuré dans les siècles précédents.
Sur cette base des hommes s'imposeront par les moyens à leurs dispositiond en s'inscrivant dans les places de commandements, de pouvoir où toutes celles qui conduisent à y prendre part.
L'on peut dire alors qu'ils sont cooptés par l'organisation qui c'est élaboré en fonction des territoires où des hommes se sont installés à plus ou moins grand nombre, plus ou moins concentré.
Coopté signifie qu'il ne fait plus usage de ses seuls caractères innés, mais de ceux s'inscrivant dans le système. Celui correspondant au totem et tabou.
Hier un homme s'imposant par la force pouvait dominer un groupe, aujourd'hui il va en prison.
Qui suivons nous, les hommes ou le système, "(les totems et les tabous)
L'homme est-il accepté pour ce qu'il est ou parce que il s'inscrit comme garant du système ?
Il domine pour ce qu'il est ou pour son aptitude à perpétuer le système. ?
Qui suivons nous alors, l'homme ou le système ?
Lors des élections nous elisons celui qui est jugé le plus apte, le plus approprié à gèrer le pays où le programme qu'il propose.
Son programme est-il celui de son seul fait ou celui qui s'inscrit dans la pérennisation d'un système auquel il identifie. Nous votons donc bien pour un homme qui s'inscrit dans un système.
Quand il ne s'inscrit pas dans le système, il ne peut même pas se présenter à sa cooptation.
Le système le rejette. Nous voyons bien qu'une idée individuel ne peut prospérer que si elle trouve un creuset où prendre corps et devenir un projet, devenir une perspective, devenir un but, devenir un système, avec un ou des guides ou des dictateurs.
C'est bien notre histoire humaine, régulée pour coordonner notre concentration avec comme finalitée produire notre nécessaire pour perpétuer notre espèce, qui détermine un système qui coopte un ou des hommes comme guide.
Mais celui qui est le dominant n'est pas l'homme, mais le système.
Ce sont : Les dominants systèmiques.
Dieu, le libéralisme, le communisme, le socialisme, le capitalisme, les droits de l'homme, tous ces mots en isme.
Alors si j'ai essayé de définir ce que tous nous connaissons d'une manière ou d'une autre. C'est parce qu'il c'est construit un autre dominant systèmique base sur l'individualisme, l'egologisme.
"Parce que vous le méritez bien" dit la pub. Peu ont pu y résister, c'est merveilleux, je suis le client Roi.
Le ROI des CONS qui ne voit même pas qu'il paie TOUT, et réclament que ce soit les riches qui paient pour lui alors que c'est lui qui redonne son salaire.
Et parmi ces clients Rois certains le sont, les millions d'employeurs (sauf ceux qui n'ont pas plus de revenus que des salariés). Sinon ce sont les 22 millions d'actifs clients qui paient tous.
L'autre intérêt de prendre conscience, qui est le dominant systèmique. C'est de ne pas voter, comme nous l'avons fait depuis trente ans, pour un "dominant parvenu" grâce au dominant systèmique en espérer qu'il va le changer.
1 Note des auteurs.
Groupes supérieurs historiques nés de l’industrialisation capitaliste que nous pouvons appeler les «dominants systèmiques ».
2 Note des auteurs. Ambiguïté du droit à la propriété privée qui permet aussi bien à un individu de satisfaire ses besoins privés (son logement) comme d’exploiter le travail de ses semblables au moyen de la propriété privé d’un capital.
3 Note des Auteurs : Autarchique, pouvoir de droit divin.
Or les groupes supérieurs qui détiennent leur puissance de la propriété économique et financière, ont su réorganiser, comme nous l’avons indiqué antérieurement, leur pouvoir décisionnel par le développement d’une autonomie basée sur la prise d’initiative et de responsabilité participative qui reste tout de même parfaitement encadrée et même soumise à l’objectif rationnel du résultat financier.
Ce résultat financier est devenu plus qu’un objectif rationnel, puisque sa recherche organise et influence la sociabilité des individus. Il s’est substitué à la notion archaïque de profit pour faire plus moderne et politiquement correct. Ceci parce que chacun poursuit ce but en ayant trouvé en quoi il peut en être solidaire ; d’autant plus facilement que ce but peut être expliqué par des opérations mathématiques qualifiantes et quantifiables issus du monde des sciences qui constituent un label de garantie et qui ne sont pas suspectées de dogmatisme, de partialité.
En fait, le résultat financier s’est substitué au pouvoir de droit divin puisqu’il dirige l’intérêt individuel. Il cache ce pouvoir «autarchique3 » et il choque moins que l’autoritarisme direct, même s’il est plus drastique, de plus il est réclamé au nom de l’efficacité et donne aussi lieu à des comportements «transgressifs », allant de la déviance à la délinquance.
Quant aux autres, ceux qui doivent louer leurs services, leur autonomie ne dépend que de leur aptitude à se vendre : ce qui sera interprété comme la recherche d’une autonomie économique.
En conséquence chacun s’est trouvé une autonomie dans une dépendance totale ; une autonomie qui ne dépend en fait aujourd’hui que de l’exercice d’un arbitraire transféré à une organisation comptable. Celle-ci sert d’habile justification à tous les comportements dogmatiques régressifs dus à l’incapacité politique de ceux que l’on élit. Incapacités politiques et élues ne sont que le propre reflet de l’incapacité des citoyens, car dans le cas inverse nous n’aurions pas besoin des politiques et des élites.
L’exemple suivant en est criant de vérité. René NI, dans «Pour une histoire politique » éditions points H199 écrivait : « un choix politique qui peut ne rien devoir à l’analyse économique et n’obéir qu’a des considérations idéologiques aura sur l’économie des conséquences incalculables, telle la décision de nationaliser de grands secteurs de production ou d’échange. »
Mais est-ce le simple choix effectué qui aura des conséquences incalculables, ou bien les réactions et attitudes des milieux économiques opposants à ces choix qui induiront les conséquences ?
Car en fait, l’acte de nationaliser ou de dénationaliser n’implique pas des changements radicaux dans les productions et les modes de production, ni parmi les hommes qui constituent l’essentiel de la force de travail.
Il semblerait alors que ce soit une opposition idéologique qui entraîne les conséquences et non le fait lui-même.
Une idéologie au service d’intérêts particuliers qui provoque des représentations au sein d’un public toujours prompt à hurler avec les loups, s’affranchissant ainsi de l’effort nécessaire à une compréhension raisonnée
Demandez alors à ce public d’expliquer le pourquoi de son opposition, et je doute fort que vous obteniez une explication cohérente et motivée, autre qu’une réaction irraisonnée provoquée par des Cassandres intéressés.
A l’exemple de cette dame qui, à l’annonce de la nationalisation de certaines banques, est venue retirer son argent, ne sachant que la dite banque qui gérait ses fonds, était nationalisée depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Nous assistons à une rétroaction étrange où devant la complexité de la situation, leur capacité d’initiative et de responsabilité a été déléguée à un système qui reproduit sans cesse le même scénario, et rejette tous ceux qui s’en écartent pour en changer. De telle manière que dans cette solidarité de but (la recherche du résultat financier) basée sur les besoins de valorisation sociale issus de l’estime de soi de tout individu, chacun contribue à accroître la productivité qui rend attrayant l’investissement financier.
Lequel en retour ne contribue pas ou peu, ou ne veut pas contribuer au développement de la solidarité collective qui compense les déficits d’intégration d’une réorganisation structurelle de l’économie et du travail et, qui plus est, refuse toutes les autres mesures qui pourraient être mises en place dés lors qu’elles amenuiseraient l’investissement financier.
De plus cette démarche de refus de participation à la solidarité collective est soutenue par ceux qui se sentent valorisés au travers de cette délégation » qui, si elle représente un intérêt réel d’efficacité dans la compétition internationale n’a pas pour visé un intérêt collectif (nous savons que ce sont les mêmes groupes qui l’organisent dans tous les pays où ils sont présents, auto compétition).
Ainsi nous pouvons dire que, dans la division du travail qui se caractérise par un lien de dépendance, et de laquelle chacun retire ce qu’il pense être son autonomie sociale, ce lien c’est déstructuré pour se restructurer autour d’une fausse solidarité participative qui se veut scientiste (science économique) et moderne, sans pour autant avoir apporté une quelconque solution aux réalités de classes sociales qui se sont «thomiste ».
De telle manière que les rapports de dépendance, qui hier se qualifiaient d’antagonismes fédérateurs des identités de classes, sont devenus la recherche d’une autonomie «individualisatrice » au travers de comportements corporatistes professionnels et catégoriels en manque d’une nouvelle identité de classe perdue dans une tertiairisation «moyennisante ».
Pour en arriver à cela, dire que c’est dans la nature des individus d’être des sujets uniques n’est pas suffisant. Pour faire prévaloir leurs buts les individus ont deux moyens, celui du rapport de forces (lutte entre dominants) qui a conduit à toutes les formes «d’esclavages », ou celui qui consiste à faire partager ses buts (la concertation). Les deux vont naturellement de paire avec des degrés différents suivant la place que l’on occupe grâce à la mobilité sociale au sein des agents des systèmes d’autorités (argent, propriété, information).
Mais si l’on choisit de faire partager ses buts, cela peut se faire par le partenariat ou le conditionnement.
Le partenariat est relativement limité. Ses formes les plus courantes sont la coopérative ou la cooptation. Pour les autres c’est la collaboration plus ou moins participative. Naturellement il n’y a rien de péjoratif en cela. Le partenariat, c’est avoir une idée de l’évolution de la civilisation de l’individu vers la poursuite d’une hominisation. Faire un pas vers l’hominisation c’est savoir qu’il n’y a pas d’échecs ou de réussites seulement de l’orgueil. On baptise du terme « échec », un événement dont nous n’avons tout simplement pas su découvrir l’enseignement qu’il renfermait.
Au lieu d’éveiller la conscience à la recherche de l’enseignement, de la « vérité », de la recherche de sa voie, de la découverte de soi, on l’étouffe par les sentiments de culpabilité, de honte et par les rancœurs les frustrations et les inhibitions engendrées par la stupide notion « échec » !
« L’échec » n’est donc que le revers d’une notion de pseudo réussite » qui ne trouve sa justification que dans l’orgueil qu’on y rattache.
Là où l’on parle de réussite et d’échec, il n’y a que réalisation ou pas de soi par l’enseignement que l’on tire ou pas de l’événement et qui est le seul résultat positif dont on doit bénéficier avec humilité.
On confond « réussite » et « victoire ». Or il ne faut pas perdre de vu que dans la notion de victoire il y a forcément une « défaite » sans laquelle la victoire ne pourrait exister.
S’il y a eu victoire et donc défaite, c’est qu’il y a eu « combat ou affrontement ». S’il y a eu victoire et donc défaite, c’est que l’issue de ce combat aura vu un « vainqueur et un perdant ». Dès lors, comment peut-on qualifier de réussite, une victoire qui ne peut s’accomplir qu’au détriment d’un autre être humain ?
Nos sociétés basées sur le sacro-saint principe de la réussite ne produisent en fait qu’une pléthore de perdants, aigris et frustrés et une infinie minorité de gagnants temporaires.
Gagnants temporaires qu’elles n’auront de cesse de broyer au fil de « challenges » perpétuels, brisant plus sûrement encore celui-là qui, écoutant les sirènes, se croyait au firmament et se retrouve exclu brutalement du cénacle des « importants ».
Plus dure est la chute dans la génération du consommable, ou l’homme a perdu sa condition humaine pour n’être qu’un outil de production qu’il faut recycler ou éliminer, selon les besoins des prédateurs multinationaux.
Le temps de l’esclavage est revenu.
La contrainte physique n’existe quasiment plus, mais elle a été remplacée par un moyen plus redoutable, car plus subtil qui est le conditionnement psychologique et la manipulation des opinions, avec la complicité volontaire ou involontaire des médias. Ce conditionnement a pour but ce que l’on a l’habitude d’appeler la pensée unique.
« On ne peut pas faire autrement et si vous ne faites pas ce qu’on vous dit vous vous trouverez au chômage (la peur) et en plus vous êtes de mauvais citoyens car vous mettez en péril ce que l’on construit pour le bien de tous (la culpabilisation) ». Et pendant ce discours, le monde continue de tourner pour le profit sans cesse croissant d’une minorité d’exploiteurs, de spéculateurs internationaux qui ont mis en coupe réglée la planète, en maintenant d’une manière outrageante le tiers-monde dans le dénuement le plus complet et en essayant de tirer le monde dit »développé », vers la précarité tiers-mondiste afin de mieux l’exploiter, le dominer et faire du profit. Le profit n’étant pas choquant en soi, dans la mesure où sa répartition est équitable, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Et tout cela marche avec la carotte de la réussite.
Ces prétendus et prétentieux grands patrons sont prêts à toutes les exactions sociales ou humaines pour obtenir des résultats financiers et devenir, qui le manager de l’année pour ses brillantes restructurations, qui le plus rentable (pour ses actionnaires bien sûr) ; tout ça pour une gloire éphémère et pitoyable. Il faut dire qu’en général ils sont largement rétribués pour leurs actes, ces spadassins modernes.
Avons- nous entendu une seule fois un patron dire que sont objectif était de créer des emplois ? Non ! Car ce n’est pas le but d’une entreprise et ceux qui véhiculent cette idée sont des escrocs intellectuels. En revanche, le leitmotiv est de gagner de l’argent ou d’en faire gagner aux actionnaires : là réside la seule raison d’être d’une entreprise ; les emplois qui en découlent ne sont qu’une éventuelle résultante positive et non l’objectif primordial. L’emploi n’est que la concrétisation du besoin en « facteur travail » de l’entreprise. Cette dernière n’embauchera que si elle en a besoin et elle cherchera toujours à réduire la part de ce facteur qu’elle trouve coûteux financièrement et socialement, soit en y substituant du capital, soit en délocalisant vers des masses plus soumises et dociles.
La réussite est à ce prix.
Ainsi ira le monde tant que nous n’ouvrirons pas les yeux sur la réalité et que nous continuerons d’admirer ce système et les bourreaux modernes qu’il génère. Ouvrons les yeux sur ces notions qui ne nous sont inculquées que pour dominer ou asservir. Nous forgeons nos propres chaînes en acceptant ce jeu stupide qui occulte la seule démarche qui devrait être la notre : le bien-être de l’humanité.
Utopie.
Non ! « Vérité » oubliée, par l’acceptation du miroir aux alouettes.
L’orgueil qui découle d’une réussite, en occulte le bénéfice qui devrait en être tiré, de la même manière que le sentiment d’échec nous masque l’enseignement contenu.
Car, comme nous l’avons déjà dit, très souvent les comportements issus de la sélection naturelle sont pris populairement comme référence pour justifier de la permanence incontestable d’un dominant qui doit surgir inévitablement de toute sociabilité organique. Ce point de vue sert de justification aux tenants de la «loi du marché » qui repose sur le principe de laisser faire le marché qui s’organisera de manière naturelle.
Cette loi du marché a conduit certains de ses acteurs à s’organiser (les salariés en général) et à mettre en place des lois régulatrices, par l’intermédiaire de l'État ou des groupements d’intérêts particuliers. Alors les tenants de cette référence à la loi du marché refusent l’émergence de ces lois régulatrices en jugeant qu’elles faussent le jeu de la libre concurrence, bien que celles-ci ne soient que le produit d’une loi d’un marché polymorphe.
C’est à dire que ces personnes se référent à un seul des aspects de la sélection naturelle : celui qui conduit à l’émergence d’un dominant (type Spencer) ; et rejettent ce qui fait partie de la condition humaine : avoir la conscience de cet instinct qui nous fait, bien ou mal, développer une régulation de nos relations humaine par une sociabilité organique, parce que l’homme donne un sens à ses actes qui justifie pleinement que nos relations économiques soit également régulées.
Sans nier son influence sur les individus, faire référence aux réactions naturelles instinctives comme seule condition d’une évolution, c’est faire en permanence un «feed back »malgré toutes les difficultés que nous rencontrons pour maîtriser certains de nos comportements instinctifs qui deviennent dangereux à cause des instruments culturels dont ils disposent.
Malgré un langage de modernité, la loi du marché est un retour vers une régression culturelle alors que nous considérons que l’évolution culturelle intégrative façonne ce que nous appelons «l’homme civilisé ». Ce serait faire référence uniquement à une condition «mécanique » de circonstance, toujours présente dans nos comportements, et qui s’opposerait à ce qui est son complément : la conscience qui génère l’acquis.
Ce serait ne plus reconnaître qu’avec l’homme la sociabilité n’est pas seulement instinctive mais aussi consciente, volontaire. Ce serait comme si les hommes avaient pu refuser l’évolution, notamment de l’utilisation du pouce, en disant qu’il ne provenait pas de la sélection naturelle évolutive. Ce serait refuser en permanence les régulations (même contestables) qui se donnent pour objectif une recherche d’égalité des chances, en sachant qu’elle aboutira à une diversification méritocratique.
Cette recherche d’une égalité des chances était l’incroyable pari inconscient fait par la République. Pari que la société actuelle est en train de perdre par un retour à la loi du marché qui s’identifie à «la sélection naturelle instinctive du dominant systémique» pour justifier de la recherche individuelle d’un rapport coût/avantage en économie. Elle le laisse ou le fait allègrement glisser dans les comportements humains conscients desquels elle pense obtenir une autonomie, sans admettre son illusion, et dont le coût humain se paie au détriment de la sociabilité organique.
Tout le monde peut comprendre que d’une manière instinctive tout animal fait le meilleur choix coût/avantage et qu’il n’est nul besoin d’une conscience pour cela : «l’instinct organique suffit ».
Alors de la compréhension de la sociabilité organique naîtront peut-être des relations partenariales qui pousseront sans cesse vers la complexité, mais feront espérer aussi une hominisation qui ne peut certainement pas reposer sur le culte de l’autonomie solitaire.
Heureusement, la loi du marché est encore encadrée par un bon nombre de règles (droit public, droit commercial). Pourtant de nombreuses voix s’élèvent de plus en plus pour contester par exemple l’action syndicale régulatrice des conflits et pour vouloir la réglementer plus strictement au nom le plus souvent du consommateur ou de l’usagé qui considèrent en être les otages. Comportements sur lesquels biens souvent les gouvernants espèrent prendre appui pour discréditer l’action syndicale dans la société. Nous glissons, sans nous en apercevoir vers une réclamation de son interdiction qui effleure bien des esprits qui n’osent le clamer. Ce faisant, nous réhabiliterions la loi Le Chapelier sur les interdictions de coalitions. Situation qui n’était pas envisageable avec une classe ouvrière forte, malgré des taux de syndicalisations faibles en France. Pourtant, la régulation des conflits est indispensable au maintien de la socialisation.
Si pendant ces quelque vingt-cinq dernières années la mobilisation de l’action syndicale avait été suffisante pour lutter contre l’exclusion économique face à l’incapacité des politiques, aujourd’hui nous n’aurions pas des zones de non-dit, et des explosions de violence, tant individuelle que collective, qui ne trouvent plus de soupape de sécurité pour se déverser. En disant cela nous ne visons pas les responsables syndicaux, mais la masse des salariés qui se sont désolidarisés d’eux, quelles qu’en soient les raisons, et montrés indifférents aux phénomènes d’exclusion économique, pour se laisser entraîner dans des comportements ou des analyses d’ostracisme et de xénophobie dans la recherche d’une autonomie mercantiliste.
Une autonomie mercantiliste où l’on y vend aussi un individualisme protecteur de ses propres comportements qui permet toujours de ne pas se considérer responsable de ce qu’il arrive aux autres.
Cela à partir du moment où ne pouvant établir une corrélation entre soi et un événement du fait de la limite de nos capacités, nous l’attribuons à ceux qui se trouvent dans la sphère de l’événement. Pour exemple le dopage sportif : quand un sportif se dope, aucun des spectateurs du sport concerné ne se sent impliqué, bien qu’ils aient une part en tant que consommateur de spectacle qui désire toujours que la performance soit toujours plus élevée. Quand l’on pose ce problème, des personnes répondent : mais à ce titre nous serions chacun responsable de tout.
En effet nous sommes responsables de tout, mais comme le vivre nous rendrait la vie impossible, il vaut mieux seulement le savoir et être plus tolérant dans le jugement des actes des autres, car nous y avons une part. Cela tient au fait que les frontières culturelles sont illusoires et que l’homme sot veut être le juge de ses actions, tandis que son ignorance ou sa méconnaissance l’en empêche. Alors il lui faut en saisir ce qu’il peut en comprendre, jours après jours, années après années, siècles après siècles, et en se trompant toujours.
Comme nous le voyons avec ceux qui prônaient la fin de la lutte de classe, qui aujourd’hui pour avoir voulu vendre une autonomie de consommation ont supprimé un régulateur de violence, sans pour autant avoir supprimé la réalité des classes sociales qui se «tribalisent », se «généré » et en s’appauvrissant accroissent le développement d’une économie qui s’est «criminalisée ».
Le conditionnement1 n’est pas une nouveauté et il s’applique aussi bien aux situations de détresse (faire accepter la misère comme une fatalité) qu’aux rêves élitistes. C’est la circulation de l’information.
Mais aujourd’hui ce conditionnement se fait autour d’une «non-valeur » en tant que fin, en tant que but, comme synonyme d’autonomie individuelle qui est : l’individualisme,2 comme tendance à s’affirmer indépendamment des autres.
Cette tendance est confondue avec la doctrine philosophique qui fait de l’individu le fondement de la société, des valeurs morales. Elle concourt également à de l’épanouissement de l’individu, de la personne égale en toute chose à une autre, avec ses différenciations, qui a une vie unique et une origine commune et qui se socialise pour former des sociétés culturelles dans sa communauté humaine. Cette difficulté vient de nos propres limites à percevoir affectivement notre appartenance à une espèce qui ne s’est découverte qu’au travers de l’apprentissage du raisonnement.
Vouloir vivre l’affirmation de son indépendance est une contrainte que l’on s’impose par conditionnement et qui devient source de dichotomie du raisonnement.
Ceci parce qu’on ne peut être à la fois indépendant des autres et former une société qui concourt à l’épanouissement de tous les individus.
Pourtant, ce paradoxe ne choque personne, et s’il passe inaperçu c’est qu’il a un fondement.
L’individualisme qui conduit à s’affirmer indépendamment des autres est une «non-valeur » en soi dés lors qu’il se veut exister que pour cette affirmation exclusive.
Ce pendant ce discours individualiste se révèle être un formidable «attracteur3 », car il fournit la capacité de ramener toute chose et toute information à soi pour exister, sans l’obligation de comprendre le monde qui nous entoure. Et ce n’est là que sa fonction essentielle.
Pourtant, ce discours ne peut donner un mouvement et valeur aux choses et aux informations reçues que dans la mesure où il ne se vit pas indépendamment des autres sinon il aurait une valeur nulle, car il prend corps que dans le regard des autres et ne peut que s’associe à leur l’existence, dans la divergence ou le débat.
C’est comme si un pendule suspendu à un clou prenait conscience que son existence dépend de ce clou et disait : je veux devenir le clou. Il perdrait de ce fait tout le bénéfice de l’attraction du clou qui lui permet d’avoir un mouvement, une existence. Le clou, en attirant le pendule à lui, a une fonction d’attracteur, et le pendule pourra décrire tout autour de lui autant de cercles qu’il veut. Il pourra même désirer modifier la capacité d’attraction du clou. Le clou pourrait tout aussi bien être susceptible de supporter un pendule d’un kilo ou d’une tonne, sa capacité demeurerait une « non-valeur » s’il n’était pas capable d’attirer un pendule, s’il n’y a pas un mouvement.
Si bien que, «faire ce que l’on veut » pour affirmer son indépendance vis à vis des autres, non dans le choix intentionnel des probabilités offertes mais comme but (pour devenir le clou), est un non-sens à la raison, mais pas à l’évolution.
Ceci parce que l’individualisme peut également être regardé comme le siège de l’intuition, le sentiment de la perception du «réel » dont la fonction n’est pas d’être atteinte, mais de transformer en permanence sous son attraction (la désidérabilité) le mouvement qui en découle.
Cela ne signifie pas que le clou n’existe pas, qu’il ne pourrait pas y avoir des milliards de clous. Mais l’image et le sens de cette assemblée de clous ne peuvent plus être lu par le clou, sauf à se situer au-dessus de cette assemblée pour en avoir une image, mais alors est-ce toujours un clou qui regarde ?
Donc, être un sujet unique porteur de notre individualité ne s’acquiert pas, nous naissons comme cela grâce à la dépendance, l’attraction de deux Êtres dont nous allons être culturellement dépendants. Nous qui tenons tant à notre individualité, imaginons-nous seul dans un espace ou tout serait uniforme, quelle que soit notre capacité individuelle : nous en mourrions.
Pour vivre, il suffirait que dans cet espace uniforme il y ait une chose qui dénote, quelque chose avec laquelle il peut y avoir un échange d’information qui créerait un mouvement, qui attirerait notre attention comme nous le disons. Alors cette chose deviendrait le centre de notre existence non pas parce qu’elle a une quelconque, valeur mais parce que l’information que nous captons d’elle nous donne un repère auquel nous allons nous associer pour nous mettre en mouvement.
Dans l’uniformité d’un ciel bleu, ce serait un tout petit nuage et dans une uniformité nuageuse ce serait un coin de ciel bleu.
Ainsi s’il y a vie et mouvement, ce n’est pas parce que nous avons une existence unique, avec son tempérament, mais parce que nous pouvons «nous regarder, nous percevoir, nous sentir » les uns les autres et acquérir un caractère.
S’il y a vie et mouvement, c’est parce qu’il y a le monde, un miroir gigantesque dont nous deviendrons le reflet.
Ainsi, dès que l’on naît, on est dépendant de la matrice maternelle, puis des tiers que l’on côtoie. Et quand l’on est enfin à l’âge de comprendre que l’on est qu’un sujet unique il est trop tard, parce que le Moi ai déjà été en partie façonné par les autres et l’environnement.
Peut-il en être autrement ?
Aussi, affirmer son indépendance vis à vis d’autrui cela conduirait à s’isoler et ne plus avoir conscience d’exister ; à ne plus rechercher de lien avec l’autre (qui est toujours une entrave à la «liberté arbitraire ») ; exercer une tyrannie irréductible, ce qui s’avérerait impossible (dans le sens où le tyran doit toujours être en état de vigilance donc tenir compte des autres).
L’individualisme n’est donc qu’un état d’être. L’individualisme c’est le commencement, c’est la naissance sans cesse recommencée. A l’inverse se réaliser en tant que personne, individu, sujet unique (se personnaliser) en partant de tout ce que nous ont apporté les autres ajouté à notre tempérament, pour forger notre caractère, notre singularité dont découlera notre existence : c’est un autre discours. Ce n’est pas être indépendant des autres, mais être dépendant de toutes leurs histoires. De plus les nouveaux venus, en fonction de l’apprentissage et du savoir qu’ils auront accumulé, seront en mesure de faire évoluer la relation de dépendance de l’Homme à l’Homme et à son environnement. Non pour en être indépendant, mais pour s’y développer et améliorer si possible sa condition humaine en prenant en compte ses différences et ses singularités. Mais pour cela encore faut-il comprendre ce discours.
Si bien qu’avoir une association d’idées que d’autres n’ont pas eue, n’est pas être indépendant d’eux. C’est simplement faire une analyse à partir de ce qui est notre existence unique à laquelle nous associons les informations d’événements que nous vivons, ainsi que les informations sur la vie des autres que nous avons emmagasinées dans notre mémoire.
Sauf que ceci inclut quelque chose d’important la reconnaissance due à autrui d’être ce que chacun devient, tout en affirmant sa propre personnalité source de créativité qui est pondéré par le groupe. Ce dernier point n’est pas une décision concertée du groupe, mais plutôt une obligation immanente (obligation de se rencontrer, conscience collective ou loi des probabilités) pour atteindre des objectifs collectifs qui dépassent la seule capacité d’un individu et exigent la durée. Le tout dans une convergence de buts au travers d’enchaînements d’événements associatifs et dispersifs. Dans ce cas affirmer son indépendance revient à nouer de nouveaux liens d’interdépendances dans la permanence d’une sociabilité qui bien que variable, n’en reste pas moins incontournable.
Toutefois, ce n’est pas dans l’optique de la reconnaissance de cette sociabilité que l’on s’éduque. Elle est le plus souvent regardée, et nous l’avons déjà dit, comme le moyen de se garantir la recherche d’une indépendance et d’une autonomie individuelle. En fait les individus veulent une sociabilité qui leur garantisse «la liberté arbitraire » au travers de l’individualisme qui génère en fait une désocialisation par la disparition des phénomènes de solidarité qui lient inévitablement les individus entre eux, au prétexte de la nécessité de se livrer à la compétition sans foi ni lois. Cela pour maintenir une activité basée sur la croissance de la consommation qui, pour être attractive, doit être désirée et donc, dans nos pays riches individualisante. Ceci renforce notre perception de sujet unique qui finit par considérer qu’il peut exister tout seul, et qu’en disposant des moyens financiers il peut tout obtenir des autres dans un meilleur rapport coût/avantage compétitif qui forcément exclut des tiers. Ces derniers deviennent alors sources de problèmes et engendrent une désocialisation qui se révèlent par un accroissement de désenchantement (mal être), de la délinquance et de ce que nous appelons aussi les incivilités.
Et curieusement au lieu de faire face à ce problème, les individus réclament une protection isolationniste pour étouffer le problème. Problème qui ne pourra que croître puisque les individus réclament une sociabilité «désocialisante » et «désolidarisatrice ».
Par certains côtés cela ressemble à du suicide psychique, parce que par idéologie dogmatique les individus sont à la recherche d’une indépendance et d’une autonomie individuelle qui en fait ne dépendent que des autres et de la place que l’on a dans une communauté que l’on s’évertue à juger trop pesante. Ceci sans se rendre compte que ce sont des Autres que l’on parle ainsi, de l’Autre sans lequel on n’aurait pas conscience de sa propre existence.
Et non content de parler ainsi, l’on agit ainsi, car dans notre organisation économique l’Autre est devenu un coût. Si bien que la vie est devenue un coût qui se marchande.
Si nous devions donner le symbole de l’échec de la contestation de Mai 68 qui se voulait nourrir de nouvelles espérances émancipatrices, ce serait l’individualisme qui s’est retourné contre ses promoteurs dans la recherche d’une autonomie devenue castratrice de la liberté positive. Ceci parce que l’idée a été reprise et réorientée par une économie rationalisante qui emploie un langage ambivalent tendu vers un seul objectif, faire le meilleur rapport coût/avantage qui conduit à ce que Gérard Mermet a appelé «l’égologie »4.
De plus, le mode de vie urbanisé «concentrationnaire » n’est pas étranger à cette recherche d’autonomie qui est une réponse promiscuité, et à tous les petits problèmes qui en découlent, et qui demandent un effort permanent de civilités. Dans cet univers l’autonomie se rapproche plus de la recherche d’un havre de paix où l’on peut souffler sans devoir en permanence composer avec l’autre (les trois quarts des français vivent dans des zones urbaines). Généralement ce besoin d’évasion se compense par une consommation dont les grands magasins, centre commerciaux et autres ont su faire l’analyse psychologique pour offrir la possibilité de jouer, se promener et rêver. Les individus compensent l’ennuie, le désœuvrement par une consommation presque compulsive. Ceci et la conséquence des cités urbaines où les citadins ne disposent d’aucun horizon, d’aucune perception apaisante mais où l’autre est toujours présent grâce à la télévision notamment. Nous nous trouvons ainsi devant une situation étrange, celle d’un univers aussi «concentrationnaire » que les cités urbaines qui devrait pousser les individus à rechercher l’évasion dans de grands espaces pour se régénérer, en clair de disposer de plus temps pour une retraite ou de congés apaisant. Au lieu de cela ils se «ré agglutinent » la plus part dans des espaces tout aussi concentrationnaires pour consommer des produits ou du tourisme. Ce phénomène est connu dans l’étude des comportements des animaux dans les zoos, des individus dans des établissements d’aliénés et dans celui des prisons. Les animaux libérés retournent vers leur cage, certains aliénés retombent malade quand on leur dit qu’ils sont guéris, des détenus refusent leur libération et compensent l’incarcération par une boulimie nutritionnelle.
Chaque individu tient de son existence unique la capacité d’analyser les informations qu’il perçoit à l’aide d’une structure cérébrale identique à chacun. Les différenciations ne viendront que par l’apprentissage du traitement des informations qu’il ramènera à soi de manière immanente, pour ensuite les restituer et donner un mouvement à son existence. Mais nous savons aussi que les informations partent des cités urbaines pour se répercuter dans les «campagnes » (la dernière campagne électorale sur l’insécurité en a été le parfait exemple).
Ainsi, chaque vie s’exerce dans un milieu restreint dû à notre condition humaine et nous ne traitons que des informations partielles. De telle manière que plus nous nous écartons d’une qualité des relations humaines plus nous réduisons la quantité et la qualité d’informations perceptibles ; plus nous n’écoutons qu’un type d’informations ciblées, moins nous disposons d’une appréciation globale. On comprend mieux que s’affirmer indépendant des autres, affirmer son individualité en ce sens n’est qu’un processus régressif qui conduit à la désintégration de toute communauté ou société si l’individu ne veut exister que pour «soi-même ». De fait l’individu génère un surcroît de violence car celui-ci ne peut avoir conscience de son individualisme que par l’existence des Autres qu’il veut paradoxalement ramener à son image, niant par-là leur propre individualité, alors que l’Autre n’est là que comme repère et complément. La perception de ce phénomène que l’on cultive est rendue possible par le fait que chacun perçoit qu’il a une existence unique, mais qu’il ne perçoit pas que c’est l’Autre qui y donne vie ; l’Autre lorsqu’il est le pendule, le nuage ou le coin de ciel bleu.
En conséquence la contrainte exercée par un discours d’autonomie laisse supposer qu’en son nom on acquiert l’indépendance et la «liberté arbitraire ». Cette autonomie rejette le contrôle externe et, par l’impossibilité de son exercice toujours interféré par l’Autre, pousse l’individu à se sentir «agressé » dans son indépendance, et à réclamer pour les Autres l’autoritarisme répressif d’un contrôle externe dans le but de faire face aux conséquences d’une anomie issue d’une individuation trop faible. Existence unique et désir de voir l’Autre identique à notre image, constituent un paradoxe irréalisable.
Ainsi nous vivons en permanence dans cette dichotomie. Cette dernière ne semble alors ne pouvoir être surmonté que par une uniformisation négatrice de toute individuation. Alors que l’individuation permet à l’individu de vivre en harmonie avec le groupe. Donc, l’individuation reste la seule solution au paradoxe, tandis que l’individualisme le nourrit.
Nous voyons donc que l’autonomie n’est pas seulement posséder un moyen économique ; ce n’est pas seulement dire « j’existe » ; ni retirer un usage exclusivement personnel de l’acquis. C’est plutôt une intégration socialisante dans une solidarité « organico/mécanique » «capitalisatrice » des énergies et compétences, dans laquelle chacun devrait être un partenaire nanti d’une capacité «transgressive » de jugement, sans laquelle aucune évolution ne peut être accompagnée et aucune créativité ne peu naître.
1 Procédure par laquelle on établit un comportement nouveau chez un être vivant en créant un ensemble plus ou moins systématique de réflexes conditionnels.
2 L’individualisme recouvre plusieurs sens. 1. La tendance à s'affirmer indépendamment des autres.
2. La tendance à privilégier la valeur et les droits de l'individu contre les valeurs et les droits des groupes sociaux.
3. En Philosophie, la doctrine qui fait de l'individu le fondement soit de la société, soit des valeurs morales, soit des deux.
3 Note des auteurs. Le mot que nous avons utilisé et extrait de la théorie du chaos dans le principe de « attracteurs étranges ». Nous donnons ici un des exemples les plus simples : «Un attracteur peut être un simple point. Toutes les trajectoires d’un pendule perdant continûment son énergie par frottement convergent en spiralant vers un point qui représente un état stationnaire – dans ce cas, l’état stationnaire correspondant à un mouvement nul. »
4 Gérard Mermet. Francoscopie 2001. Édition Larousse.
Ainsi, autonomie et liberté se juxtaposent quand l’individu exerce sa nature biologique ou «naturelle ». Mais ni l’une ni l’autre ne peuvent être dissociées de la sociabilité indispensable aux individus pour produire et se répartir le résultat de leur travail ; se transmettre l’enseignement du travail de leur réflexion. L’ensemble s’exerçant malgré tout dans des espaces limités par l’ignorance de l’espèce humaine.
On peut donc constater la distance que nous prenons avec la définition traditionnelle de l’autonomie qui la présente comme : « la capacité d’un individu ou d’un groupe de déterminer lui-même le mode d’organisation auquel il se soumet ». Ou bien d’assurer une transition d’état par un apprentissage culturel : par exemple un couple élève un enfant et il assure les revenus du ménage en travaillant chez X, un jour l’enfant quitte le foyer et assure ses revenus en travaillant chez l’entreprise Y, nous dirons qu’il est devenu indépendant, autonome, qu’il a acquis sa liberté, là où il n’a fait que changer de situation dans un cadre prédéfini. Là où il n’a exécuté que le détachement «maternel » biologique propre à toutes les espèces vivantes.
L’autonomie sert également de support à toutes les revendications autonomistes, séparatiste, «communautaristes ». Elle sert également de support aux États, aux entreprises, pour varier leurs sources d’approvisionnements etc. Un dicton populaire résume cette autonomie là : « ne pas mettre ses œufs dans le même panier ».
Toutefois ce qui paraît être l’autonomie la plus convaincante, c’est être capable de faire, à partir des informations partiellement communes reçues, une association d’idées qui ne dépende que de la vie unique qui est la notre. Cela ouvre la porte à la créativité probabiliste qui est inné, penser.
Il y aurait donc autonomie dans la capacité de penser et nous rejoignons là ce que disait F.Egel, l’esprit de l’Homme est libre en soi.
Pourtant, cette pensée ne prendra une valeur que si elle sert d’information à un autre, au groupe, pour qu’il l’analyse en la ramenant à soi, à l’Un ou au groupe. Dans ce cas la pensée deviendra agissante par le fait social. Celui-ci exercera sa prépondérance organisatrice, conciliatrice ou tyrannique, par l’acceptation des membres fondateurs de ce fait social de se reconnaître ou de se soumettre dans la pensée de l’Un ou des Uns. Cette pensée (idéologie, doctrine, le Père etc.) servira de base d’apprentissage dont la répétitivité des informations partielles qu’elle véhiculera par les systèmes d’autorité qui apparaissent de fait dans les relations humaines, façonnera une identité individuelle collective.
De telle manière que chaque fois que l’on dit Je, il faudrait l’écrire au pluriel.
Ainsi, la pensée en soi n’est qu’un moyen, une aptitude de l’humain. Elle traduit les perceptions sensorielles du réel de chaque vie unique. Et si elle n’est pas source d’information pour l’autre, acceptée ou non, elle demeure une «non-valeur ».
De ce fait, l’individu n’a de valeur que dans l’échange réciproque avec l’autre. Les individus sont en interdépendance dans une destinée collective.
Le fait que nous nous disputions la direction de cette destiné, suffit pour affirmer notre individualité au travers de cette prétention à la diriger. Cela en partant de situations dans lesquelles les dominants (ou élites) sont identifiables et exercent leur pouvoir au travers de systèmes d’autorités. Systèmes à partir desquels ils sont aimés, détestés ou enviés, en fonction de la place qu’occupe chaque individu et de l’appréciation qu’il est capable d’en faire dans son intérêt qu’il associe à d’autres. Malheureusement le fait social est tenace, et bien que chaque individu analyse seul toutes les informations qu’il reçoit, il fait obligatoirement des analyses identiques à celles des autres pour que le fait social existe.
Et avec lui s’efface l’illusion que l’on fait ce que l’on veut, même si l’on affirme son individualité, son autonomie, sa liberté.
Ainsi il apparaît clairement que certains mots servent une stratégie d’acteurs porteuse d’une idéologie «généré ».
.Ces idéologues finissent par laisser croire ou convaincre que la vie humaine n’est qu’un commerce. Ceci car ils ne définissent en rien la réalité de ce qu’est l’humain, c’est à dire la Partie et le Tout : soit un « Toutun » nanti biologiquement des attributs aptes à assurer la survie de son unité reproductrice pour assurer la continuité de son espèce, comme tout organisme biologique dans toutes les circonstances.
Cette stratégie d’acteurs s’exerce de telle manière que nous pensons que nous somme sortis de l’autorité patriarcale type, des «communautés de famille », en ne la confiant plus au plus âgé mais au plus compétent.
C’est ainsi qu’un examen attentif nous permet de voir qu’une «communauté supérieure » s’est organisée dans la gestion d’une société complexe (que nous avons désignée comme les «dominants systémiques »). Son élite se transmet l’autorité comme au temps des patriarches, mais par cooptation.
Ainsi, la caractéristique d’une solidarité organique, qui est de favoriser la mobilité sociale, se trouve compromise par l’obligation de disposer des moyens financiers, de la propriété, de l’information pour accéder à cette communauté d’élites. A l’instar d’autres sociétés qui, par le passé, se transmettaient le savoir entre initiés cooptés, parce qu’ils en retiraient le commerce de leur pouvoir.
On peut aussi considérer que l’individualité se caractérise par la capacité à produire et consommer des biens et des services adaptés à un usage individuel et d’en faire une variété infinie.
L’on peut ainsi fabriquer une paire de chaussures différente pour les six milliards d’individus que nous sommes, cela ne rendra pas les individus différents des autres. Tout au plus cela confirmera que chacun est capable d’avoir une association d’idée différente des autres. Si c’est cela l’individualité, elle existe déjà.
Aucun individu ne ressemble à un autre à l’exception des jumeaux monozygotes, et chacun dispose de gènes différents. Si l’individualité est un aspect morphologique, alors autant aller nu. Pourtant même serions-nous des clones que chacun serait un individu à part entière, par sa vie unique et par l’analyse des informations qui en dépendrait. Nous utiliserions d’autres paramètres pour nous reconnaître et différencier notre existence et ainsi être reconnu par celle des autres.
L’on peut également fabriquer une voiture pour chaque individu afin qu’il puisse aller où il veut et se sentir autonome en disposant d’un bien pour son usage personnel.
Il ne sera pas plus autonome que ce qu’il est dès sa naissance, car chacun dispose de la capacité de marcher pour se rendre où bon lui semble. C’est individuellement que, nous, nous nous interdisons cela dans l’usage du temps et de l’espace que nous faisons en le consacrant à nos activités. Comme nous ne pouvons pas réaliser tout ce dont nous sommes capables (nos désirs), nous devons faire des choix, et la technologie que nous avons développée nous donne les moyens d’en faire plus dans une même durée.
De fait et elle nous rend dépendant d’elle. Car nous étions libre et autonome au travers du nomadisme, et paradoxalement aujourd’hui la sédentarisation nous fait rejeter comme inadaptés ceux qui veulent rester attachés à ce mode de vie, tel les tziganes. Nous les rejetons parce qu’ils ne veulent pas s’enfermer dans des maisons, des cités, des usines, des territoires et qu’ils se veulent autonomes et indépendants. Alors que nous, nous considérons que ce sont les maisons, les cités, les usines, les territoires qui nous assurent une autonomie et une indépendance, bien que ce soit en réalité une dépendance obligée pour produire de quoi nous nourrir pour survivre. Devant une telle contradiction de nos analyses la question est bien comme nous l’avons déjà dit : de quelle autonomie nous parlons ?
Nous parlons seulement des contraintes nécessaires qui concourent à l’amélioration de l’espérance de vie en évitant tous ses dangers, et en ayant posé comme principe tiré d’une constatation partisane que le système Occidental y concourait le mieux.
Alors, nous nous sentons autonomes non pas parce que nous disposons d’une autonomie naturelle de mouvement, mais parce que nous nous la sommes restreinte par les contingences de la sédentarisation. De plus, l’obtention de l’argent (monnaie) qui nous permet de «voyager », de nous éloigner un temps (le non/travail) de ce qui nous contraint (l’aliénation du travail) nous donne un sentiment d’une autonomie.
De telle manière que si l’on veut aller à la plage située à dix kilomètres ou à l’autre bout du monde, nous allons examiner toutes les attaches, toutes les dépendances de la sédentarisation, qu’elles soient affectives, économiques ou sociales et l’effort à consentir pour le voyage en fonction du temps libre à notre convenance. Ceci afin de retrouver toutes nos attaches au retour, et réintégrer le cadre de vie dont nous sommes dépendants.
Pire, nous sommes dans un tel conditionnement, que même si nous avions le temps de faire le trajet à pied pour aller à la plage, nous ne le ferions pas. Nous considérerions que nous ne sommes pas libres d’aller où nous voulons parce que nous n’avons pas un moyen de transport (technologie) ou l’argent (monnaie) nécessaire pour en prendre un. Cela parce que nous trouvons dévalorisant d’aller à pied qui est devenu un symbole de la pauvreté. D’une certaine manière, dans la quête du toujours plus vite, nous dévalorisons ce qui est une aptitude fondamentale de notre survie marcher. Une quête qui finit par rendre atrophiée cette aptitude à marcher et qui, d’une manière plus générale, fait dire à certains psychiatre que l’inné n’est plus adapté à notre monde culturel, ou d’autres1. Nous laissons ces propos à leurs auteurs. Mais nous pouvons souligner notre crainte qu’à travers eux, il y ait quelques fous qui proposent de modifier l’inné pour l’adapter au monde culturel contemporain, dont nous savons pertinemment qu’il aura une fin, et dans ce cas là, ces fous laisseraient peut être des monstres derrière eux.
Ainsi, l’attachement à un mode de vie (un moyen de transport en l’espèce) n’est pas synonyme d’indépendance et d’autonomie. Pourtant nous ne nous déclarons autonomes que lorsque nous pouvons accéder à ce mode de vie, car il nous permet de faire d’autres choix et plus de choix dans un temps donné. Dans ce cas l’autonomie n’est pas de faire seulement des choix en fonction des moyens technologiques disponibles, mais de les faire surtout en fonction du temps dont on dispose à sa convenance personnelle pour les utiliser. Si bien que la consommation qui rend autonome est celle qui nous dégage de la constance de devoir produire des biens et des services, pour se consacrer à une activité de non/travail.
Au-delà, la sédentarisation a débouché sur la reconnaissance de la propriété individuelle qui est le socle du libéralisme. Cette nécessité pour l’individu (l’abri) conduirait à s’interroger sur ce qu’il adviendrait des individus, si l’État (agissant pour le compte de l’ensemble des citoyens) n’était pas dépositaire d’un espace domanial et public (comme nous le voyons avec quelques espaces du littoral maritime qui ont nécessité un interdit de vente). Nous aurions tôt fait de tout nous approprier individuellement au nom du droit à la propriété privée et d’en interdire l’accès aux autres.
Ainsi, chacun enfermé dans son territoire, nous aurions atteint notre liberté arbitraire, notre autonomie suprême, notre indépendance totale. Pourtant, pour ne pas en mourir psychologiquement nous négocierions des pans de notre liberté arbitraire, de notre autonomie. Nous nous rendrions interdépendants, et nous reconstituerions une collectivité, un État, une sociabilité. En fait, nous passons le plus clair de notre temps à nier l’action collective si elle ne s’exprime pas dans un rapport dominant/dominé. Nous nions la solidarité organique qui impose l’interdépendance, si elle ne conduit pas à l’émergence d’un dominant. Nous pourrions dire aussi que les «dominants systémiques » nous conditionnent au travers d’un discours «autonomisant » de stratégie d’acteurs, dont ils tirent le meilleur coût/avantage pour rester les dominants.
Nous ne prenons pas conscience que le pouvoir serait de se reconnaître dans l’autre, alors que dans la réalité, l’un reconnaît l’autre comme supérieur. Cela rend donc attractifs les sentiments de liberté, d’indépendance, d’autonomie qui nous permettent ainsi de nous sentir supérieurs. Or il s’agit du désir de chacun. Qui donc va accepter d’être reconnu inférieur, si ce n’est celui qui se démettra quelles que soient ses raisons ? Et plus particulièrement dans les démocraties, celui qui acceptera de se démettre de son pouvoir politique.
L’objectif républicain d’égalité n’est bien sûr pas réalisable en l’état, sauf pour les naïfs, puisqu’il faudrait pour cela que les uns se reconnaissent dans les autres, ce qui ne signifie pas être identique. Et nous venons de dire que ce n’est pas comme cela que nous vivons. Alors nous pouvons nous demander où se trouve l’autonomie après laquelle nous courons, si ce n’est de se constituer du temps libre et des territoires sur lesquels nous pouvons circuler.
C’est à dire avoir une capacité d’initiative pour poursuivre un but, avoir un projet. C’est à dire sortir de cette vision de l’immédiateté qui caractérisait la vie de nos ancêtres hominiens, ceux qui ne pouvaient pas amasser de la nourriture. Le reste n’étant qu’organisation de notre interdépendance de telle manière que chacun y prenne sa place sans être l’esclave d’un autre pour en vivre. C’est à dire humaniser une relation innée qui conduit le dominant alpha à persécuter son subalterne, qui lui en fonction d’un ordre hiérarchique social bien établi trouvera un inférieur à persécuter et ainsi de suite (annexe n°1). Sauf que dans la nature les animaux ainsi soumis à cette rigueur trouvent un espace ou se retirer pour y échapper s’ils ne sont pas compétitifs. Alors que chez les humains comme cet espace de liberté territoriale n’existe pas, les plus faibles sont exclus et parqués dans des quartiers voire abandonnés à leur sort.
De telle manière que ce qui anime nos débats empreints de subjectivité autour de la liberté de l’autonomie et de l’indépendance, n’est que comment devenir des partenaires dans une société complexe, alors que nos sens ne traduisent que l’immédiateté d’un espace relationnel limité.
Dans cette optique on ne peut éviter d’examiner l’organisation économique dans laquelle l’on vit. Or, l’activité économique néolibérale construite autour de la doctrine du libéralisme ne conduit pas au partenariat. Ceci, parce que, au travers du capitalisme et de la propriété privée des particuliers se sont construit des empires financiers apatrides à la suite d’une lutte dogmatique, qui fait peu de cas des individus dont elle flatte l’individualité. Ces empires n’ont abandonné des droits arbitraires (sur les conditions d’emploi de la main-d’œuvre par exemple) que contraints et forcés. Droits qu’ils sont en train de reconquérir depuis un certain nombre d’année, car ils n’ont plus d’opposants idéologiques à craindre, ni de politiques de citoyens qui se sont démis de ce pouvoir (édifier des projets de société). Et ces empires peuvent faire jouer la concurrence entre les différents niveaux de vie des États.
Il nous paraît utile de rappeler que la doctrine du libéralisme consiste et vise à limiter les pouvoirs de l’État (donc celui du citoyen aujourd’hui) au regard des libertés individuelles, lesquelles permettent d’exercer une libre entreprise dans lequel l’État n’a pas à intervenir pour réglementer la concurrence et en gêner le libre jeu. Cette doctrine, et cela est important, s’opposait au XVIII ième siècle à l’absolutisme monarchique. Mais aujourd’hui dans des États démocratiques elle n’a plus d’objet.
Pourtant aujourd’hui cette doctrine retrouve une nouvelle vigueur, cela signifie que les possédants ne veulent pas que ceux qui dépendent de leur initiative (les autres citoyens) puissent avoir à discuter ou orienter leurs intérêts particuliers. En caricature soit esclave et tais-toi, dans le monde animalier l’alpha ne compose pas avec le bêta.
Or, parce que le libéralisme s’est appliqué de la sorte, et que dans cette optique certains ne visaient que leurs intérêts particuliers en prétextant de l’intérêt tous, la constitution de 1958 a repris les droits économiques et sociaux des citoyens, y compris celui du droit à l’emploi défini dans la constitution de 1948.
C’est à dire que constitutionnellement les citoyens, au travers du rôle de l’État, se sont donnés le droit d’intervenir dans leurs affaires économiques pour veiller à ce que chaque citoyen bénéficie d’un travail. Pourtant depuis plus d’une vingtaine d’années nous entendons de manière récurrente se répéter par des politiciens qui se disent et se revendiquent de la constitution de 1958 le slogan, que l’État n’a pas à intervenir dans les affaires économiques.
Ce paradoxe ne les gêne pas car nous savons qu’il n’y a pas un déplacement d’un chef d’État à l’étranger qui ne se fasse accompagner d’une délégation d’employeurs pour passer des contrats économiques. Si l’État dans ces cas là est dans son rôle, certains libéraux ne le conçoivent que dans ce sens. Mais le problème n’est pas là. Il réside dans la conception que les citoyens n’auraient pas le droit de légiférer ou d’intervenir par l’intermédiaire de leurs représentants dans leurs affaires économiques ; qu’ils devraient rester soumis aux décisions de leurs intérêts individuels privés (incapables d’actes de solidarité), dont nous avons vu qu’ils se définissaient avec ceux des Autres, et ne conduisent pas forcément à leur intérêt collectif. Or généralement ceux qui soutiennent cela se coalisent autour de leur intérêt privé pour y donner une identité reconnaissable, tel le MEDEF. Nous retrouvons donc ce discours chez les possédants de «la propriété économique » qui ne désirent pas que les autres viennent contester leur pouvoir, au nom de leur citoyenneté. Que les bêtas organisés en société ou communauté contestent le pouvoir de l’alpha qui veut les soumettre à ses désirs.
Pour ces possédants l’État n’aurait vocation qu’à gérer les affaires communes et les biens collectifs non rentables dont ils tirent eux-mêmes un usage, afin d’en faire partager leur coût à l’ensemble des citoyens. L’État n’aurait pas vocation d’appliquer les décisions idéologiques collectives dont son porteur les partis politiques, mais de favoriser le pouvoir particulier des possédants systémiques.
Sauf que nous ne vivons pas dans une situation d’école ou dans l’illusion que l’on nous présente toujours, qui est celle où chacun posséderait une «propriété économique » (leur indépendance économique, nous nous en sommes expliqué). Ceci n’est pas la réalité, même si les salariés qui possèdent une maison (l’abri) et un terrain pour son «non/travail » ou les moyens financiers équivalents, croient appartenir ou s’identifient aux clans des possédants.
Dans ce séculaire débat, pour ne pas dire affrontement, que se livrent ceux qui possèdent les moyens économiques et ceux qui en dépendent, c’est à dire la lutte des classes, ce sont les premiers qui l’ont emporté très logiquement. Cela parce qu’ils sont instruits, entreprenants et investissent les lieux ou se situent le pouvoir, l’argent et l’information, tandis que les autres s’en démettent, et vont même reconnaître, à juste titre d’ailleurs, la valeur de ceux qui les exploitent et y confier leurs intérêts.
Bien naturellement nous ne parlons pas de l’entrepreneur, de l’artisan, du sou traitant, de tous ceux qui possèdent une entreprise petite ou moyenne et qui concourent à l’activité économique interne. Nous parlons de ceux qui possèdent ou disposent des capitaux financiers, et qui peuvent décider, si les conditions de rentabilité financières des entreprises dans lesquelles ils investissent ne sont pas suffisant, d’exiger des réductions de coût au niveau de la concurrence internationale ou retirer leurs capitaux. De ceux qui ont organisé des circuits financiers pour échapper à tous contrôles à toutes réglementations.
Nous pourrions illustrer cela par une caricature : Paul travaille dans l’entreprise Y, il épargne de l’argent qu’il dépose à la banque pour retirer un intérêt de 10%. La banque place l’épargne de Paul sur le marché financier en prenant une marge de 10% pour rembourser Paul, plus 10% pour son fonctionnement et ses bénéfices. Un investisseur prend l’épargne de Paul que lui propose la banque au taux de 20% et doit trouver un investissement qui lui couvre les frais de remboursement plus les 10% qu’il pense en retirer. Il trouve une entreprise où investir celle de Paul, soit l’entreprise Y. L’entreprise Y va alors exiger de Paul une activité qui puisse lui permettre de satisfaire la marge bénéficiaire de l’investisseur. Nous voyons donc dans ce circuit que Paul par son épargne a nourri un ensemble d’intermédiaire et qu’en fin de parcours c’est lui par son travail qui se rembourse les propres intérêts qu’il a sollicités. Et en plus l’on voudrait ne pas reconnaître à Paul le droit d’intervenir dans les affaires économiques.
Cette logique nécessiterait que les gouvernements s’investissent dans la promotion d’accords sociaux internationaux qui concourent au développement de la sociabilité, qu’ils envisagent un nouveau scénario, mais ils s’en gardent bien.
Cela malgré quelques timides tentatives au sein de la Communauté Européenne, et également à cause du peu de moyens et d’audience des organisations syndicales internationales.
Pourtant, le plus pittoresque c’est que les citoyens concernés par cela, petits employeurs, artisans professions libérales ou salariés, la moyennisation en quelque sorte, ne le réclament même pas dans les programmes de leurs partis politiques.
Ceci se déroule dans une espèce de fatalisme dans lequel chacun renonce devant la complexité des relations économiques, en pensant qu’il sera le plus habile à tirer profit de la situation s’il s’insère dans le processus de la loi du marché que presque plus personne ne conteste, car chacun joue et tient le rôle pour lequel il a été formé.
Sauf ces dernières années avec les «anti-mondialistes », phénomène qui se présente aussi comme étant une capacité d’acquérir une autonomie face au dictât des puissants.
1 Notes des auteurs.
Dans le même ordre d’idées P. Thomas Philippe écrit «La puberté semble venir trop tôt en l’homme, elle lui donne toutes sortes de sensations et d’aspirations bien avant qu’elles puissent se réaliser dans le mariage. (…) ». Ainsi l’on pourrait inventer la pilule à bloquer la puberté pour satisfaire à une éthique religieuse, nous bloquons bien incidemment celle de certains enfants en les soumettant à un entraînement physique intensif pour qu’ils deviennent des champions. Feu et lumière. Dossier n°223 par Daniel-Ange. Décembre 2003. P 47.
Cette loi du plus fort cohabite pourtant avec une définition du libéralisme qui signifie : fait d’être libéral, tolérant, être favorable aux libertés individuelles, à la liberté de penser, à la liberté politique. Si bien que sous cette vision idyllique dont tout le monde se prévaut, on ne s’aperçoit même plus que le néolibéralisme avec ses nouveaux fondamentalistes économiques les réduit de fait. Quelles libertés individuelles pour tous ceux qui sont privés de revenus ou en ont si peu, quelles libertés de penser quand l’école forme avant tout des rationnels professionnels, que les grands moyens d’informations sont univoques, quelles libertés politiques quand l’on est quasiment dans «l’unipartisme » à variation sémantique ?
Pourtant chacun pense être autonome dès lors qu’il a un travail dans une structure économique dont la finalité n’est pas de créer des emplois mais de faire du profit. L’ensemble fonctionnant dans un État qui constitutionnalise le «droit au travail », tout en favorisant une économie de libre concurrence, dont les plus ultra ne lui reconnaissent pas ce droit.
Ceci nous vaut le paradoxe de voir l’État verser des subventions issues de la collectivité, à des entreprises créatrices d’emplois, dont l’idéologie politique et de réduire le rôle de l’État en l’espèce et de réduire leurs prélèvements obligatoires ; quand certaines d’entre elles ne réalisent pas leurs profits financiers grâce à ces subventions, et par la suite suppriment des emplois.
Dans cette interaction régulatrice où l’on s’évertue à remplir un entonnoir, l’emploi a acquis une valeur par sa rareté. Cette valeur c’est même accru avec la doctrine de la flexibilité par laquelle le néolibéralisme introduit la précarité, l’instabilité et le chômage qui mènent à l’exclusion sociale et à l’éclatement de la famille.
Nous sommes bien dans la logique de la valeur de la rareté. Plus quelque chose est rare et acquiert de la valeur, moins de personnes en bénéficient, et plus l’on consent de sacrifices pour l’obtenir.
La vie est la finalité, l’entreprise un moyen.
Dans cette logique les exclus ont bien évidemment un coût social or, l’Entreprise rechigne à participer au coût social de sa doctrine, et renvoie ce rôle à l’État (au citoyen). Alors que celui-ci tient une partie de son budget qu’au travers des prélèvements obligatoires et taxes sur les ressources que redistribue l’entreprise aux individus, parce que c’est l’entreprise qui capitalise le produit du travail de tous.
L’entreprise agit aussi comme un attracteur (capitalise) et n’a donc de valeur que parce qu’elle peut redistribuer des biens, des services et des revenus. De là tous nos débats autour d’elle. A poursuivre l’analyse, nous retomberions dans celle de Karl Marx, mais celle de Durkheim est plus subtile et moins engagée. Elle stipule que tout individu trop fortement intégré dans un groupe, peut être amené au suicide altruiste s’il considère que la vie du groupe est plus importante que sa propre existence.
Ainsi, si nous ne vivions que pour l’entreprise, elle finirait par conduire les salariés à travailler toute leur existence. Nous finirions par ne plus exister, de la même manière que le pendule qui voudrait devenir le clou.
L’Entreprise est un moyen, la vie est la finalité. L’Entreprise est le produit d’une vie communautaire due à l’évolution de la solidarité organique plus ou moins bien «individuée », qui est capable de se définir des droits et besoins sociaux qui reflètent les exigences de la vie des individus comme finalité. Une finalité qui ne peut être atteinte que collectivement par des projets politiques.
Nous sommes donc en permanence dans la nécessité de transgresser les règles qui conduisent à une «liberté arbitraire », tout comme celles qui conduisent à une communauté univoque.
Or le rationalisme, issu de la performance «scientifique », mis au service de l’efficacité de la production qui a investi tous les domaines de la vie, ne peut pas conduire à cela, puisqu’il est arbitrairement normatif et ne laisse aucune marge de transgression. Il l’est à tel point que tous les désirs de droits sociaux doivent recevoir l’aval de la rationalité normative dans des domaines où, d’une utilité indicative, elle devient arbitraire (tel les débats actuels ou passés autour de la sécurité sociale ou des retraites ou encore les 3% de déficit budgétaire imposés par les critères de Maastricht).
L’on assiste, de fait, à des boucles de rétroaction de l’instance de socialisation secondaire qu’est l’Entreprise, vers l’instance primaire qu’est la famille. Ceci parce que l’absence ou l’insuffisance de socialisation par la famille ne permet pas d’intégrer la socialisation par l’école. Par voie de conséquence l’intégration sociale dans l’entreprise et le monde du travail, est compromise. De telle manière que des valeurs humaines (même imparfaites) issues de la socialisation organique dont nous avons conscience et qui devraient conduire à une «intériorisation » des ensembles complexes que représentent nos relations, s’inhumanisent au contact d’une rationalité productive dans une recherche d’autonomie périmée, à tendance régressive, qui nous empêche de faire face au défi qui est : comment organiser la liberté des personnes au sein des nécessités collectives ?
Cela pour qu’elles ne deviennent pas des esclaves heureux, efficaces, mais stupides au point d’organiser leur déclin.
Nous nous dirigeons vers cela, par un phénomène d’exclusion endogène, dû à une désaffiliation progressive des individus, au nom de l’individualisme. Ce dernier conduit a ce que Gérard Mermet a appelé «l’égologie » (culture des comportements égoïstes) qui, en remodelant les normes et valeurs issues d’une recherche d’autonomie au moyen de la rationalité productive, n’ont pas su ou n’ont pas encore trouvé l’harmonisation d’une nouvelle sociabilité. Ces comportements égoïstes ont favorisé l’accroissement d’une domination systémique rationnelle comptable, renvoyant les individus à la recherche de communautés humaines «tribalistes ».
Devant la complexité de l’existence et son évolution rapide, les familles n’ont pas toutes les capacités d’assurer l’apprentissage nécessaire à la compréhension de l’économie de marché dans laquelle, dès leur naissance, les enfants sont soumis au travers de la valorisation par la consommation. Pourtant, ils comprennent très tôt que la clé est l’argent (monnaie) et que ne pas en avoir est frustrant.
En conséquence de quoi ils attendent de l’école qu’elle leur donne les capacités d’aller se vendre sur le marché du travail, afin de disposer d’une indépendance financière.
Cependant, l’économie post capitaliste (rentabilité immédiate des investissements financiers) a induit de manière durable un chômage structurel de stratégie, et non pas un chômage de volume récurrent dû à l’incapacité de produire des biens. De fait, comme nous l’avons dit plus haut, il est né un désenchantement fataliste qui laisse croire que l’on s’en sortira mieux tout seul, d’autant plus que nous vivons dans l’élitisme (ne pas confondre avec l’élite sortie du système éducatif). De telle sorte que l’intégration dans l’Entreprise résulte d’une double contrainte. Celle de la nécessité de devoir se nourrir et produire les biens et services que nous désirons, et celle du rêve, de notre désir que ce soit les autres qui y pourvoient. Nous qualifions le tout, d’accès à l’autonomie.
Ainsi, le capitalisme, qui sous-entend regrouper les capacités productrices pour être plus efficace, accolé au libéralisme qui confère la primauté à l’individu, ont donné la société que nous connaissons. Une concentration de richesses entre les mains d’un certain nombre d’individus, parce que de fait, si chaque individu se les répartissait, il n’y aurait plus de concentration.
Le système produit donc de l’exclusion. Afficher une doctrine de la suprématie de l’individu, ne suffit pas. Et croire que celle-ci se réaliserait par un partage de la richesse est une illusion.
La rationalité, dont nous avons dit qu’elle avait imprégné l’école, avait imprégné bien avant le système politique en nous faisant passer de la IV ième à la V ième République dans la recherche d’une stabilité de gestion de l’État. Ceci par un système à majorité parlementaire qui, de fait, délègue ses pouvoirs à un gouvernement choisi par un président élu sur un programme (dans le cas de la France), ce qui a fait dire à certains, que nous disposions d’une monarchie républicaine.
Cette rationalité également issue de l’économie produit inévitablement les mêmes effets dans le monde politique, c’est à dire produit des professionnels de la politique qui développent des stratégies d’acteurs, dont la compréhension n’est plus accessible aux familles sauf par le slogan réductionniste.
Mais cette rationalisation qui se renforce encore aujourd’hui, évince l’expression de la diversité ; nous pourrions dire en terme libéral, la voix de l’individu qui ne peut se manifester que dans un premier tour de compensation, pour justifier de l’existence d’un système démocratique. Là aussi, la rationalité issue du système économique a installé un système d’exclusion du pouvoir de certaines tendances politiques des citoyens, mettant ainsi à mal le pluralisme politique.
En l’espèce, il s’agit moins d’une critique, que d’essayer de faire ressortir la différence entre un discours et une réalité.
Réalité dans laquelle on ne peut en permanence tenir un discours de liberté, d’autonomie, d’indépendance, tout en étant dans l’obligation, par soucis d’efficacité d’une réelle interdépendance de construire des systèmes d’autorité, d’exclusion qui conduisent inévitablement vers une tendance unipolaire : reconnaissance d’un dominant idéologique qui verse obligatoirement dans le dogmatisme.
Les moyens utilisés en politique sont le «redécoupage » électoral et les seuils d’audience électorale, poussés par le souci de ne pas donner lieu à une alternance qui ne s’inscrirait pas dans l’idéologie dominante. Parmi ces moyens, on trouve également la nouvelle décentralisation qui débouchera sur la « tribu », au nom de l’autonomie du réalisme local qui cache l’incapacité «socialisante » de la rationalité technocratique actuelle à déléguer, et qui affaiblira la République tout en redonnant le pouvoir à des «communautarismes » fédérateurs. Que les réalités locales soient prises en compte, qu’elles participent aux prises de décisions, que les lourdeurs administratives disparaissent est une chose, par contre, croire qu’en appliquant à l’État les modifications du management des entreprises dues au post capitalisme, c’est oublier que le pouvoir central de l’entreprise peut licencier n’importe quand un de ses dirigeants à qui elle a donné une marge «d’autonomie » et de responsabilité à la vue de ses résultats financiers.
En politique il en va autrement et nous risquons de verser dans un «in égalitarisme » local encore plus accru que celui qui existe, en réveillant les valorisations déjà fortement marquées du jacobinisme pontifical local : « ma région », « mon département », « ma ville », et reléguer le rôle de l'État à celui d’arbitre des seigneuries.
Certains politiciens croient pouvoir trouver dans cette stratégie une solution au problème soulevé par le besoin de démocratisation des citoyens qui ne voyant pas venir de solutions efficaces au problème de l’exclusion du au chômage, pensent que des élus locaux disposant de plus de responsabilité, d’une démocratie plus proche d’eux, en trouveront.
Faut-il être en pleine dichotomie du raisonnement, pour ne pas avoir encore compris que nous sommes dans un chômage structurel et qu’il y a une certaine absurdité à mettre en place des mesures incitatrices à la recherche d’un emploi, dans une société qui les supprime, ceci faute d’un volume suffisant de circulation de monnaie qui ne trouve pas sa rentabilité financière dans les pays riches, parce qu’ils disposent d’une qualité de vie onéreuse.
La seule réponse qui est avancée depuis les années 1977 est de réduire les coûts sociaux. C’est dans cette tendance que nous sommes engagés, et il nous est expliqué que cela permet de conserver, par la compétitivité, notre autonomie future. Cela, parce qu’il nous est expliqué aussi que l’autonomie résulte de la capacité de pouvoir choisir. Mais dans ce cadre économique que propose l’ultra libéralisme dogmatique, il n’existe que son choix. Constatant que l’on ne peut en permanence s’élever sans fin, incapables de susciter une nouvelle forme de développement de richesse, nos politiques suggèrent, pour que ce système économique conserve l’autonomie issue de ses performances, de développer des mesures de restrictions qui conduisent certains à la misère.
On peut donc en déduire logiquement que l’autonomie pourrait être obtenue aussi par une évolution régressive qui conduirait au développement de la misère de certaines catégories de citoyens. D’une certaine manière, on invite les individus à acquérir une autonomie et une indépendance dans une voie rationnelle normative. Cette voie, qui se veut démocratique, n’est en fait qu’une autoroute avec des sorties forcées. Si ceci n’est pas choquant en soi, ce qui l’est, c’est que l’on appelle cette voie, l’autonomie et l’indépendance. De tels discours ne peuvent passer inaperçu que par une exclusion qui s’est développée dans l’enseignement, celle d’une éducation citoyenne et philosophique.
Devant tant de systèmes d’exclusions, qu’ils soient économiques, politiques, ou sociaux (insuffisance de la famille, sélectivité de l’école, illusion de la richesse pour tous), il est compréhensible que la notion d’autonomie ait autant d’impact, aussi bien pour les puissants que pour les miséreux. Il n’est pas surprenant que l’on assiste à une désaffiliation progressive des individus, et qu’ils aient le sentiment que l’évolution de la société se fait sans eux, puisque la collectivité ne pourra jamais correspondre à leur désir arbitraire d’individu unique mis en exergue.
A l’époque de l’ex union soviétique, nous appelions dictature cette évolution où les décisions se prenaient dans une illusion participative des citoyens. Mais ceux qui vivent cette évolution à la manière occidentale, appelle cela la liberté, pour se convaincre qu’ils choisissent ceux qui les dominent. En ex-union soviétique le dictateur était facilement identifiable. Dans la situation occidentale il faut une bonne capacité de réflexion pour le trouver, car il a coopté bon nombre de citoyens, sans leur donner pour autant le pouvoir, en sachant vendre une autonomie que chacun taille à sa mesure (sorte de clientélisme à la Roumaine).
L’homme étant un animal social, les individus générés par ce système retrouveront une socialisation au travers de groupes de pairs. Ils se chercheront comme nous l’avons expliqué une «communauté de famille ». Sans entrer dans les détails, on a ici les prémisses des phénomènes de bandes qui pour exister définissent un territoire au sens zoologique du terme. Autant d’éléments qui sont facteurs de délinquance et participent au sentiment d’insécurité.
Ce sentiment d’insécurité amène une population vieillissante, installée dans sa «richesse » issue des années du keynésianisme, à réclamer plus de sécurité et de répression. Donc plus de contrôle social externe.
D’un autre côté dans le domaine de l’économique, comme nous l’avons précisé en énumérant les réformes de l’Entreprise, l’entreprise libérale réclame plus de liberté de fonctionnement. Plus de liberté dans sa gestion des personnels, à condition que ces personnels ne s’insurgent pas contre la flexibilité.
De plus, pour réduire les coûts, l’entreprise demande à ses employés d’être le plus autonome possible. C’est à dire qu’elle cherche à supprimer l’autoritarisme contraignant de la hiérarchie, au profit d’objectifs qui développent chez les individus un processus d’autodiscipline, donc de contrôle interne.
Ceci est la vision individualiste favorisée par l’entreprise moderne et la concurrence à tous les niveaux, qui modifient le lien social, au risque d’aboutir à la vision Durkheimienne de l’anomie.
De telle sorte que lorsque l’emprise de la «communauté citoyenne » s’affaiblit, et avec elle les systèmes de régulation de l'État qui conduisent à la socialisation, l’individu se trouve alors face à ses «esclaves passions » ou sa «liberté arbitraire ». Situation à laquelle notre société mondialiste actuelle ne peut plus répondre, parce que sa régulation dépasse la capacité cérébrale d’un individu, car plus personne ne peut gérer quoi que ce soit sans l’aide des autres et de la technologie pour assouvir un désir d’immédiateté de tout. Devant une telle évidence d’interdépendance de fait, on ne peut que s’interroger sur la vision individualiste et autonome qui s’inscrit dans une vision de responsabilité des individus.
Il est clair que par le système d’apprentissage immanent (biologique), adapté (école), aucun individu qui naît n’est responsable de la société dans laquelle il s’installe, laquelle est l’héritage de ceux qui l’ont précédé, et ils vont lui demander d’en être un fidèle imitateur, de la cloner parfaitement.
Pour cela, la société dispose de systèmes d’autorité qui veillent à ce que chacun respecte la règle. Si cela était aussi simple et aussi efficace, nous aurions une société immuable, ce qui n’est pas le cas. Il faut donc qu’il y ait transgression de la règle pour qu’une société évolue. Toute société s’identifie par les règles de sociabilité qu’elle édite autour des comportements égocentriques. Donc la responsabilité des individus de se conformer à la règle doit être examinée, non pas seulement dans leur capacité de choix parmi ceux proposés par la règle, mais tourné vers ce qui précisément l’induit (la communauté ou la société des individus), vers l’individuation, vers l’intégration valorisante au groupe, vers le projet de société, vers la variété des relations et leurs intensités.
Et en cela il n’y a rien de bien autonome.
Partant de là, il est facilement compréhensible que toute orientation qui conduit à une liberté arbitraire, à une exclusion, à un isolement, souligne par-là la déficience de la règle. Or, la plupart du temps nous invoquons l’incompétence de la responsabilité individuelle des acteurs pour s’en justifier, car celle du fait social ne peut-être qu’historique.
C’est la problématique que rencontre notre société qui a défini un tribunal international qui se veut juger les faits de société, le «fait social », par l’intermédiaire des individus qui le représente. N’ignorant pas qu’en faisant le procès des tyrans elle fait aussi celui de la «lâcheté » de ceux qui s’y sont soumis, ou qui ont trouvé dans la tyrannie ce en quoi ils pouvaient être solidaires pour s’en accommoder, guidés par un comportement inné (la nécessité de survivre), et qu’ils ne peuvent être de fait inculpés de ce «fait social » auquel ils ont contribué, car le futur se fera avec eux.
Cette responsabilité permet d’introduire la notion de choix individuel. Choix individuel qui est alors étayé par la notion d’égalité des chances. La position de l’individu résultant de sa volonté et de ses choix. A un niveau plus large, l’individu peut alors choisir entre le bien et le mal. Cette vision s’inscrit dans une théorie développementaliste et ethnocentrique, qui pose la démocratie comme l’aboutissement d’une évolution inéluctable des sociétés, favorisée par l’économie libérale, dans laquelle l’État (la communauté citoyenne) doit être réduit à sa plus simple expression et laisser la place aux agents des systèmes d’autorités arbitraires.
Lesquels n’ont plus d’opposants, de «transgresseurs » de jugements susceptibles de se faire entendre, et le débat philosophique a été remplace par celui «économico logique » dogmatique, qui conclut que l’homme ne peut exister que s’il y a au préalable l’argent (monnaie) nécessaire à son existence. Donc, posséder de l’argent (monnaie) est synonyme d’autonomie. De là, l’existence d’un Homme ne dépend que de l’existence de monnaie : y croyez-vous ?
Ainsi comme nous venons de le voir dans notre approche de la liberté : la liberté subjective de l’individu doit être en permanence réactualisée par la règle qui permettra à chacun, dans son respect, d’y trouver les moyens d’acquérir une autonomie bridée qui les rendra responsables de tous leurs actes.
L’autonomie, elle, s’acquiert par le développement et le perfectionnement de ses facultés naturelles pour trouver une place dans l’organisation de la société définie par les règles humaines qui régulent la liberté des individus pour que chacun ait accès à une ressource, grâce à l’initiative individuelle construite par l’histoire collective.
La responsabilité individuelle : c’est l’incidence de l’action de chaque individu façonné par l'apprentissage générationnel du fait social qui concourt, en le sachant ou non à l’évolution de la destiné humain par la transgression de l’ordre social.
La responsabilité collective : c’est le fait social qui s’organise en règles et qui s’impose aux individus pour rendre intelligible leur sociabilité.
Comme l’expriment ces quatre définitions il n’y a pas une place qui puisse être faite à l’indépendance pour qui que ce soit. Pourtant, c’est sur cette base là que nous développons notre existence dans le rapport des individus entre eux. Si nous voyons que de manière générique l’indépendance n’existe pas, elle trouve son existence dans le choix des individus qui expriment de quoi et de qui ils veulent dépendre, à partir du moment qu’ils ont compris, quelle que soit leur capacité d’autonomie, la limite de leur liberté, leur part de responsabilité individuelle d’acteur, et qu’ainsi ils ne peuvent pas dépendre d’eux seul.
Alors, dans le jeu des alliances qui se font et se défont dans la recherche d’une autonomie contrainte par la recherche du choix d’une dépendance, la dépendance économique (la source de revenu) et politique (la règle) sont indissociables de la responsabilité collective générationnelle (sociabilité) de celle individuelle d’acteur.
De telle manière qu’acquérir une autonomie n’est pas rechercher une indépendance, mais prendre une part pleine et entière dans la définition d’une liberté positive qui engage la responsabilité collective de ceux qui en sont solidaires, pour structurer la société dans ses différenciations et ses singularités, afin de dégager les ressources nécessaires avec la participation de chacun, en ne retenant comme source de responsabilité que celle de la capacité de l’individu.
Or, la participation de chacun pour se prémunir d’une dictature du «dominant » s’illustre dans les démocraties par le rôle confié à l’État de veiller à la cohésion sociale afin de préserver les initiatives d’acteurs sans que pour autant elles ne deviennent source de servitude et d’exclusion, et organiser et susciter, dans le cadre de la responsabilité collective ce qui peut être de l’intérêt collectif et qui échappe à l’intérêt égoïste des individus.
Naturellement, chacun comprend qu’il s’agit là d’une hypothèse d’école et que la réalité historique comme nous l’avons soulignée est tout autre, car même une démocratie, dont le pouvoir est investi par le dogmatisme, peut s’avérer être totalitariste. La plupart du temps, cela se caractérise par une incapacité à garantir une cohésion sociale qui se compense par un appel au symbolisme nationaliste, qu’il faut distinguer de l’identité nationale.
Aujourd’hui, la référence permanente à l’autonomie représente l’illusion qui flatte la vanité de chacun, car elle couvre trop de champ d’action et chacun peut y trouver une place pour justifier l’exactitude de la nécessité de son égoïsme.
En cela il n’y a point de hasard, non pas qu’il s’agisse d’une stratégie de quelques-uns visant à nuire à la société, mais d’une volonté commerciale de vendre les produits individualisant de sa technologie qui, investissant le champ psychologique laisse croire que la singularité de chacun ne peut pas s’accommoder d’une solidarité avec les autres. Si la notion d’autonomie, qui est devenue la croyance que l’on peut vivre seul, était remplacée par la notion de «capabilité » défini par Amartya Sen, nous verrions plus clairement de qui nous détenons les moyens de devenir des individus capables de s’insérer dans l’existence des autres.
Car pour être capable, il est nécessaire de s’instruire et de s’éduquer, tandis que pour être autonome, il suffit de le croire.
Déjà Durkheim (1858 /1917) mettait en garde contre les dangers de la modernité à ne pas pouvoir intégrer et socialiser les individus.
Aujourd’hui le mot modernité est toujours de rigueur, à croire que les hommes ne connaissent que celui là, et bien qu’il soit synonyme de progrès, il semble toujours devoir conduire à la désocialisation.
Et la psychologie sociale, qui a succédé à la sociologie de Durkheim, avec toute sa «science » conduit au même constat.
Durkheim, qui voit dans l’État une institution chargée de garantir la cohésion sociale, ne se trompe pas quand il doute de son efficacité dans une société marquée par l’individualisation du lien social. La protection sociale à été conçue pendant une période de forte croissance Durant les « Trente glorieuses » elle a parfaitement rempli son rôle, assurant des revenus suffisant et une forte cohésion sociale pour la majorité des individus. Mais aujourd’hui, la faiblesse de la croissance ne permet plus, à un ensemble reposant en grande partie sur la masse salariale de remplir sa mission. Pierre Rosanvallon dit que l’on assiste à la crise de l’Etat/providence. Une crise financière, d’efficacité et de légitimité.
Les individus de la société moderne ont appris à être dépendant d’un État qui leur garantissait la cohésion et leur assurait la constitution de liens sociaux. Si l’État ne remplit plus ce rôle, l’individu va se sentir isolé, déstructuré, livré à lui-même, et ne réclamer, comme nous l’avons dit, de lui qu’il s’occupe de son intérêt égoïste.
La famille.
Traditionnellement, la famille était l’instance de socialisation par excellence. L’individu y formait son identité. Jusqu’aux années 1970 elle a remplit ce rôle et est le lien, avec le travail, où se nouent les relations sociales.
Avec la baisse du mariage et la hausse des divorces, on note une recrudescence des personnes seules et des familles monoparentales. En fait, la famille ne «fabrique » plus l’individu, au contraire, la société pousse l’individu à se construire lui-même. Notre société établit une conception de la famille individualisée et fragmentée, marquée par une rupture continue du lien social.
L’école :
Le système éducatif a lui aussi connu de nombreux bouleversement. L’école était un lieu d’intégration à part entière, une institution de socialisation. L’école reproduisait ses élites et permettait à terme une bonne cohésion sociale. La poussée individualiste moderne va transformer l’école en marché et l’élève en consommateur. La massification a fait entrer les différences sociales à l’école mais a aussi isolé l’individu. Isolement et rupture du lien social marquent également l’institution scolaire aujourd’hui.
L’église.
Afin que s’exprime pleinement la conscience collective, Durkheim a fait appel à une autre institution, l’Église, qui permet de soumettre la conscience individuelle. Mais il voit lui aussi apparaître le phénomène de sécularisation désignant le déclin de la religion au profit d’une conception scientifique du monde. Dés lors, l’individu se libère de la contrainte collective imposée par l’église qui ne «modernisera » son discourt qu’à partir des années 1960 pour celle catholique. Il y a un recul des pratiques religieuses.
Une plus grande liberté de choix est offerte, mais pour certain, c’est une liberté trop grande qui laisse sans attaches. Toutefois la permanence de l’église demeure une réalité qui se manifeste au nom de la liberté des diverses pratiques religieuses et ranime passagèrement des conflits communautaires. Également un grand nombre de démocraties s’y réfèrent constitutionnellement.
Pierre Rasnvallon constate un effacement des groupes intermédiaires qui permettaient de jouer un rôle intermédiaire entre les individus et l’État et qui permettaient de faire remonter les informations sociales.
Ils ne peuvent plus être les supports d’une identité collective. Il y a une crise de la représentation sociale avec la disparition progressive des groupes intermédiaires, qu'ils soient à vocation politique professionnelle ou sociale.
Ils ne peuvent plus être les supports d’une identité collective car ils sont regardés comme un service marchant. Les individus ont moins d’occasion de pouvoir se sentir appartenir alors à un groupe intermédiaire socialisant.
La crise des institutions est révélatrice d’une désocialisation. L’apprentissage des valeurs et des normes permet de construire les identités des individus et de se sentir comme faisant partie d’un tout social. Durkheim mettait en garde contre les dangers de la modernité à ne pas pouvoir intégrer et socialiser les individus. Il en appelle aux corporations et à une famille unifiée pour garantir la solidarité.
Pourtant, aujourd’hui une partie de plus en plus nombreuse de la population ne parvient pas à s’intégrer dans la société. Ces individus ne sont pas là par hasard, ils sont le produit d’une socialisation ratée, des dysfonctionnements de la société moderne. Ils vivent une situation d’exclus.
Le terme d’exclusion est apparu en 1964 avec Pierre massé, alors secrétaire général du plan. Mais à l’époque la France est marquée par des taux de croissance importants et une idéologie qui pousse à voir les exclus comme des marginaux.
Ce n’est qu’en 1974 avec l’ouvrage de René Lenoir (les exclus, un français sur 10) que le terme d’exclusion désigne véritablement une inadaptation sociale et un phénomène de plus en plus répandu. Pourtant il faudra attendre la fin des années 1980, pour faire de l’exclusion une nouvelle question sociale.
Aujourd’hui l’intégration n’est plus acquise et la crise économique a transformé de nombreux salariés en exclus potentiels.
Robert Castel définit 3 zones :
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La zone d’intégration qui caractérise les individus ayant une situation de travail stable et de relations sociales nombreuses ;
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La zone de vulnérabilité combinant précarité et faiblesse des rapports sociaux ;
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La zone de désaffiliation, caractérisé par l’absence de travail et de liens sociaux.
Les trois zones ne sont pas totalement séparées, on peut ainsi compenser une situation de chômage par une forte activité sociale. Castel montre que l’exclusion n’est pas seulement d’ordre économique.
L’efficacité des «Trente Glorieuses » permettait de maintenir les individus pauvres autour d’une zone de vulnérabilité, alors que celle de désaffiliation ne concernait qu’une partie de la population marginale. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le système économique ne parvient plus à donner du travail pour tous et d’un autre côté les individus sont touchés par le vide social. Le chômage est devenu une réalité quotidienne pour beaucoup ; les individus deviennent parfois des « normaux inutiles ».
Au bout du processus, l’individu a le sentiment d’être sur la touche. C’est le phénomène de désaffiliation sociale de Serge Paugan. Le repli sur soi et donc l’isolement total qui aboutissent à une perte d’identification collective. L’individu a le sentiment de ne plus appartenir à une famille, à une nation, à un métier… Tout ceci menant à terme au phénomène de pauvreté.
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La pauvreté : Selon Barrat, elle est «l’absence ou l’insuffisance de moyens convenables à la satisfaction des besoins, considérés comme essentiels, d’un agent économique (individuel ou collectif).
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La pauvreté absolue : c’est l’état dans lequel l’individu se trouve lorsqu’il est incapable de satisfaire ses besoins primaires. Situation commune dans les pays en voie de développement (PED).
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La pauvreté relative : Elle se décompose en une dimension économique et sociale ? Cette notion est plus appropriée aux PDEM.
Est considéré comme pauvre l’individu qui ne peut que difficilement satisfaire ses besoins primaires. En France, ce niveau est fixé à 50% du salaire médian mensuel qui est estimé à environ 177 euros bruts en 1999 (hommes et femmes confondus). Il représente le seuil de pauvreté. C’est cette pauvreté qui conduit à la marginalisation de l’individu puis à son exclusion. Cette dernière étant considérée comme un mécanisme cumulatif de handicaps qui provoque progressivement le détachement de l’individu des valeurs et normes de la société dans laquelle il évolue. Il devient différent des autres parce qu’il ne partage plus leur quotidien. De plus il perd son identité car il n’est plus considéré et ne peut plus se percevoir comme un citoyen à part entière.
Ces individus subissent un phénomène de stigmatisation qui pour Goffman représente «les différences fâcheuses » (couleur de la peau, difformités, statut social non conforme etc.). Cette stigmatisation est une forme de rejet sur les préjugés sociaux.
Elles sont une des conséquences de la fracture sociale (terme utilisé par Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 1995). La montée de la délinquance et de la violence met en péril la cohésion sociale d’une nation. Ces phénomènes ne posent pas seulement un problème d’ordre social, ils symbolisent en raison de leur augmentation sensible, un dysfonctionnement social.
Il y a une augmentation du nombre de suicides, de toxicomanes, d’alcooliques, de consommateurs de psychotropes.
Ces attitudes anomiques touchent surtout des personnes qui connaissent ou ont connu de manière récurrente des déficits d’intégration professionnelle et/ ou sociale familiale. On retrouve bien le processus de désaffiliation de Castel.
Le poids d’une trop grande liberté a incité l’individu à rechercher de nouvelles formes de solidarité. Aujourd’hui il a tendance à s’organiser de nouveau en groupe, pour palier l’absence de sens engendrée par l’individualisme, autour d’une conscience collective forte. Contrairement à ce que pensait Durkheim, la solidarité mécanique n’a pas disparu de nos sociétés.
Ces nouvelles formes de solidarité mécaniques ont pris, ces dernières années, la forme de groupe ethnique, de mouvement nationaliste, écologique, communautariste….
Ces groupes peuvent soit s’opposer aux normes et valeurs, comme les groupes déviants étudiés par HoWard Becker, soit simplement faire émerger une conscience collective entre individus sans pour autant qu’ils soient marginalisés, comme dans la théorie des groupes latents de Mary Douglas. Ces groupes étant guidés par le désir de s’associer à travers des intérêts individuels qui se rejoignent. De nombreuses associations se développent sur ce modèle.
La famille n’a pas évolué de manière linéaire au gré des évolutions sociales et économiques, passant d’une famille élargie dans une société traditionnelle rurale, à une société nucléaire, typique de l’industrialisation. Aujourd’hui elle prend des formes diverses.
La famille joue encore un rôle fondamental notamment vis à vis des jeunes qui rentrent de plus en plus tard dans le monde du travail. Cette solidarité intergénérationnelle s’appuie sur des liens de parenté et implique de manière beaucoup importante que part le passé les grands-parents. Dont ces derniers détiennent leur capacité d’aide du système de solidarité générationnel des retraites
Le développement des familles recomposées participe à la création d’un réseau familial de plus en plus complexe et élargi. La famille reste encore une instance de cohésion sociale par la réalité des solidarités intergénérationnelles en cas de difficultés comme le chômage, le divorce, la recherche d’emploi, le logement, etc.
Michel Maffesoli montre que l’on assiste à un retour d’une certaine forme de tribalisme. Pour résister au vide social, des groupes se forment favorisant la solidarité mécanique et un esprit communautaire. Ces groupes n’ont pas de réelle finalité : on s’agrège pour être ensemble.
Par ailleurs, on peut voir dans le tribalisme, un renouveau du religieux, autour de nouvelles formes de religiosité et de sacralité. Comme l’énonce Durkheim «il y a des rites sans dieux » mais sans doute pas sans sacralité. Par exemple, le rituel du football et des groupes de supporters où la supériorité du groupe s’affirme sur l’individu. Du point de vue religieux nous assistons au développement de croyances parallèles aux croyances traditionnelles de nos sociétés comme l’est le catholicisme par exemple. Ce développement s’explique sans doute par le besoin de fonder et de construire des croyances plus individuelles, plus libres, face à un avenir pas toujours ouvert.
Selon Henri Mendras, les nouvelles solidarités prennent la forme de réseaux ; les réseaux religieux, de parentés, d’amis, d’association, d’entreprise etc. L’individu se construit de nouvelles formes d’appartenance plus diffuses et moins visibles qu’autrefois en s’impliquant dans des organisations plus citoyennes et plus démocratiques.
L’émergence de ces réseaux d’entraide s’apparente à un système de don, mais ils ont parfois une logique propre. Le don se doit d’être gratuit mais dans nos sociétés il ne peut pas exister en tant que tel. Il y a toujours un intérêt, un calcul dans la transmission d’un bien ou d’un service. Pourtant le concept de don ne saurait être absent de nos sociétés modernes. Jacques Godbout et Alain Caillé mettent en avant la force du don dans la solidarité entre les individus. A la valeur d’échange ou la valeur d’usage d’un bien ou d’un service, ils substituent la valeur de lien que crée le don. De nombreux groupes d’entraide se constituent pour donner aux autres. On constate ainsi que la société moderne n’a pas éliminé les rapports de solidarité humaine. Mais ce type de don ne doit pas confondre avec le mécénat à visé commercial qui couvre également un champ caritatif.
L’exemple des SEL (système d’échange libre).
L’échange libre se fait entre deux individus mais concerne l’ensemble des membres du SEL. Les comptes sont regroupés en offre demande. Un catalogue permet à chaque membre de connaître le compte des autres. On ne recherche pas l’équivalence, le but est de créer et d’entretenir des rapports sociaux. Il y a dette, mais l’obligation de rendre concerne le groupe et non l’individu. Les SEL ne peuvent pas remplacer le salariat, mais localement ils peuvent néanmoins être source de solidarité et de cohésion sociale. Ils sont aussi la preuve que la citoyenneté passive est dépassée par une citoyenneté active plus participative fondée sur la réciprocité.
Les instances traditionnelles et les personnes qui prétendent être habilitées à décider sont de plus en plus remises en cause.
Ces instances sont celles d’expression de l’opinion qui reposent sur une démocratie représentative comme les partis politiques ou les syndicats. Selon certains auteurs, les Français n’acceptent plus d’exprimer leur citoyenneté de manière passive mais revendique de plus en plus une citoyenneté active. Ils veulent de plus en plus décider eux-mêmes.
Une de ces manifestations peut se trouver dans la montée du bénévolat, bien qu’il soit nécessaire de tenir compte que leur opinion se forge aussi dans un populisme thématique véhiculé par les faiseurs d’opinion médiatique.
Par le bénévolat les individus veulent réactiver un sentiment d’utilité sociale et participer directement à la vie de la société. Ce faisant, ils expriment un besoin de citoyenneté active, par l’envie de participer soi-même sans attendre que quelqu’un d’autre donne.
Le développement du bénévolat et des associations est la preuve de ce besoin.
Une association est définie par la loi du 1 juillet 1901. Elle est le groupement volontaire résultant d’un contrat passé entre plusieurs personnes qui mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que partager les bénéfices. Le mode associatif fonctionne effectivement sur le modèle démocratique.
EN RÉSUMÉ.
Si on reprend l’analyse de Maffesoli, l’effervescence qui naît de ce tribalisme actuel ne donne pas lieu à un désordre, elle est au contraire fondatrice d’un nouvel ordre, d’une nouvelle socialité dans un monde que l’on peut qualifier de postmoderne.
Les individus regroupés sont dépendants des autres, de la conscience collective, du sentiment d’appartenance. Et chaque groupe ou « tribu » est dépendante d’une autre tribu, qui articule la cohésion de l’ensemble et fonde la réalité sociale. Il y a donc à la fois une solidarité mécanique qui se reconnaît à travers chaque groupe, et une solidarité organique qui permet d’établir des relations avec la masse de l’ensemble social.
La société moderne s’est attachée à libérer et à responsabiliser l’individu. Désormais chacun doit construire sa personnalité et chercher un sens à son existence. Mais pour certains le poids est trop lourd pour être supporté seul. L’individu ne peut s’identifier sans aucune référence. Il souffre d’un manque de solidarité, d’une rupture du lien social qu’il a laissé se développer pour une liberté prétendument plus grande. Pourtant depuis quelques années, le vide social se reconstruit. Autour d’une logique mécanique on voit apparaître de nouvelles formes de solidarité.
Le défi des prochaines années est, non seulement de prendre en compte ce nouveau tribalisme, mais également de reconnaître le lien qui unit l’individu à la société. Il ne s’agit pas de choisir entre communauté et société, entre solidarité mécanique ou organique. Il ne s’agit pas non plus de choisir entre économie et le social ; la liberté individuelle n’est pas incompatible avec la morale communautaire.
La collaboration avec le local permet, comme le montre J. Donzelot, de marquer un certain retour au collectif, une forme de solidarité mécanique à travers la proximité sociale et spatiale des acteurs engagés dans le processus. Cela sous la réserve de ne pas tomber dans la constitution de fiefs seigneuriaux.
L’État providence devient alors un État partenaire qui a travers les groupes intermédiaires, collectivités, associations mais également des institutions traditionnelles comme la famille, vise à préserver la cohésion sociale et à constituer à nouveau du lien social dans une période marqué par l’exclusion. Cela exige également des groupes intermédiaires une individuation forte dans le cadre d’un libéralisme qui s’identifie aussi par la tolérance.
Cette évolution de la solidarité et des institutions où comme nous venons de le résumer se caractérise par un retour vers une logique mécanique qui trouvera, ou devra trouver sa place dans une organicité.
Son apparition ne fut pas subite, elle a surgi comme passage obligé de toute transformation d’une société organique qui évolue en laissant de côté une trop grande partie de ses membres qui ne trouvent pas dans la dite société l’espérance que celle-ci soulève ou propose. Elle génère de fait un certain nombre de paradoxe qui induisent une dichotomie du raisonnement.
Nous allons suivre cette évolution au travers de plusieurs chapitres : le travail et l’intégration sociale ; l’État providence et la cohésion sociale ; les politiques structurelles ; la mobilité sociale ; conflits et mutation du travail et de l’emploi ; croissance des inégalités.
L’individu de la fin du XX ième siècle et de ce début du XXI ième siècle est un être déstructuré et désocialisé. Il ne choisit plus son état, il le subit. Il est désolidarisé de la société pour paraître plus libre mais il a perdu en signification et en repères.
Aujourd’hui, la société commence à prendre conscience de cette perte de solidarité entre les individus. Les pouvoirs publics, à travers la création de ministères spécialisés ont pris acte de ce changement, et dont l’action se trouve limité par les choix d’une politique budgétaire. Et derrière l’État, les médias assurent un relais important à travers la multiplication des reportages sur les exclus et sur l’absence de bien être dans notre société contemporaine.
Les individus, regroupés à nouveau, cherchent eux aussi une réponse à l’isolement qui les gagne.
Autant de questions et d’incertitude qui amène à réfléchir de nouveau sur la nature et le fondement du lien social.
A la fin du XIX ième sicle, Durkheim analysait le passage d’une société à solidarité mécanique à une société à solidarité organique. Les liens communautaires appuyés sur une conscience collective permettaient la cohésion et la solidarité des sociétés traditionnelles. La division du travail et l’industrialisation ont «libéré l’individu ». Les rapports sont désormais marqués par la différenciation et la solidarité est prise en charge par des institutions spécialisées. Dans ce conteste, Durkheim se méfiait de l’efficacité de ces groupes à assurer le lien social et prévoyait de nombreux cas de dysfonctionnements.
On peut se demander aujourd’hui si la prise de conscience de la perte du lien social ans nos sociétés industrielles permettent de fonder une nouvelle forme de solidarité et si l’affaiblissement de la cohésion sociale est suffisamment contrebalancé par l’émergence d’un nouveau rapport à l’autre.
Le XVIII ième siècle a été marqué par la révolution industrielle et l’apogée de l’économie comme fondement des rapports humains. La société se transforme et la nature du lien social se modifie.
Émile Durkheim (188-21917) va s’interroger sur le rôle prédominant de la division du travail social comme l’origine d’une nouvelle forme de lien social. La division du travail n’est pas un phénomène nouveau à l’époque, mais c’est son introduction dans l’ensemble des sphères de l’activité humaine qui l’est.
On constate une division du travail dans la politique, l’administration, l’art, la science, le monde associatif et même au sein du couple.
Adam Smith voyait dans la division du travail, un moyen d’obtenir des gains de productivité grâce à la spécialisation et de favoriser ainsi la croissance économique stimulée par la recherche de l’intérêt égoïste.
Durkheim dans son ouvrage «De la division du travail social » (1893) précise que la fonction de cette division, n’est pas seulement économique mais avant tout, sociale.
Cette division des rapports sociaux crée un nouveau lien social puissant.
Ce nouvel univers social va voir émerger les individualités jusqu’alors ignorées. La division du travail devient nécessaire pour harmoniser les rapports humains dans un contexte nouveau car essentiellement urbain.
CHAPITRE VI.
Durkheim tente de démonter que la division du travail soit nécessaire à l’existence des sociétés. Pour ce faire, il va procéder à l’analyse approfondie des sociétés qu’il classe en deux catégories.
- les sociétés inférieures ;
- les sociétés les plus élevées.
Elle est mise en place par l’ensemble des instances de socialisation (famille, école, travail, groupe de pairs, média, religion) qui créent progressivement des liens unissant les individus appartenant à un modèle social. Elle s’illustre par les entraides, les soutiens et la proximité de l’individu au groupe.
Cette forme de solidarité permet la stabilité sociale, l’harmonie sociale, mais également une forme d’inertie sociale : les sociétés se reproduisent à l’identique. La cohésion sociale est son effet immédiat, ainsi que la foi commune pour vivre.
Les formes et les règles dictent l’attitude à adopter en groupe. La société se structure à partir de la production de ce qui a toujours été. La société se maintient en refusant tout changement ou tout écart par rapport à la norme qui mettrait en péril l’équilibre du groupe.
Le droit y est répressif, car l’orque il y a délit, tout le monde se sent atteint.
L’individu est socialisé ou intègre les idéaux et les codes de sa société par l’influence de la conscience commune. Cette conscience collective assure l’intégration de chaque individu à la société qui est la sienne et garantie la stabilité par le contrôle social qu’elle exerce au quotidien en veillant au respect des normes et valeurs.
Cette personnalité collective empêche l’émergence d’une personnalité individuelle. La société permet à l’individu d’exister, il n’est rien sans elle. Les ressemblances créent du lien et rattachent au groupe.
Cette solidarité reposant sur les similitudes est qualifiée de «mécanique » par Durkheim.
Les sociétés complexes ou plus élevées sont celles qui naissent de la division du travail et qui dominent l’Europe très rapidement. Les sociétés accordent à l’individu une place de premier choix et sont toujours en évolution.
La division du travail implique la diversification des activités et de fait favorise l’échange de compétences. L’individu se révèle tout en étant lié à d’autres car seul il ne peut survivre.
Les sociétés élaborées consacrent donc la spécialisation des statuts et des rôles. Les personnalités individuelles émergent. La métaphore du puzzle permet de comprendre cette logique. Chaque élément différent n’a de sens que parce que l’image globale existe. Mais Durkheim précise que «la division du travail unit en même temps qu’elle oppose ; elle fait converger les activités qu’elle différencies ; elle rapproche ceux qu’elle sépare ». Elle crée donc entre les individus un lien qui est plus fort que celui établi par les similitudes, car il est indispensable.
D’autre part, la conscience collective du fait de la possibilité d’innovations individuelles perd en substance, elle décline à mesure que la division du travail progresse. L’individu, rationnel, est moins enclin à se fondre dans l’ensemble de croyances et de pratiques discutables. L’ordre social n’est plus régi par les châtiments sanctionnant les crimes mais par le souci de réparation du désordre occasionné. Chaque individu ayant un rôle à jouer important pour la société, ne peut être violemment sanctionné lorsqu’il a transgressé la norme. Le droit devient restitutif c’est à dire qu’il vise avant tout à remettre à l’état initial l’organisation perturbée par un délit.
Le changement social est favorisé par l’explosion des activités et innovations individuelles et par le déclin de la tradition. Cette solidarité reposant sur la division du travail et la spécialisation des activités individuelles est qualifiée «d’organique » par Durkheim.
Il fait la distinction entre communauté et société.
Pour lui la communauté se caractérise par des relations sociales basées sur la proximité affective, sociale et spatiale et dans laquelle les individus sont unis. Leur sentiment d’appartenance est très fort et l’intérêt collectif prime.
Dans la société les relations sociales sont séparées et fondées sur l’intérêt personnel et la raison. Les individus sont étrangers. L’individualisme est prédominant, c’est à dire que l’intérêt individuel prime.
Par rapport à Adam Smith (cf. introduction du I) Durkheim précise que l’avantage et la fonction de la division du travail sont essentiellement sociaux. Elle s’inscrit dans l’histoire de l’évolution des sociétés et donc dans la logique du changement social.
La division du travail est le ciment social des sociétés modernes.
Elle est un lent travail de consolidation des rapports sociaux qui s’impose progressivement pour rendre la solidarité organique permanente.
Il s’oppose en cela également à la vision de jean- jaques rousseau qui voit le lien social dans un contrat social auquel les individus souscrivent spontanément car c’est leur intérêt. Or pour Durkheim la solidarité n’est ni spontanée, ni automatique.
Adam Smith ne voyait dans la division du travail qu’un fondement individualiste. Il soutenait que ce n’était que par égoïsme, par besoin et par intérêt personnel que la division du travail existe.
Durkheim verra deux causes à la division du travail.
a) les causes sociales :
La densité matérielle :
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Concentration des populations sur des territoires exigus ;
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L’industrialisation conduit à concentrer dans des pôles non ruraux des individus plus nombreux ;
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L’urbanisation qui facilite cette concentration ;
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La multiplication des rapports sociaux qui découle de cette concentration et de cette urbanisation favorise et amplifie les échanges sociaux.
La densité morale ou dynamique :
Elle prend forme dans l’augmentation des rapports sociaux.
La vie sociale ou les contacts et les échanges entre les individus se font non seulement plus nombreux mais aussi plus denses et plus intenses.
Ainsi pour Durkheim, le volume des sociétés, leur nouvelle forme et l’intensité des rapports sociaux nécessite la division du travail.
Avec l’émergence et la multiplication d’attitudes individuelles, qui ne pouvaient exister dans les sociétés à solidarité mécanique, apparaît la possibilité de conflit intra sociaux. La division du travail est alors une forme de solution pacifique aux échanges sociaux plus intenses et plus nombreux.
Le poids de l’hérédité se fait moins sentir et n’entrave plus l’émancipation de l’individu. Ce fait est un des moteurs du changement statut social, ce qui favorise d’autant le changement social.
Le processus du changement social, le progrès de la civilisation et de l’humanité sont donc pour Durkheim une conséquence de la division du travail. Dont il dit «la division du travail est la source de la civilisation ».
La division du travail engendre une plus grande production via l’augmentation de la productivité du travail. Et donc il en conclu que la division du travail est productrice de richesse.
La fonction de la division du travail est économique car elle permet aux nations en haussant leur productivité du travail (e donc l’efficacité productive du travail) d’augmenter leur capacité de production et donc leur richesse nationale.
La division du travail va introduire une nouvelle forme de lien social entre membres de la même société. Elle crée en effet une complémentarité obligée en résultant de la spécialisation et de la différenciation des fonctions.
Les individus exercent dans les sphères d’activités sociales ou groupes sociaux dans lesquels ils évoluent des fonctions particulières, individuelles et dépendantes d’autres fonctions pour assurer un équilibre, une homogénéité sociale et collective.
Ils sont obligés d’être en contact les uns avec les autres et rien ne peut leur permettre de vivre sans être intégrés dans un groupe ou un tout, c’est à dire l’ensemble.
La division du travail a donc pour effet de créer de la solidarité entre les parties ou individus d’un groupe ou d’une société ; elle garantit la cohésion sociale. Elle est constitutive des sociétés, c’est à dire qu’elle est la source du changement social.
La solidarité, souvent synonyme chez Durkheim de lien social devient alors l’ensemble des interdépendances individuelles qui sont le fait de l’existence d’un ensemble cohérent.
Afin que la loi du plus fort résolve toujours les conflits, Durkheim préconise la création de corporations. Ceci pour contenir les égoïsmes individuels et pour renforcer le sentiment d’appartenance à un corps de métier et donc à une entité collective, ce qui pacifierait les relations individuelles.
Il s’oppose en cela à Marx pour qui ces corporations représentent l’expression d’un mode d’exploitation. Pour Marx, la division du travail n’est pas facteur de cohésion sociale mais accroît les différences sociales et les occasions de conflit.
Si pour beaucoup le travail s’est imposé comme facteur essentiel d’intégration et le reste encore, l’évolution du travail aujourd’hui ne permet plus pour certain d’être le fondement social.
Le travail s’est imposé comme facteur d’intégration en instaurant trois supports d’appartenance :
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L’entreprise : apparition d’un sentiment d’appartenance à une entité collective ;
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Le syndicat : facteur de sociabilité et d’identification ;
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Le salariat : générateur d’identification et de droit.
Selon Renaud Sainsaulieu, le travail joue un rôle fondamental dans notre société car il est parmi les activités de l’individu celle qui lui permet le mieux de se construire une identité sociale.
En donnant un statut aux individus il leur permet de mieux se reconnaître vis-à-vis de la société et au fond de se définir par rapport aux autres ? Ce faisant le travail est bien facteur d’intégration sociale.
Toutefois il semblerait que pour les français ce n’est pas le contenu de l’activité qui compte le plus mais les conditions d’exercice. Et parmi celle-ci ce sont de la considération sociétales et non professionnelles qui sont mises en avant. Ce n’est pas tant, en effet, les conditions de travail qui importent que la capacité que le travail donne à un individu de tisser des liens sociaux et donc de se constituer un réseau social.
On retrouve ce sentiment dans le sens spécifique du travail pour les femmes qui y voient une source d’autonomie et de reconnaissance sociale, d’appartenance à une collectivité. Ceci bien que certain prônent, par diverses mesures comme le salaire maternel et le temps partiel, le retour de la femme au foyer comme étant sa place naturelle ; sans compter sur la mise en cause du travail des femmes dans la montée du chômage.
Dominique Méda dit que «la place occupée par le travail dans notre organisation sociale est le résultat d’une histoire (…) Autrement dit, le travail est par accident le moyen essentiel de l’intégration sociale et de la réalisation de soi, et non par nature ».
Le XVIII ième siècle est l’époque où l’économie jette les bases de sa théorie qui se veut avant tout scientifique et exacte. On cherche la richesse, une richesse réduite, matérielle et on focalise alors sur le moyen d’obtenir, le travail.
Parallèlement c’est l’avènement de l’utilitarisme et avec lui de l’individu. L’échange marchand doit permettre le lien social.
Durkheim participe de ce mouvement d’individualisation de la société et ne rejette pas les analyses contractuelles faisant de l’économie le moteur de la société. Il contribue à faire du travail la seule raison sociale, la source d’une solidarité organique.
Dés lors, une fois acceptés les inégalités et les sacrifices de certains individus, on pourra mettre en place un État providence, en parfait accord avec la pensée économique, chargé de «réparer les erreurs du système »
Cependant Durkheim semble avoir perçu les dérives économiques faisant de l’individu un être coupé de son histoire.
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Les crises économiques et les faillites illustrent la première forme de rupture du lien social et de fait de la solidarité organique. Les rapports se dégradent car les fonctions sociales ne sont plus aussi bien imbriquées les unes dans les autres. Les contacts entre les différentes fonctions ne sont plus suffisants.
La division du travail est perturbée et l’ensemble des relations sociales ne peut plus être cohérent. La division du travail souffre d’une perte ou d’un manque de réglementation consécutif à des cas anormaux.
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La propagande de la grande industrie a, de plus, accentué l’antagonisme du capital et du travail. La division du travail subie par les ouvriers entraîne mécontentement, conflits et affrontements. Les rapides transformations du travail dans l’industrie n’ont pas été accompagnées des nécessaires mutations des organisations du travail.
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L’émiettement de l’univers intellectuel en de nombreuses spécialités, toutes aussi importantes et souveraines, peut aussi conduire cette division du travail à «la ruine de toute science ».
Les trois formes observées le sont du fait qu’elles illustrent l’état d’anomie.
L’anomie se caractérise par un affaiblissement du lien social ou par un manque de coordination entre les différentes fonctions sociales. L’anomie devient aussi «le mal de l’infini » ou l’absences de limites, de borne aux désirs individuels. Des conflits entre les individus d’un même groupe surgissent, accentués par le relâchement des normes sociales et par le dérèglement de l’activité sociale. Ils conduisent parfois à un défaut d’intégration pouvant déboucher sur le suicide qualifié d’anomique.
L’économie a fait du travail le fondement de la société, l’individu va devoir se reconnaître à travers son activité professionnelle. Et au cours du XX ième siècle, si l’entreprise est souvent un lieu de conflit, la forte séparation entre patrons et ouvriers permet une réelle intégration. Les ouvriers affichent leur identité grâce aux syndicats qui défendent leurs intérêts.
Pourtant certaines difficultés apparaissent. De nombreux jeunes n’aspirent plus à ce type de société et engagent des actions collectives qui remettent en cause une conception trop économique de la société (Mai 68). A partir des années 1970 les modalités et la structure du travail vont changer.
On assiste à une baisse des emplois industriels qui regroupaient les travailleurs autour d’une forte conscience collective. La société se tertiarise. Ensuite le travail change de forme avec l’échec de l’OST à répondre aux exigences actuelles du marché et de la demande. Apparaissent les NFOT. Mais il y a un développement considérable des emplois précaires qui ne peuvent en aucun cas permettre une bonne intégration des individus dans le travail.
Les salariés sont soumis à la concurrence du marché du travail et à l’incertitude. Cette insécurité ne leur permet pas de vivre pleinement l’échange social. Ils ne parviennent pas à se former une identité sociale, indispensable à la création durable de liens sociaux. Enfin, ces nouvelles méthodes de travail et de flexibilité se sont accompagnées d’une forte augmentation du chômage.
L’apparition de plusieurs salariats affaiblit les solidarités au sein du salariat. Il est difficile de construire sur des bases hétérogènes des identités professionnelles et donc de constituer des groupes sociaux homogènes, intégrateur et générateurs de solidarités.
Trop différenciés dans les conditions de travail, la stabilité de l’emploi, les rémunérations, les modes d’implication, le travail ne peut plus être considéré comme un facteur d’intégration.
Cette analyse qui fait le constat d’un éclatement du monde du travail remet en cause à la fois la thèse de Sainsaulieu et celle de Durkheim. Tout ceci est renforcé par l’émergence de nouvelles formes d’emplois non intégratrice, comme le télétravail favorisé par l’envol de télécommunications ; ou par la diminution permanente de la durée du temps de travail qui fait que le travail prend une place de moins en moins importante dans notre vie.
Pour Dominique Méda, la centralité du travail n’est pas inscrite dans les structures de nos sociétés humaines. Le travail n’est pas une donnée anthropologique, c’est à dire universelle. Dès les sociétés primitives ou la société grecque n’ont pas connu le travail telles que le connaissent les sociétés modernes.
Pour Dominique Méda le travail est apparu à un moment précis de notre histoire (l’industrialisation). Et selon elle, peut-être connaît-on aujourd’hui une nouvelle phase historique où le travail n’aurait plus la centralité qu’il eut ces dernières années. Même si elle considère comme Sainsaulieu que le travail est un facteur essentiel d’identité sociale et de réalisation de soi, elle pense que les choses sont entrain de changer et que d’autres activités serviront de support au lien social.
Empruntant à Aristote et à Hannah Arent, elle distingue quatre activités.
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Les activités productrices : pour la satisfaction des besoins.
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Les activités politiques : qui contribuent à la cohésion de la société.
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Les activités culturelles.
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Les activités familiales, amicale, amoureuses.
Quand on dit que l’on vise la pleine activité, il faut entendre l’exercice de l’ensemble de ces activités et l’entendre à l’échelle de l’individu, précise D. Méda. Avec toutefois la primauté du lien politique, car pour D. Méda c’est la citoyenneté qui donne le sentiment d’appartenir à une société et non le travail.
Ce faisant, c’est le lien politique qui paraît le fondement essentiel du lien social.
D. Méda cite Hannah Arent pour qui » mettre le travail au centre de la société, justifier le travail comme lien social, c’est défendre l’idée éminemment pauvre de celui-ci, c’est refuser l’ordre politique soit l’ordre économique ou que la simple régulation sociale, c’est oublier que la société a d’autres fins que la production de richesse et que l’homme a d’autres moyens de s’exprimer que la production de consommation » (condition de l’homme moderne).
La supériorité de l’économie et de la société individualiste n’a pas sauvegardé le lien social. Au contraire, c’est au relâchement de celui-ci auquel on assiste ; et l’État providence ne change rien, il est soumis à l’ordre économique et cherche seulement à réduire les inégalités. Pierre Rosanvallon parle de crise de l’État providence, qui est financière et de légitimité.
Les individus de la société moderne ont appris à être indépendants de l’État qui leur garantissait la cohésion et leur assurait la constitution de liens sociaux. Si l’État ne remplit plus sont rôle, l’individu va se sentir isolé, déstructuré, livré à lui-même.
Cette crise menace la citoyenneté dans ses aspects statutaires et identitaires. Les phénomènes de «nouvelle pauvreté » montrent les limites de l’extension de la citoyenneté. De surcroît, l’exclusion qui en résulte provoque «une rupture dans l’identification citoyenne et dans les attributs statutaires de la citoyenneté : privés de droits sociaux, les exclus le sont le plus souvent de droits politiques » (Hassenteufel 1996).
Beaucoup de citoyens sont de loin d’exercer effectivement leurs droits civils et politiques. Le développement de l’abstention électorale est parlant et inquiétant. Les citoyens deviennent peu à peu ce que Jean-Marie Cotteret appelle des «handicapés civiques ». Pourtant, sujet de droit civil et politiques, le citoyen est aussi à la base de la légitimité politique. « C’est l’ensemble des citoyens, constitués en collectivité politique ou en communauté de citoyens qui, par l’élection choisit les gouvernants. C’est l’ensemble des citoyens qui est la source du pouvoir, qui contrôle et sanctionne l’action des gouvernants issus de l’élection », comme l’écrit Dominique Shnapper.
L’État providence est un terme français et européen différent du Welfare State qui signifie lui-même que l’État s’occupe du bien-être social des citoyens. Au sens strict du terme cela signifie que l’État monopolise l’ensemble des fonctions de solidarité sociale. Dans un sens plus flou, cela désigne les implications de l’État dans le domaine social.
L’État providence signifie au cours du XIX ième siècle l’idée que l’État est devenu la providence des malheureux : dans une société atomisée, sans les corps intermédiaires que sont la famille ou les corps professionnels, l’État est seul à remplir un rôle de solidarité.
La notion de Welfare State est plus large que celle de l’État providence. Le Welfare State est lié au rapport de Beveridge de 1942 qui vise à éliminer définitivement : la misère, la maladie, l’ignorance, la saleté et l’oisiveté. Pour réaliser cet objectif, W. Beveridge propose la création d’un système de protection sociale couvrant l’ensemble de la population et géré par l’État. En France, le plan de sécurité sociale de 1945 a pour ambition d’étendre à l’ensemble de la population cette protection. L’inspiration beveridgienne se combine avec une gestion paritaire des organismes de sécurité sociale. Deux grandes logiques sont à l’œuvre. La première est une logique Bismarkienne d’assurance sociale adossée au travail salarié : la protection sociale s’appuie sur la solidarité professionnelle. La seconde est une logique beveridgienne de solidarité nationale dont le but est de donner à tout individu le droit à un minimum vital.
En 1949, à l’heure où la conquête des droits sociaux semblait en passe d’être accomplie dans une Angleterre travailliste qui faisait de l’État providence une priorité idéologique T.H. Marshall proposa son modèle de «développement de la citoyenneté dans un cycle de conférences prononcées à Cambridge. Marshall distinguait trois dimensions essentielles de la citoyenneté : civile, politique et sociale. Dans le «développement de la citoyenneté » au sein du monde occidental, le modèle de Marshall réservait à chaque étape un siècle environ.
Ainsi, le XVIII ième siècle fut le siècle de la lutte pour l’obtention des droits civils ou libertés individuelles (liberté de parole, de pensée, de religion, égalité devant la loi etc.). Citoyenneté civile en 1789.
Le XIX ième siècle, par l’attribution du droit de suffrage à des cercles de population de plus en plus grand, voire l’avènement du suffrage universel masculin, fut le siècle de l’établissement de la citoyenneté politique. Citoyenneté politique en 1848 (en1946 pour les femmes).
Enfin le XX ième siècle, marqué par l’État providence, permit un ultime développement de citoyenneté, en l’élargissant au niveau économique et social. Par l’État providence, les démocraties intégraient l’idée que l’exercice réel des droits civiques et politiques nécessitait des conditions minimales d’instruction, de santé, de bien-être économique et de sécurité, qu’il était de leur devoir de garantir à l’ensemble de la population. (Citoyenneté sociale en 1946 (pour les salariés).
Trois grandes périodes peuvent être envisagées.
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L’après-guerre, qui vit s’épanouir l’État providence ;
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L’âge d’or de l’État providence et de la démocratie sociale qui coïncide plus ou moins avec les Trente Glorieuses ;
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La crise de l’État providence. Car l’État providence possède à double titre, un lien étroit avec la notion de crises, aussi bien économique que sociale, qu’il joue un rôle d’amortisseur aux crises ou qu’il soit, en certaines circonstances un facteur de crise pour les démocraties.
Avec le développement de la protection sociale, la solidarité cesse d’être exclusivement une affaire de famille ou de village pour devenir nationale.
En bénéficiant des même droits sociaux, tous les individus appartiennent à une même société. C’est ainsi que se crée une citoyenneté sociale qui complète la citoyenneté politique.
Dans la vie courante des individus et dans leur activité professionnelle, un certain nombre de risque concernant leur personne peuvent se produire.
Les risques sociaux sont des événements qui ne sont pas dus aux individus eux-mêmes et qui conduisent à une perte de revenus.
Ceci paraissant injuste, l’idée d’une solidarité entre toutes les personnes s’est peu à peu imposée à partir de la fin du XIX ième siècle et un système de protection sociale s’est mise en place.
La protection sociale est l’ensemble des institutions et mécanismes, fondés sur le principe de solidarité nationale, qui garantissent des ressources aux individus placés dans des circonstances particulières (maladie, vieillesse, accident, maternité, famille, chômage).
La sécurité sociale est l’ensemble des organismes d’assurances et des institutions qui gèrent la protection sociale.
Les assurances sociales sont le système d’assurances obligatoire reposant sur le principe de solidarité et couvrant les risques sociaux.
Les bénéficiaires reçoivent des prestations sociales qui correspondent au principe de l’assistance.
L’assistance est la garantie offerte aux personnes subissant des risques sociaux même si celles-ci n’ont pas cotisé ou ont insuffisamment cotisé, le principe de solidarité reconnaissant à chacun le droit à un minimum de ressources.
Le principe de solidarité est basé sur un principe de redistribution des revenus de certaines catégories de personnes vers d’autre, plus défavorisées.
La citoyenneté est le statut juridique d’une personne à laquelle est reconnue une égalité de droit et de devoirs avec les autres personnes, ces droits et ces devoirs fondant l’appartenance à une même communauté.
La citoyenneté est aussi le fondement de l’intégration sociale. En rendant légitime l’intervention de l'Etat/providence, la citoyenneté montre son importance pour l’intégration sociale. Ainsi, l'Etat/providence et la reconnaissance des droits sociaux ont été peu à peu instaurés afin que légalité juridique et politique reste bien le fondement principal du lien social.
La mise en place d’une citoyenneté sociale a réduit les inégalités économiques en améliorant la situation des salariés. Cela a contribué également au déclin des identités locales ou communautaires et favorisé l’identification à la nation.
Aux États-Unis, il existe une sécurité sociale qui est intégrée dans le budget de l’État fédéral. Elle s’apparente à une aide sociale. Peu de personnes en profitent.
Les américains peuvent bénéficier d’une assurance privée proposée par leur entreprise (à condition d’y être intégré), d’une assurance privé hors entreprise (plus chère que la première, d’une assurance sociale (à condition d’être pauvre).
Beaucoup de personnes gagnent trop pour pouvoir bénéficier de cette dernière, mais pas assez pour pouvoir se payer les coûteuses assurances privées et ils ne bénéficient pas d’une assurance par leur entreprise, ils se retrouvent dépourvus de couverture médicale.
C’est l’action de L'État et des organismes de protection sociale qui consiste à prélever des impôts et des cotisations sociales afin de verser ensuite des prestations sociales. Elle vise à la réduction des inégalités et est caractéristique de l'Etat/providence.
La redistribution peut être horizontale, lorsqu’elle cherche à maintenir les ressources des individus atteints par les risques sociaux (maladies, chômage, par exemple) ou bien verticale quand elle cherche à réduire les inégalités (rôle de la progressivité de l’impôt sur le revenu, minimum vieillesse par exemple).
Les revenus primaires des ménages ne correspondent pas exactement à ce dont ils peuvent disposer pour consommer ou pour épargner. Les ménages ont d’abord l’obligation de payer des impôts, ce qui vient limiter leurs revenus. Ensuite, ils doivent verser des cotisations sociales et ils doivent en contre partie des prestations sociales (remboursement de soins, retraites, indemnités, et.).
Cotisations et prestations représentent des revenus de transfert reçus par les ménages. L’État et la sécurité sociale modifient donc la répartition des revenus primaires ; c’est l’action de leur part qui correspond au processus de redistribution qui permet de passer du revenu primaire des ménages à leurs revenus disponibles ; celui-ci étant le revenu dont ils disposent réellement pour consommer et épargner.
Cette redistribution des revenus passe à la fois par un prélèvement et par une réaffectation qui, tous les deux, peuvent contribuer à la diminution des inégalités. Du côté des prélèvements, la redistribution est d’autant plus forte que les impôts et cotisations sociales sont progressifs (un impôt progressif étant un impôt qui augment plus vite que le revenu), or ce n’est ni le cas de la TVA, ni de la taxe d’habitation, ni même de la CSG. On distingue donc la redistribution verticale (les riches paient pour les pauvres) qui diminue les inégalités de revenus, de la redistribution horizontale (les bien-portants paient pour les malades) sans effet sur ces inégalités.
Les retraites, appelés aussi pensions, sont des prestations versées tous les mois aux personnes ayant cessé leur activité professionnelle et remplissant certaines conditions (âge, durée de cotisation). Selon les pays, les systèmes de retraites sont organisés selon deux modalités différentes (qui peuvent cependant coexister).
Il s’agit de :
- Retraites par répartition (cas de la France) : système dans lequel les retraites des inactifs sont financées par les cotisants actifs ;
- Retraites par capitalisation : système dans lequel la retraite ou une partie de celle-ci est financée par une épargne accumulée par la personne retraitée.
Cette épargne, qui bénéficie d’avantages fiscaux, est confiée à des «fonds de pension » chargés de la gérer sur les marchés financiers.
Le système de retraite a permis de faire diminuer la pauvreté chez les personnes âgées. Mais aujourd’hui se pose le problème de son financement.
On prévoit deux cotisants pour un retraité en 2015.
Jusqu’en 2005, les difficultés proviennent principalement d’une stabilisation de l’emploi (des cotisants) et d’une augmentation du nombre de bénéficiaires en raison d’une baisse du taux d’activité des plus de 60 ans. A partir de 2005 le nombre de bénéficiaires de plus de 60 ans va fortement augmenter.
Cependant, la France est parvenue à supprimer la pauvreté chez les personnes âgées à un moment où, avec le chômage de masse, elle s’est développée chez les actifs, en particulier chez les femmes et les jeunes, sous l’effet du chômage et de l’emploi précaire.
Le risque aujourd’hui est de revenir à la situation antérieure.
La part du PIB consacrée aux retraites était de 11,6% en 2000. Maintenir un taux de remplacement élevé pour tous à l’horizon 2020 et 2040, comme le réclame l’ensemble des organisations syndicales, suppose donc d’augmenter la part du PIB consacrée aux retraites jusqu’à un niveau de 13,8% à la première échéance et de l’ordre de 16% à la seconde. Les actifs de demain vont devoir supporter des cotisations sociales accrues de financer des retraites de niveau élevé pour leur aînés.
La croissance et les gains de productivité peuvent-ils rendre le financement des retraites moins douloureux ? Oui et non.
Dès lors que l’enjeu est de maintenir la parité de revenus entre retraités et actifs, la part des richesses produites consacrée au financement des retraites va augmenter au détriment de celle dévolue aux actifs, en proportion de l’évolution du rapport retraité/actif. La croissance et les gains de productivité ne modifient donc pas les termes du conflit de répartition entre générations engendré par les évolutions démographiques.
On lit souvent qu’il est possible, grâce au gains de productivité, de limiter le besoin de financement des retraites tout en préservant le pouvoir d'achat individuel de chaque retraité. Or, cela suppose d’accepter un décrochage progressif du montant relatif des retraites par rapport aux revenus des actifs. Mais chacun mesure son niveau de vie non par comparaison de ce qu’il était il y a vingt ans, mais à un instant donné, en comparaison du revenu des autres. Sinon, les Rmistes actuels devraient être contents de leur sort, puisque leur pouvoir d’achat est voisin de celui du SMIC il y a trente ans ! En revanche, une forte croissance faciliterait les évolutions nécessaires. Non seulement elle permet de faire baisser le chômage et d’accroître le taux d’emploi, ce qui diminue les besoins de financement, mais elle rend aussi plus facile une augmentation des prélèvements imposés aux actifs. En situation de croissance forte, une hausse des cotisations ne provoque pas de diminution du pouvoir d’achat, mais freine seulement sa progression.
Que l'Etat/providence ait contribué à l’intégration des individus dans la société au cours des Trente Glorieuses est rarement contesté. Le débat tel qu’il se présent aujourd’hui est le suivant : l'Etat/providence est-il efficace pour lutter contre la pauvreté liée au chômage ? Certains économistes répondent par l’affirmative.
Cependant les économistes libéraux affirment que ces actions en faveur des plus pauvres ont un coût qui alimente le chômage et donc la pauvreté. En cherchant à aider les pauvres, l'Etat/providence les exclurait du marché du travail. Face à cette situation, les pays développés ont le choix entre deux modèles : le «workfare » à l’américaine ou l’extension des droits sociaux. Les politiques de l’emploi relèvent de ces deux logiques.
Le «workfare, contraction de Work (travail) et de «welfare State » (l'Etat/providence), né aux États-Unis de la volonté de conditionner l’aide sociale. Mettre les pauvres au travail plutôt que de les enfermer dans l’assistanat est au cœur de ce modèle. C’est un système de protection sociale de type Bismarckien dans lequel l’aide sociale est conditionnée à une démarche active du bénéficiaire (travail, formation).
Le courant libéral dénonce plusieurs effets négatifs de la distribution des revenus de transfert : celle-ci, réduisant le coût d’opportunité de l’activité, incite ceux qui en bénéficient à la paresse et à l’oisiveté ou à prolonger la recherche d’emploi. Cette recherche d’emploi conditionne en quelque sorte la durée du chômage dont les déterminants sont principalement le niveau des allocations de chômage et la richesse personnelle de l’argent. Le comportement de recherche d’emploi consiste donc à poursuivre les visites tant que le coût d’une visite est inférieur aux gains estimé de cette visite. Certaine catégories de main d’œuvre (dont les femmes, dans la mesure où le travail domestique est un rendement no monétaire de leur temps d’activité marchande) font un arbitrage à ce point favorable à l’allongement de la recherche d’emploi que l’on peut parler de véritable «préférence pour le chômage ». Cette théorie est une théorie acceptable du chômage de prospérité (comme c’était le cas dans les années 1960), cependant il serait fallacieux aujourd’hui, alors que nous vivons un chômage de masse, de recourir à ce type d’argument pour expliquer le sous-emploi.
De plus, pour ces économistes les allocations n’incitent pas à mieux travailler puisqu’en cas de perte d’emploi un revenu minimum est assuré. C‘est pour cela que certains libéraux, comme Friedman, préconisent de substituer aux allocations un revenu minimum qui préserve l’incitation au travail.
Face au problème de régulation et d’arbitrage sur les orientations de la dépense qui résulte du système, la première tentation est de s’en remettre au marché.
L’assurance maladie ou l’assurance chômage pourraient être privatisées. Les compagnies sont favorables à de telles privatisations. Leur premier argument est qu’une assurance privée est plus efficace, le second est que les individus seraient libres du montant de leur cotisation. Cependant une partie de la population serait exclue de ce mécanisme et dépendrait de l’aide de L'État.
Aux Etats-Unis, la réforme de l’aide sociale cherche à simplifier l’aide sociale, à réduire les coûts et à moraliser la solidarité. Cette aide est conditionnée à un travail en partant du principe qu’une aide sociale inconditionnelle inciterait à ne pas travailler.
Cette réforme basée sur une analyse libérale, se fonde sur l’hypothèse d’un individu rationnel calculant les coûts et les avantages. Ceux qui ne trouveront pas de travail vont «s’exclure » de la population active.
En Grande Bretagne des mesures sévères ont été mises en place. Les chômeurs se voient contraints d’accepter un travail ; certains deviennent des «working poors » (travailleur pauvre), d’autres des inactifs.
L’extension des droits sociaux constitue le modèle alternatif au «workfare ». Si l’on accepte l’idée selon laquelle la pauvreté a son origine dans l’organisation économique et sociale, il est logique d’accorder à chacun une couverture sociale et un « revenu » minimum. Pour autant, doit-il être accordé sans condition ?
Au sens général, la pauvreté est l’incapacité pour un individu de satisfaire un certain nombre de besoins essentiels (alimentation, habillement, logement, santé, etc.). Sont considérés comme pauvres les personnes dont les ressources sont inférieures à un certain seuil. Deux notions accompagnent la pauvreté : la précarité et la nouvelle pauvreté (Work poors) ;
La création, en France, d’un revenu minimum d’insertion (RMI) en 1988 avait pour objet de combler cette lacune. Le RMI fait partie des minima sociaux qui sont des allocations garanties destinées à certaines personnes ne disposant pas de ressources suffisantes.
Le maintien d’une certaine pauvreté conduit certains à redouter l’avènement d’une société duale : c’est à dire une société divisé en deux groupes de personnes vivant chacun dans des systèmes économiques et sociaux différents.
Ce revenu étant conditionnel, face à la monté du chômage et de la précarité, revient l’idée de créer un «revenu de citoyenneté » ou «revenu d’existence » ou «allocation universelle », qui serait dû par L'État dés la naissance et jusqu’à la mort, à tous les citoyens d’un pays, riches ou pauvres.
Les libéraux peuvent y être favorables à condition de supprimer les aides sociales. Car avec ce système il n’y aurait un avantage économique : simplification et baisse du SMIC payé par l’employeur ; et un avantage social : plus de dignité pour les pauvres. Toutefois, accepter ce principe, c’est également accepter le principe d’une impossibilité de réduire le chômage et d’y renoncer.
Les politiques de l’emploi ont pris de l’ampleur avec la montée du chômage de masse. L’alternative «workfare »/ «droit sociaux » trouvent son prolongement dans celle opposant « politiques actives » (incitant les chômeur à travailler) amusant le paradoxe où des individu qui sont chômeur parce qu’il n’y a pas suffisamment de travail pour tous, qu’on les incite à aller en chercher tout en sachant qu’il en manque et « politiques passives » (cherchant à préserver le niveau de vie des chômeurs ou à diminuer la population active).
Elles peuvent se définir comme l’ensemble des mesures visant à agir sur l’offre et la demande de travail en dehors des politiques économiques conjoncturelles et des politiques d’assistance (aides sans contreparties aux plus défavorisés).
Ces politiques « passives » sont surtout orientées vers l’indemnisation des chômeurs et des incitations au retrait de la vie active (préretraite, retour au pays des travailleur immigrés, allongement de la scolarité).
Le développement des dépenses passives pour l’emploi est concomitant de l’éclatement de la crise et de l’augmentation du chômage. La mise en place d’un système d’indemnisation chômage relativement « généreux » au milieu des années 1970 s’explique par la perception que les hommes politiques ont du chômage à cette époque. Il est perçu comme transitoire, lié à un ralentissement conjoncturel, les politiques macro-économiques expansionnistes devant permettre le retour au plein emploi.
Ans ce contexte, l’indemnisation chômage doit permettre d’atténuer les effets sociaux liés à la perte de l’emploi (et accessoirement limiter la contestation sociale) et assurer la transition vers un nouvel emploi.
Avec le développement d’un chômage de masse et l’incapacité des politiques de relance d’y faire face, la perception du sous-emploi se modifie. Il s’agit alors de diminuer l’offre de travail dans un contexte de pénurie d’emploi jugée durable. En France le choix va se porter principalement sur les retraites anticipées et les dispenses de recherche d’emploi financées sur fonds publics. Ces mesures, bien qu’en baisse sensible, représentent encore 0,4% du PIB et concernent prés de 50 000 personnes en 2000.
Face à l’augmentation rapide des dépenses « passives » et à leur incapacité à juguler le chômage, l’accent est mis sur les dépenses « actives » de l’emploi, conformément aux recommandations de l’OCDE
En améliorant l’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi, les politiques actives de l’emploi diminuent le chômage frictionnel (qui résulte des délais d’ajustement de la main-d’œuvre, d’un emploi à un autre).
Elles contribuent à réduire les emplois vacants, ce qui freine la pression, à la hausse, sur les salaires engendrée par une pénurie sectorielle de main d’œuvre et augmente l’emploi.
Mais c’est aussi un moyen de stimuler la reprise d’emploi en faisant peser sur les chômeurs des incitations positives et négatives.
Avec ces mesures, malgré des disparités entre les pays, la part de l’indemnisation du chômage dans le total des dépenses pour l’emploi n’a cessé de reculer. Cela s’explique «mécaniquement » lorsque le chômage recule : moins d’indemnisations chômage sont à distribuer.
Mais c’est surtout l’adoption de mesures restrictive qui en est la cause.
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Les durées de travail exigées pour l’ouverture des droits à l’assurance chômage ont été allongées ;
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Les contrôles et les sanctions ont été systématisées, la preuve d’une recherche active d’emploi, devant par le chômeur être apportée pour continuer à percevoir l’allocation.
L’idée sous-jacente, c’est que des allocations généreuses augmentent le niveau de chômage. La théorie du «job search » apporte des éléments d’explication. On parle alors de «trappe à inactivité » lorsqu’un bénéficiaire d’allocations (chômage, RMI, minima sociaux) ne trouve pas d’intérêt à quitter l’un des dispositifs pour occuper une activité rémunérée déclarée.
Mais ces mesures sont sélectives et si l’activation des dépenses pour l’emploi est justifiée lorsqu’il s’agit de favoriser le retour à l’emploi et réduire les durées de chômage, des interrogations subsistent quant à la mise en œuvre et aux effets de ces mesures.
La priorité donnée aux dépenses actives pour l’emploi depuis le milieu des années 1980 à conduit la plus part des pays ç durcir les conditions ouvrant droit à l’indemnisation du chômage.
Le Royaume –Uni en est une bonne illustration. C’est une société dans laquelle la «workfare » se substitue au «welfare » reconnaissant à l’État le devoir inconditionnel de «mettre l’homme à l’abri du besoin » (William Beveridge).
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effet de substitution lorsque les entreprises embauchent des travailleurs bénéficiant de subventions à l’emploi au détriment d’autres chômeurs (l’effet net sur le volume est nul).
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Effet d’aubaine lorsque les entreprises bénéficient d’une mesure d’exonération à l’embauche alors que l’emploi aurait été créé sans la mesure (dans ce cas il y a subvention de l’entreprise sans création d’emploi).
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Des mesures de discrimination positive (favoriser une catégorie par rapport à une autre) peuvent générer des effets de stigmatisation : un public bénéficiant d’aides pourra être considéré comme moins productif par les entreprises (sinon comment justifier cette aide), ce qui en retour légitime la préférence des employeurs pour d’autres catégories de chômeurs.
Favoriser l’aide au retour à l’emploi est un objectif essentiel dans la lutte contre le chômage. A ce titre l’activation des dépenses passives ne va pas sans danger. Le risque est alors de transférer la prise en charge des chômeurs de l’assurance vers l’assistance (solidarité de L’État) sans réduire le chômage.
«Nous n’avons pas cessé de montrer que la réalité économique et sociale était, au moins partiellement déterminée. Mais cela, les philosophes l’ont toujours su ; «l’avenir n’est pas ce qui vient vers nous, mais ce vers quoi nous allons » (Bachelard).
Les différents holismes des années 1960 ont voulu nier ce fait ; ils y étaient presque parvenus avec les «philosophies » de la mort de l’homme. L’abandon de ces approches depuis une ou deux décennies et le monopole quasi-total de l’individualisme, méthodologique et politique, aurait dû voir resurgir cette évidence : l’avenir est aussi ce que nous en faisons. Ce n’est, hélas, pas ce qui s’est produit : en économie, le libéralisme n’a de cesse que de vouloir montrer que l’individu n’est qu’un automate : au lieu de n’être que le jouet de l’histoire ou des structures, il ne serait que celui de sa «rationalité »…
Nous avons montré que partout, aujourd’hui, s’élève des voix pour redonner toutes ses dimensions à la personne et en particulier à sa raison, à sa capacité de jugement de décision. Nous avons montré aussi que la prise en compte de cette liberté individuelle rouvrait l’avenir aux décisions des hommes. Dire cela, c’est identiquement réaffirmer la nécessité du politique : celui-ci est bien l’instance où la société tente de dessiner son avenir. Nous avons montré aussi par exemple des marchés financiers, que lorsque cette instance ne remplit pas son rôle, l’absence d’éclairage de l’avenir peut conduire à des comportements paranoïaques.
La question que nous posons ici est alors la suivante : face à un problème économique donné (le chômage, la sécurité sociale…), les discours économiques différents proposant des solutions contradictoires ? Comment l’homme politique peut-il choisir entre ces discours ?
Rappelons que nous considérons que chaque discours, chaque logique, fournit un éclairage de la réalité et qu’il apporte des connaissances sur le problèmes considéré. Ainsi chaque discours est en général capable de proposer des mesures cessées résoudre le problème.
Face à cette multiplicité de mesures compatible, comment «l’homme politique » peut-il se déterminer ? Arrivés en ce point, on ne peut plus avancer sans faire référence à l’idéologie, à la vision du monde, à la philosophie politique, de l’homme politique. En effet, deux attitudes sont possibles ; nous les qualifierons de dogmatiques et de pluraliste.
Pour le dogmatisme, et quelle que soit sa position idéologique, il n’y a jamais qu’une seule logique à l’œuvre dans tout phénomène social : celle à laquelle il adhère. Les autres sont au mieux de douces rêveries de poète, au pire, des visées antisociales qu’il faut détruire.
Le pluralisme participe d’une idéologie : il est libéral ou socialiste. Cette première proposition essentielle pour éviter de faire du pluralisme quelqu’un qui serait «au-dessus » des idéologies ce qui, pour nous n’a pas de sens. Elle implique aussi que, face au problème considéré, sa première réaction sera la même que celle du dogmatisme. Mais, et c’est la grande différence, il estime que les discours issus des autres idéologies ont aussi leur valeur, qu’ils éclairent des aspects du problème que son propre discours ne parvient pas à éclairer. Il admet, lui aussi, que toutes les logiques sont plus ou moins à l’œuvre dans la situation étudié. A ce niveau, son indétermination est donc totale. Or il faut agir et donc lever cette indétermination. (….)
Faisant usage de sa raison, il délibère et tente de percevoir quelle est la logique dominante, aujourd’hui, dans la situation considérée pour décider des mesures à prendre en fonction de cette logique dominante. Bien sûr il privilégiera souvent la logique correspondante à son idéologie. Mais la différence est essentielle, il lui arrivera d’admettre, que dans telle situation, c’est une autre logique, correspondant à une idéologie qui n’est pas la sienne, qu’il doit privilégier. Le risque qu’il prend est clair : admettant que toutes les logiques sont à l’œuvre dans le problème qu’il cherche à régler, et en privilégiant une croyance quelle est aujourd’hui la plus importante, il sait que les mesures correspondantes iront à l’encontre de certaines autres logiques, modifiant ainsi les données mêmes du problème. (…)
Conséquence de ce qui vient d’être dit, il sait, que demain, il lui faudra peut-être changer les mesures qu’il a préconisées, puisqu’il se peut qu’une autre logique soit devenue dominante dans le problème considéré.
Cette attitude prend en compte l’évolution sociale, et, dans sa détermination foncière : l’absence de connaissance de l’évolution future ne peut que laisser ouverte la question des mesures à prendre demain.
Le pluralisme est rare (…) l’attitude pluraliste implique le risque de la décision, le risque de la responsabilité, et rares sont ceux qui osent assumer ces risques (…) Le pluraliste est toujours seul. Il peut qu’en être ainsi puisque son choix est issu d’une délibération personnelle, qu’il se détermine en fonction de «bonnes raisons » qu’aucune rationalité calculatrice ne peut justifier.
A l’opposé, le dogmatisme est entouré de semblables, voire de clones : tous ceux qui, comme lui, se référent à la même vulgate. (…)
Le pluraliste n’existe pas pour le dogmatique, alors que le dogmatique existe pour le pluraliste. Nous sommes en présence de la même dissymétrie que celle qui existe entre démocratie et totalitarisme. Non seulement le pluraliste est seul, mais son existence même n’est pas reconnue.
Enfin, on y a insisté, le pluraliste sait qu’il lui faudra peut-être changer de politique demain, en fonction de l’évolution du rapport des logiques à l’œuvre dans le problème traité. Et il sait aussi que les dogmatiques s’empresseront de faire remarquer ce changement de politique en le désignant comme un «retournement de veste »…
Et pourtant, si, comme l’humanité l’a toujours su, l’avenir est à faire, il faudra bien que nous retrouvions la confrontation de divers projets économiques et sociaux, chacun raisonnable, fondé sur de bonnes raisons, et non présentés comme une fatalité qu’une prétendue rationalité économique nous imposerait. Ce que nous souhaitons là, c’est très exactement le retour du politique.
1 Extrait de l’ouvrage «méthodologie économique » (le point, février 2003) de Claude Mouchot, professeur à l’université Lumière-Lyon 2).
Une politique structurelle peut se définir comme une action de L'État pour modifier en profondeur et durablement les structures de l’économie.
L’école classique (fin du XVIII ième siècle, début du XIX ième siècle) considère que L'État doit éviter toute intervention susceptible de fausser les mécanismes du marché et de contrarier les effets de la «main invisible ». L'État doit donc être un État minimal qui, selon Adam Smith, doit limiter son intervention à trois fonctions : protéger la nation contre les autres nations (armée), protéger les individus contre l’injustice et l’oppression (police et justice) et se charger d’infrastructures qui ne peuvent être rentable pour le privée (routes, canaux…). Monnaie, armée, justice, police, étant les fonctions régaliennes de L'État.
L’école néoclassique affirme aussi que L'État a comme rôle de faire respecter l’ordre naturel du marché. En effet, si les conditions de la concurrence pure et parfaite sont respectées, l’économie est à l’équilibre et l’optimum est atteint. L'État doit respecter cet ordre naturel car toute intervention de sa part risque de perturber. L'État a toutefois un rôle économique à jouer.
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Il doit faciliter le fonctionnement du marché et donc créer les conditions propices à la concurrence pure et parfaite et veiller au respect de celle-ci (loi antitrust ou libéralisation des échanges, par exemple). Paradoxalement, L'État intervient pour mettre en place les conditions de sa non-intervention.
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En cas de monopole naturel, L'État doit intervenir, éventuellement en nationalisant, de façon que la tarification soit la plus proche de celle qui résulterait du marché ; il y a monopole naturel quand les coût moyens d’une entreprise sont décroissants pour tout niveau de production : dans ce cas une entreprise est plus efficace que deux (exemple, le chemin de fer).
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L'État doit prendre en charge les activités produisant des bien collectifs car cette activité ne peut pas avoir le profit comme objectif.
Alfred Marshall (1842- 1924), Arthur Cécil Pigou (1877- 1959) et plus largement «l’école néoclassique du «bien être » considèrent que l'État doit aussi prendre en charge les «externalités ». Un effet externe est une répercussion de l’activité d’un agent économique sur d’autres agents qui ne donnent pas lieu à compensation monétaire. C’est donc à l'État d’internaliser les coûts d’effets externes négatifs (impôts sur les entreprises polluantes, par exemple) et en subventionnant celles qui créent des effets externes positifs.
Le bien être collectifs, ou public, sont des biens dont l’utilisation (pour la consommation ou production) peut être faite simultanément par plusieurs agents économiques, sans que ces caractéristiques en soient affectées.
On peut donc avoir une vision plus ou moins restrictive des biens collectifs. Pour ce qui est d’Adam Smith, il ne faut pas perdre de vue que, bien qu’il reste très ouvert dans son analyse, sa vision d’un État minimal correspond à une situation concrète qui est celle du fonctionnement économique et social du XVIII ième siècle.
Cependant, Adam Smith avait déjà perçu que la production de biens collectifs par un agent privé était utopique car elle se heurtait à deux problèmes. D’une part, il ne serait jamais remboursé des dépenses occasionnées par la construction d’infrastructures. D’autres part, il existe un problème de tarification lié à l’usage du bien. Chacun de ces problèmes est relatif aux caractéristiques particulières des biens collectifs, et chaque agent a individuellement intérêt à laisser le financement du bien collectif aux autres agents. Il pourra ainsi l’utiliser sans en payer le coût. Mais comme chaque agent raisonne de façon identique, l’infrastructure ne verra jamais le jour, pénalisant les agents. Ainsi, l'État est le seul à pouvoir produire certains services collectifs et à corriger les défaillances du marché. La production de biens et services, la redistribution des revenus et la régulation de l’économie sont les trois fonctions caractéristiques de l'État moderne. Après la Seconde Guerre mondiale, certains pays, dont la France, se sont dotés d’instrument permettant d’intervenir activement dans l’économie : entreprises publiques, planification, politiques industrielles.
L'État produit des services collectifs qu’il est seul à pouvoir fournir et qui correspondent à des fonctions régaliennes. Associé aux entreprises publiques, il fournit des services marchands ou non qui sont considérés comme des biens et services marchands qui relèvent du secteur concurrentiel normal.
C’est l’utilisation d’un bien collectif ou plus généralement d’un service collectif, c’est-à-dire qui a été produit pour satisfaire les besoins d’une collectivité d’individus. Ces consommations collectives (routes, justice, enseignement public, etc.) sont financées par les prélèvements obligatoires. Ces services collectifs non marchands sont fournis par les administrations publiques (État, collectivités locales, ou institutions de protection sociale comme les hôpitaux.
Une dimension politique.
Selon la définition du juriste Léon Duguit, le service public existe dés lors qu’une fonction jugée essentielle à la constitution ou au maintien du lien social ne peut-être assurée de façon satisfaisante par le marché seul. Le service public peut être assuré par une administration, par une entreprise publique, ou par une entreprise privée agissant par délégation.
Une dimension juridique.
A l’époque de l’école du service public, un des théoriciens de ce mouvement, louis Rolland, a défini trois principes fondateurs du service public : l’égalité, la continuité, et l’adaptation (loi Rolland)
Ces trois principes, malgré des évolutions inéluctables, sont toujours d’actualité et jouent un rôle d’unificateur de l’ensemble des services publics, administratifs, industriels et commerciaux.
Une dimension économique.
La définition économique repose sur le fait que les services publics permettent de prendre en compte des phénomènes que le marché ignore : gestion du long terme (investissement lourd pas forcément rentable) ; préservation d’un bien rare et précieux ; gestion de l’espace ; importance des externalités positives et négatives ; effet de « club » (l’avantage qu’un usager retire d’un réseau est d’autant plus élevé que les autres utilisateurs sont nombreux).
Il est souvent préférable également que ce soit L'État qui gère un monopole naturel (voir introduction).
La recherche de l’intérêt personnel ne conduit pas nécessairement à l’intérêt général. C’est le cas quand il existe des externalités négative. L'État corrige ces défauts par des réglementations.
Le concept d’externalité désigne des bénéfices et des coûts, qui parce qu’ils s’ajoutent aux bénéfices et aux coûts propres à une activité donnée, ne sont pas intégrés dans les prix du marché et concernent des agents économiques ni consentants, ni partie prenante à cette activité. Il existe des externalités dites positives et d’autres négatives. Une amélioration du niveau général d’instruction d’un pays bénéficie aux entreprises sans que celles-ci finance spécifiquement ce «service » qui leur est rendu. Dans ce cas on parlera d’effet externe positif ou d’externalité positive.
En revanche, la pollution ou autres nuisances occasionnées par une production seront qualifiées d’externalités négatives. Il en est de même pour la drogue, le tabagisme, la circulation routière qui tous induisent des coûts pour l’ensemble de la société.
Toutefois, l’État pourra internaliser les externalités. C’est à dire qu’il peut obliger un agent économique à intégrer dans son calcul économique les coûts et avantages externe de son activité.
Dans le cas d’externalités positives, il faut qu’il baisse le coût du service (subventions, par exemple,) voire le produire gratuitement.
En cas d’externalités négatives, il lui faudra procéder principalement par réglementation. Cette gestion des externalités ne fait pas l’unanimité chez les économistes.
La réglementation est l’ensemble des obligations juridiques (normes européennes, lois, règlement administratifs) qui s’imposent aux agents économiques.
Ces réglementations sont de plusieurs natures.
Les deux objectifs de cette réglementation sont :
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Maintenir l’intégrité et la stabilité du système financier.
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Protéger les déposants et les investisseurs.
La réglementation du marché du travail.
Ces mesures sont prises pour protéger les salariés de l’arbitraire patronal, notamment en cas de licenciement, mais aussi pour éviter ou amoindrir parfois des externalités négatives causées à une ville, lors d’un licenciement collectif. L'État a cherché à réglementer les licenciements vers le milieu des années 1970, car il pensait que la crise n’était que passagère et qu’il fallait éviter de l’aggraver. Mais les réglementations n’ont jamais empêché les licenciements.
En France, l'État est intervenu directement sur les structures économiques afin de les orienter dans la direction qu’il jugeait conforme à l’intérêt général. La finalité de ses interventions a d’abord été de renforcer l’économie nationale, puis de favoriser son insertion dans la division internationale du travail. La planification, les nationalisations et la politique industrielle ont été les instruments de cette intervention.
La planification est un ensemble d’orientations économiques et sociales à moyen terme que l'État (en France) propose aux agents économiques. Elle repose sur le «plan » qui ne propose aucune mesure obligatoire pour les entreprises, mais propose des incitations financières. Le premier plan ou plan Monnet (1947), s’assignait pour tâche de relancer la production et l’expansion de l’économie française, pour rattraper en 1948, le niveau de production de 1929. Six secteurs clés, socles de l’expansion, furent définis : charbon, électricité, acier, ciment, tracteurs et transport. Les objectifs furent atteints
L'État acquis alors un poids nouveau et déterminant dans la sphère économique. Il y eut de 1947 à1996, 11 plans, mais seulement les deux premiers de la période de reconstruction des années 1950 eurent une réelle influence. L’ouverture des économies et l’instabilité économique expliquent l’abandon de la planification.
La nationalisation se concrétise par le transfert total ou partiel de la propriété d’une entreprise à l’État (le processus inverse étant la privatisation).
L’objectif des nationalisations était de contrôler les branches motrices de la troisième révolution industrielle et de prépare la croissance par des investissements massifs.
Dans le secteur industriel les nationalisations ont concerne des secteurs en crise (sidérurgie), mais aussi des secteurs de la troisième révolution industrielle (informatique, électronique).
De plus par la prise de contrôle d’une partie du secteur bancaire et donc du crédit, l'État pouvait orienter les investissements.
La politique industrielle désigne l’ensemble des mesures prise par les autorités politiques et économiques pour modifier l’évolution naturelle des activités industrielles. Elles sont justifiées par les imperfections du marché. Dans les années 1980, l’ensemble des pays occidentaux cherche, y compris les plus libéraux (États-Unis et Grande Bretagne), à développer une politique industrielle destinée à renforcer les entreprises et les secteurs nationaux afin de leur permettre de lutter contre leurs concurrents étrangers. Cette politique vise aujourd’hui à améliorer la compétitivité des entreprises.
Les instruments de cette politique sont nombreux : déductions fiscales ou subventions (pour la recherche par exemple, commandes publiques, aides diverses aux PME, bonification d’intérêts, grands projets (espace, armement, communication), rôle des entreprises publiques, réglementation de la concurrence.
Les libéraux peuvent accepter une politique industrielle généraliste qui instaure des règles communes pour l’ensemble des entreprises, en revanche ils refusent les politiques qui favorisent certaines entreprises au détriment d’autres, ce qui fausse le jeu de la concurrence.
Des stratégies de spécialisation peuvent être mises en œuvre.
La stratégie de créneau consiste à spécialiser l’appareil productif dans des produits ou groupes de produits porteurs. Cette stratégie permet d’optimiser des avantages, mais favorise des importations.
La stratégie de filière consiste à maîtriser toutes les étapes du processus de production qui conduisent des matières premières au produit fini. Cette stratégie limite la contrainte extérieure mais reste moins efficace que les stratégies de créneau pour les exportations.
Parmi les nombreuses explications données au rôle croissant de l'État dans la vie économique et sociale, on peut mentionner celle de l’économiste allemand Wagner (auteur de la loi Wagner émise à la fin du XIX ième siècle). Celui-ci a montré que les dépenses de l'État augmentaient plus rapidement que la production en raison des éléments suivant : l’amélioration du niveau de vie entraîne un accroissement des dépenses consacrées à l’éducation ; le développement économique s’accompagne d’investissements très importants (infrastructures, recherche) que le secteur privé ne peut financer (rentabilité à cour terme insuffisante) ; enfin, la réglementation (dépenses d’administration générale) s’accroît avec l’industrialisation et l’urbanisation.
De fait, pour l’économie publique traditionnelle, l'État a pour but de maximiser le bien-être social.
En revanche, la nouvelle économie publique conteste le de défenseur de l’intérêt général de l'État. Celui-ci n’est pas plus légitime que tout autre agent économique. La brèche a été ouverte par Kenneth Arrow lorsqu’il a démontré que les choix collectifs ne peuvent se déduire des préférences individuelles par une procédure démocratique (théorie connue sous le nom de «théorème d’impossibilité »). «Le paradoxe électoral » avait été mis en évidence par Condorcet qui montrait que le vote peut mener à des choix incohérents.
En critiquant le poids que l’État a pris dans les économies, les néolibéraux rejettent tout au tant la conception Keynésienne que celle des néoclassiques. Ils veulent démontrer que l'État n’a aucun rôle économique à tenir, au motif que, selon eux, l'État perturbe les mécanismes de marché et pénalise l’activité économique.
De plus, au cours de la dernière décennie, la mondialisation et les changements technologiques ont profondément modifié les rapports entre l’État et le marché.
Au cours de la dernière décennie, la mondialisation et les changements technologiques ont profondément modifié les rapports entre l'État et le marché.
On assiste à une régression des interventions de l'État dans l’économie depuis le milieu des années 1980. La régulation par le marché prend le pas sur la régulation étatique. Mais cette libéralisation ne va pas sans effets pervers.
La mondialisation a permis aux grandes entreprises multinationales et aux banques de mettre les États en concurrence afin d’échapper à certaines de leurs exigences. L’internationalisation de leurs activités permet à ces grandes entreprises d’échapper partiellement à l’impôt. Mais cette possibilité n’est valable que pour les acteurs qui sont présents dans plusieurs pays. Les ménages, mais également les PME n’ont pas cette possibilité.
Les changements technologiques ont parfois rendu obsolètes les réglementations que l'État imposait aux entreprises, que ce soit dans le domaine des télécommunications ou de la télévision. Les marchés doivent être concurrentiels, et UEM permet la libre circulation des personnes, des biens, et des capitaux. Cette UEM rend impossible la mise en œuvre d’une politique industrielle nationale volontariste qui perturberait la libre concurrence entre les entreprises des différents pays.
Les difficultés financières de l'État ont également contribué à son désengagement. Jusqu’à la fin des années 1970, la gestion de l’endettement public a bénéficié du fait que le taux de croissance était supérieur au taux d’intérêt. Avec les années 1980, la situation s’inverse, les taux d’intérêts élevés font croître la dette publique plus vite que le PIB. En France, le rythme de croissance des dépenses publiques, liées aux politiques sociales et aux mécanismes de redistribution, était supérieur au taux d’accroissement des prélèvements obligatoires constitués par les impôts et les cotisations sociales. La situation était similaire dans les autres pays de l’OCDE.
Les pays vont donc mener des politiques budgétaires restrictives.
Les investissements, les privatisations ont été les bienvenus pour renflouer les finances publiques et participer au désendettement.
La théorie classique traditionnelle accepte les interventions économiques de l'État dans trois cas principaux : le monopole, les biens publics et les externalités. L’école néolibérale des choix publics (public choice) va s’attacher à démontrer que dans chacun des cas l’intervention de l'État est illégitime.
Pour eux, il est nécessaire d’adopter vis-à-vis de l'État, la même attitude critique qu’a l’égard du marché. Dans certains cas, la concurrence est inefficiente, mais rien ne prouve que le monopole d’État soit plus efficace. Aucun monopole d’État réglementaire ne se justifie car l’activité n’est pas rentable, et il ne sert à rien de l’interdire à la sphère privée, soit elle est rentable, auquel cas il faut laisser jouer la concurrence.
Ils partent du principe que les hommes politiques ne sont pas altruistes et qu’ils ne recherchent pas l’intérêt général mais leur intérêt privé. Ainsi, pour eux, les hommes politiques ne choisissent pas les décisions économiques les plus efficaces mais celles qui leur assurent le maximum de popularités en satisfaisant la part la plus importante de leur électorat. Cette conclusion permet d’analyser les dysfonctionnements de l’intervention de l'État.
Ainsi, à l’approche d’une élection, les décideurs politiques en place mènent une politique de relance budgétaire visant à diminuer le chômage et accélérer la croissance économique, même au prix d’une augmentation de l’inflation et d’un gonflement du déficit extérieur. Les alternances politiques nourrissent le déficit budgétaire qui devient une arme stratégique dans la lutte pour le pouvoir. Enfin, les décideurs politiques hypothéquant l’avenir des générations futures car il est électoralement plus aisé de financer le déficit par l’emprunt qu’en augmentant les impôts.
Les libéraux ont donc préconisé de revenir à une politique de concurrence et d’empêcher la constitution des monopoles. La planification et les politiques industrielles volontaristes ont été abandonnées.
En matière de croissance, on entre dans l’ère des politiques de l’offre : il ne s’agit plus de stimuler la demande, mais d’encourager l’offre de biens et facteurs en allégeant les charges et les contraintes que l'État fait peser sur les agents privés.
En matière de chômage, le nouveau credo libéral est celui de la flexibilité : seul un fonctionnement plus libre du marché du travail, avec des salaires et de travailleurs flexibles, peut réduire le taux de chômage naturel.
Les formes de désengagement de l'État sont multiples.
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Privatisation des entreprises publiques, à la fois pour donner plus de place à l’initiative privée et pour dégager des recettes publiques susceptibles d’alléger les dettes et les déficits publics.
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Remise en cause du pouvoir syndical pour favoriser une fixation libre et plus concurrentielle des salaires.
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Remise en cause des réglementations et législations limitant la liberté de gestion de la main d’œuvre et des salaires (autorisation de licenciement, SMIC, durée du travail, etc.), pour permettre une meilleure flexibilité de l’emploi et des salaires.
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Allégement des impôts sur les revenus pour créer des incitations au travail et à épargner.
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Allégement des impôts sur les bénéfices pour stimuler l’offre de biens et l’investissement ;
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Allégement des cotisations sociales à la charge des entreprises.
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Déréglementation des marchés traditionnellement soumis à la tutelle des administrations ou du gouvernement : transport, télé communications, marchés financiers.
Soulignons que cette remise en cause généralisée du rôle de l'État n’est pas limitée aux seuls vieux pays industriels. Elle touche la plupart des pays en développement qui avaient sans grand sucés fondé leur développement sur la planification et le contrôle étatique de l’économie. Elle concerne aussi progressivement les pays d’Europe de l’Est et débouche à la fin des années 1980 sur l’effondrement du système communiste.
La déréglementation consiste à modifier les règles de fonctionnement d’un marché afin de favoriser la concurrence entre les intervenants. Conformément aux enseignements de la théorie libérale, cette concurrence doit favoriser l’équilibre des marchés. La déréglementation du marché du travail devrait permettre de résorber le chômage ; celle du marché du capital aboutir à une meilleure allocation de l’épargne mondiale.
Alors que la mondialisation avait déstabilisé les actions de l'État, certaines interventions publiques sont, aujourd’hui, envisagées afin d’améliorer la compétitivité des entreprises. De plus, les déréglementations ont accru les risques sur les marchés financiers et favorisés la précarité sur le marché du travail. De nouvelles régulations sont envisageables que ce soit au niveau local, national ou international.
Dans son ouvrage, Adam Smith consacre une partie de son analyse du rôle de l'État à la politique en matière ‘éducation. Pour atténuer les effets pervers d’une division du travail poussée, l'État doit éduquer les individus. Cette analyse du rôle de l'État chez Smith est ‘une grande modernité : l’importance des infrastructures, la correction des échecs du marché sont des politiques menées actuellement dans de nombreux pays. On peut estimer qu’en ce qui concerne l’analyse du rôle et du poids de l'État dans l’économie, qu’Adam Smith ne serait pas aujourd’hui un ultra-libéral. Les nouvelles théories de la croissance ont toutes pour conséquence de conclure à l’existence de rendement croissant à long terme susceptible d‘entretenir un processus de croissance permanent. On peut distinguer quatre sources d’amélioration endogène de la productivité :
- L’accumulation de connaissances par l’investissement.
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L’accumulation de connaissances par les activités de recherche et développement.
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L’accumulation du capital humain.
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Le développement des infrastructures par les pouvoir public.
Le premier modèle de croissance endogène est dû à P. M Romer (1986).
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«L’apprentissage par la pratique » permet aux entreprises d’améliorer leurs procédés e production au cours du temps et donc sa productivité ; chaque fois qu’un producteur investit, les biens d’équipement nouveaux incorporent les connaissances accumulées par l’expérience ; améliorant sa productivité, l’entreprise a un effet externe positif sur la productivité des autres entreprises ; il y a synergie et accumulation.
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L’accumulation des connaissances peut aussi résulter des activités de recherche et développement ; là aussi il y a un effet externe positif sur les autres entreprises.
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Le concept de capital humain a été développé par Gary Becker en 1961 ; R. Lucas intègre ce concept dans son modèle de croissance endogène (1988) en tant que facteur de production à côté des deux facteurs traditionnels (capital travail) ; il y a également un effet externe positif ; les investissements en capital humain ont donc des rendements croissants et contribuent à alimenter une croissance permanente de la production.
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Au sens large, les infrastructures comprennent les route et les autoroutes, les voies ferrées, les aéroports, les réseaux de télécommunication, les réseaux de distribution du gaz et de l’électricité, éclairage public etc.
L’intervention de l'État est donc justifiée pour rapprocher l’économie de l’optimum social, notamment en subventionnant les dépenses d’éducation pour inciter les agents privés à développer ce type d’investissement. Sur la même base, on peut justifier les interventions de l'État pour soutenir les activités de recherche et développement, puisque les entreprises qui investissent dans ces activités le font seulement en fonction du gain privé attendu et non en fonction du gain social supérieur que la nation peut en retirer. Enfin, les théories de la croissance endogène soulignent aussi le rôle des investissement publics dans les infrastructures à long terme, sous la seule réserve que les politiques se détournent des interventions purement conjoncturelles de soutien de la demande, au profit d’actions plus structurelles touchant à la recherche scientifique, l’innovation technologique, l’éducation et la formation professionnelle et la qualité des infrastructures.
Néanmoins, il ne faut pas surestimer la portée de la nouvelle théorie de la croissance endogène pour la politique économique.
Un investissement accru des pouvoirs publics dans différentes sources de croissance endogène ne peut produire ses effets qu’à long terme.
En outre, une recherche de croissance maximum à long terme peut se faire au détriment de l’environnement et accentuer les risques écologiques majeurs qui menacent la planète à l’horizon 2030-2050 (effet de serre, couche d’ozone).
Enfin, la croissance ne contribue à réduire qu’une faible part de chômage dont la montée est essentiellement structurelle. Pire encore, la croissance endogène ne repose pas sur une amélioration de la productivité. Or, la difficulté majeure des pays industrialisés réside justement dans leur capacité à rendre compatibles, d’une part, le progrès technique qui limite les besoins quantitatifs en facteurs de production et, d’autres par, la progression de l’emploi nécessaire pour éviter l’exclusion sociale des individus les moins productifs.
Les sources de croissance endogène peuvent ainsi contribuer à court et moyen terme des sources de chômage structurel.
La politique économique ne peut donc se passer de nouvelles stratégies de l’emploi s’attaquant plus directement au chômage structurel.
Les nouveaux Keynésiens pensent, comme les libéraux traditionnels, qu’il faut réduire au maximum les imperfections du marché. Ainsi, il est nécessaire d’assouplir la législation, notamment celle du travail de façon à favoriser la mobilité des travailleurs et à réduire les coûts de rotation de la main d’œuvre. Ils préconisent une flexibilisation des rémunérations et une refonte du système d’indemnisation du chômage afin qu’il ne décourage pas l’emploi.
Les nouveaux keynésiens considèrent toutefois que s’il est possible de diminuer les imperfections du marché, il est impossible de les supprimer car certaines d’entre elles sont inhérentes au marché (information asymétrique ou marchés de clientèle, par exemple).
La plupart des nouveaux keynésiens pensent que l'État peut avoir un rôle de facilitateur de la croissance en favorisant l’accumulation e capital humain par la formation et du progrès technologique par une politique industrielle encourageant la recherche-développement.
Amartya Sen a reçu le prix Nobel d’économie en 1998. Il rejette radicalement les conclusions de la nouvelle économie publique. En effet, il affirme : « finalement, on ne peut trancher les dilemmes sociaux qu’à travers des processus de choix public fondés sur la participation, le dialogue et les débats ouverts (…) Le pilotage unilatéral, y compris s’il est le fait du meilleur des experts, ne saurait en soi constituer une solution ».
Les néolibéraux mettent en avant la liberté individuelle et considèrent que tout système juste doit s’évertuer à défendre cette liberté. Sen est d’accord, mais il précise qu’une des libertés fondamentales est de pouvoir choisir sa vie ; or cela est impossible ç de nombreux individus, pourtant libres au sens des libéraux. Un individu marginalisé dans la pauvreté a-t-il la possibilité, ans une société libre, de devenir riche ?
Sen considère qu’il faut raisonner en termes de «capabilité ». Le choix de l’organisation sociale doit être fait en fonction de la nécessité d’accroître les «capabilités » ; il faut par exemple lutter contre la pauvreté. Cela nécessite de faire des choix qui ne profitent pas forcément à tous, mais la vie en société entraîne des interdépendances et donc des obligations réciproques.
En définitive Sen considèrent comme les libéraux que la liberté individuelle est fondamentale est qu’elle est la principale responsabilité sociale, mais il considère que pour que les individus soient libre, il faut qu’ils, soient capable de l’être (par exemple, en terme de santé et d’éducation). Le rôle de l’organisation sociale est donc développer la capabilité des individus et de garantir leur liberté. Pour cela, une large participation des citoyens à la vie publique et aux décisions est souhaitable. On le voit, Sen prend vraiment le contre pied de la nouvelle économie publique.
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Les néoclassiques et les nouveaux économistes keynésiens pensent que l'État doit généralement s’effacer devant, le marché, mais qu’il a un rôle de substitution au marché à jouer lorsque le marché est défaillant.
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La nouvelle économie publique considère que l'État n’a strictement aucun rôle à jouer ; chacune de ses interventions nuit à la liberté. Amartya Sen considère que l'État a un rôle de lutte contre la pauvreté et doit chercher à améliorer la «capabilité » des individus pour promouvoir la liberté.
«Le XXI ième siècle paraît s’ouvrir sur un scepticisme généralisé à l’égard des politiques économiques. On entend souvent dire que l’on a tout essayé, des relances keynésiennes aux stratégies libérales. Or, il est aisé de constater que le bilan social des pays industrialisés est assez déplorable : le dernier quart du siècle a vu s’installer la pauvreté de masse dans la plus part des pays riches. On aurait tout essayé, et rein n’aurait réussi ?
Ce conteste déroutant est favorable aux deux idéologies qui semble désormais dominer le débat public ; l’idéologie « mondiale libérale », que l’on qualifie parfois de «pensée unique » et son contraire, l’idéologie antiéconomique.
La première prétend que la mondialisation rend obsolète toutes les stratégies de politique économique nationales et qu’un seul même modèle libéral doit s’imposer à tous. La régulation politique de l’économie serait une idée archaïque entravant la marche des nations vers la prospérité, entretenant des charges publiques et des réglementations qui étouffent l’initiative privée, seule source fondamentale de la richesse collective.
En réalité, autant la théorie économique que la réalité économique démontre à l’envi que l’économie de marché sans régulation politique efficace conduit au chaos. Et les citoyens n’ont pas besoin d’être experts pour savoir qu’ils ne veulent pas d’une société où régnerait une guerre sans merci pour être le «meilleur » pour être «compétitif », où la loi du plus fort, déguisée «en loi de l’économie », remplacerait les lois politiques.
Aussi, même si les médias s’entêtent à présenter l’idéologie libérale comme dominante, les foules prêtent plus volontiers l’oreille à ceux qui crient à l’horreur économique et nous désignent des coupables plausibles : multinationales, marchés financiers, progrès technique, spéculateurs, patrons… Mais cette « contre pensée unique » antimondiale, antieuropéenne, antiéconomique, abrutit plus le citoyen qu’elle ne l’éclaire, parce qu’elle se trompe de cible. En effet, une société horrible nous guette peut-être, mais l’horreur n’a rien d’économique, elle est politique. Elle résulte avant tout, des stratégies de pouvoir des gouvernements.
Car la pauvreté, le chômage, l’exclusion sociale ne sont inscrits nulle part dans les fameuses «lois de l’économie » ; ces fléaux résultent des lois des hommes que la politique a justement vocation à redéfinir en fonction des choix collectifs issus du débat démocratique. L’exclusion sociale a commencé de caractériser nos sociétés démocratiques bien avant la «mondialisation », bien avant la tyrannie des marchés financiers », avant le système monétaire européen et vingt ans avant le traité de Maastricht. Notre incapacité à combattre la montée du chômage était flagrante alors même que nous disposions encore des marges de manœuvres politiques qui se sont trouvées ensuite limitées par la nouvelle organisation de l’économie mondiale.
L’impuissance des politiques est un mythe, en partie élaborée et instrumentalisé par les politiques eux-mêmes, pour justifier l’immobilisme tant qu’il constitue la stratégie électorale la plus payante. Nous sommes puissants, c’est peut-être par-là que se dissimule la véritable horreur. Nous sommes encore et toujours dans la période de relative prospérité économique et de progrès technologiques prodigieux. Mais le bénéfice de ces progrès est de plus en plus inégalement partagé entre les hommes.
Notre crise n’est pas d’abord une crise de l’économie, mais une crise de la volonté politique, du courage politique, du débat politique, une crise de la démocratie.
1 Propos extrait du livre, «introduction à la politique économique », (point économie, 1999) de Jaques Généreux : Maître de conférences des universités, professeur à science Po.
L’importance accordée, à la promotion sociale dans les sociétés démocratiques, s’explique par le fait qu’aucune barrière institutionnelle ne sépare un groupe d’un autre et rien n’interdit à quiconque de faire la preuve de sa valeur et de son mérite. L’accès aux fonctions les plus importantes est en principe ouvert à tous, sans distinction. L’égalité des chances constitue un idéal démocratique mais elle n’est pas totalement réalisée malgré quelques exemples célèbres médiatisés. La position sociale d’un individu ressemble souvent à celle de son père et est conditionnée par l’ensemble des ressources économiques, sociales et culturelles qu’il est en mesure de mobiliser, ce qui explique en grande partie la faiblesse de cette mobilité.
L’école républicaine qui dés le départ se veut égalitaire n’arrivera pas à réaliser totalement cet idéal voulu par Jules Ferry avec l’instauration de la gratuité pour l’école primaire en 1881. Jules Ferry qui déclarait : « avec l’inégalité d’éducation je vous défi d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle. Il faut dire que l’école se voulait un modèle de l’intégration républicaine (débat encore d’actualité) en assurant à tous, l’accès à une instruction élémentaire qui soit civique afin de garantir une assise populaire à la république.
Paradoxalement c’est à l’époque ou la démocratisation de l’école est réelle, tant du point de vu institutionnel que statistique que ce mythe va être écorné.
Le thème de la mobilité sociale constitue un enjeu fondamental puisqu’il est un indicateur de la réalité démocratique d’une société. L’examen des flux de mobilité montre cependant une relative rigidité de la structure sociale. Il y a un décalage entre l’idéal et la réalité.
Dans les sociétés démocratiques modernes les places sociales ne sont pas définies à priori. Cette mobilité est la marque d’un abandon des ordres et des castes incompatibles avec l’idéal républicain.
Elle désigne tous les changements de positionnement social (dans la majorité des cas) ou descendante : d’émotion. En France cette mobilité est dégagé à partir d’enquêtes : Formations et Qualifications professionnelles.
On distingue également :
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la mobilité totale ou parfaite : elle décrit une situation idéale où tous les individus pourraient bénéficier d’une ascension sociale. La réalité démontre qu’il n’en est rien. La mobilité observée ou brute est alors égale à la différence entre la mobilité parfaite de 100% et le nombre d’immobiles (homo sociaux).
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Les mobilités intergénérationnelles : la mobilité intergénérationnelle décrit le changement de groupe social du fils par rapport au père. La mobilité intragénérationnelle rend compte de l’évolution socioprofessionnelle d’un individu pendant sa vie active. Elle est appelée également mobilité professionnelle.
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La mobilité structurelle : elle représente une forme de mobilité subie et résultant ni du choix ni de l’action de l’agent observé. Elle découle des transformations de l’appareil productif ou de la société. Le passage d’une économie agraire à une économie industrialisée a conduit les fils d’agriculteurs à exercer des métiers différents de leur père.
L’importance de la mobilité (ou sa faiblesse) traduit la fluidité du système et indirectement de la réalité démocratique d’un pays.
Sous l’Ancien Régime les individus étaient regroupés en «ordres », dans d’autres sociétés le système de «castes » prévaut (fondé sur l’hérédité avec comme base la religion ou le métier).
Marx a développé le concept de «classes sociales » issus de la division du travail. Ordres, castes, classes, sont des exemples de stratification sociale qui est la division d’une société en groupe.
Aujourd’hui on utilise le plus souvent stratification professionnelle (PCS), créée par l’INSEE au début des années 1950 sous le nom de CSP qui est devenu PCS en 1982.
Ces catégories se veulent homogènes.
Les études de mobilité sociale s’inscrivent dans la théorie de la stratification où les possibilités de passage entre groupes sociaux existent.
A la société traditionnelle hiérarchisée, s’est substitué une société multipolaire dans laquelle l’individu s’inscrit dans différents réseaux sociaux et où les places sociales sont mouvantes. En contre partie l’individu se trouve donc contraint de lutter pour acquérir une place et se positionner dans la société, car cette place n’est plus attribuée une fois pour toutes. La mobilité renforce la liberté de choix, mais avec la compétition qu’elle engendre, elle est source d’insécurité et de peur de l’exclusion par l’élimination de cette compétition.
Au XIX ième siècle et dans la première moitié du XX ième siècle la mobilité sociale était assez réduite. Les flux de mobilité peu nombreux et l’école, l’armée, l’église restaient des moyens traditionnels d’ascension sociale.
La mobilité sociale ascendante s’est développée : dans les années1990 deux hommes sur trois et prés de trois femmes sur quatre quittent leur milieu d’origine, contre un individu sur deux dans les années 1950.
L’idéal (certains parlent d’utopie) des sociétés démocratiques repose sur la méritocratie rendue possible par l’égalité des chances.
L’idéal méritocratique est l’expression de la réussite par le mérite individuel. Celui-ci n’est possible qu’en fonction d‘une égalité des chances entre les différents individus, sans aucune distinction de positionnement social au départ. L’égalité des chances devenant alors la norme d’une société démocratique permettant ainsi des possibilités équivalentes de réussite scolaire et sociale. Réussite qui peut trouver sa concrétisation au sein d’une société fluide qui permet les passages entre groupes sociaux sans aucune entrave institutionnelle ou sociale.
L’école est donc centrale dans ce processus de mobilité sociale en tant que lieu de redistribution des places sociales en fonction du mérite personnel. Pourtant il s’avère que d’autres éléments entrent en jeu, comme le capital économique, le capital social, mais aussi le parcours professionnel.
Le conteste économique exerce en particulier une grande influence. Les ouvriers de l’abondance des « Trente Glorieuses » ont pu connaître une mobilité ascendante favorisée par une croissance économique soutenue. En revanche, les années 1970 voient un processus de déclassement, de régression sociale et de perte des liens sociaux.
Les réformes purement scolaires ne seront pas suffisantes pour rendre à l’école sa visée méritocratique. Les politiques publiques doivent avant tout favoriser l’accès aux équipements collectifs éducatifs et culturels.
La société française semble favoriser que très faiblement la mobilité sociale, le nombre «immobiles est encore important par rapport à une mobilité parfaite. La mobilité est essentiellement structurelle. C’est à dire qu’elle résulte des transformations des structures de la population active. Par ailleurs, lorsqu’elle existe, elle se fait surtout vers des catégories sociales relativement proche socialement.
La force de la production sociale est une caractéristique dominante de la française où la stratification est donc rigide.
La mobilité est surtout le fait de trajet ou d’itinéraires «courts ». Les mobilités ascendantes s’effectuent entre groupes socialement proches (ouvriers – employés...) Les classes moyennes sont animées par une forte volonté d’ascension sociale.
La tendance de long terme à l’augmentation des flux de mobilité générée par la croissance et la transformation de la population active s’est relativement stabilisée. La «fracture sociale », issus de la crise, a des effets sur les espoirs de mobilité des différentes catégories sociales. L’ascenseur social qui désignait la possibilité de progresser rapidement dans l’échelle sociale se trouve en panne du fait de la longévité de cette crise. Les conséquences psychologiques ne sont pas négligeables, car les espoirs sociaux sont considérablement réduits et les individus intègrent cette donnée dans leurs stratégies.
Les conséquences de la mobilité ne sont pas non plus négligeables. Celui qui est ou a été mobile subit une attitude ambivalente qui va du respect pour celui qui réussi à s’en sortir, au rejet pour celui qui est parti de sa classe d’origine.
L’école a pour objectif de transmettre à tous les élèves le même enseignement et de les former dans l’objectif de constituer des citoyens «éclairés ». Cette mission offre à tous, les chances d’accéder à un emploi par la délivrance d’un diplôme reconnu. Tous les enfants ont à priori les mêmes chances de réussite puisque seulement sont valorisées les compétences méritocratiques.
Pourtant l’école n’a pas réussi dans son objectif égalitaire puisque la reproduction et l’immobilité sociale demeurent. En sociologie, deux explications dominent : l’approche de Pierre Bourdieu (et Passeron,) et celle de Raymond Boudon qui font l’objet d’une controverse traditionnelle.
Pur étayer son explication Bourdieu utilise la notion de «dotation en capital ». Les enfants scolarisés vont mettre à profit ce qu’ils possèdent comme connaissance, comme compétences et qui les différencient dès avant même leur scolarisation. Cette différence de dotation va être amplifié par l’école.
La notion de capital s’explique par la transmission héréditaire et par les flux de revenus que celui-ci engendre en faveur de son possesseur.
Ce capital est constitué par l’ensemble des revenus du patrimoine détenu par les agents économiques. Le patrimoine étant l’ensemble des biens physiques et monétaires. La possession d’un capital économique (entreprise, fonds de commerce, exploitation agricole, patrimoine…) est un facteur essentiel. Les fils des professions non salariées sont largement bénéficiaires de l’héritage de ce capital qui leur permet de s’installer à leur compte. La définition de ce capital est également essentielle pour expliquer les phénomènes de mobilité sociale vers les positions favorisées détentrice du savoir.
Le capital culturel regroupe l’ensemble des connaissances, des valeurs, des normes et des comportements que détient un individu et qui sont déterminés largement par le milieu d’origine. Les enfants issus de milieux favorisés en capital culturel (parent diplômés) maîtrisent déjà les outils du langage ainsi que les schémas de pensée abstraits. Ils bénéficient d’un fort «héritage culturel » et de la culture acquise sans effort, naturellement, pendant la socialisation primaire. De plus, ils se rapprochent des enseignements quant à leur expression ainsi que dans la perception de l’institution scolaire.
Les familles de ces enfants s’investissent énormément dans l’institution scolaire et suivent quotidien, avec une grande efficacité, le travail de leur progéniture ; alors que les familles plus populaires attacheront moins d’importance à ce suivi régulier et sont moins à même de le rendre efficace puisque les mères, notamment, sont moins diplômées que celles des premiers.
Une autre forme de capital intervient après le diplôme pour renforcer cette inégalité d’origine, le capital social. A diplôme égal les chances de trouver rapidement un emploi dépendent aussi du réseau de connaissances tissé par les famille et qu’elles feront jouer pour faciliter l’insertion professionnelle des enfants.
L’école républicaine a certes réduit les inégalités résultant du capital économique par le biais des bourses, mais malgré une scolarisation massive n’a pu réduire à néant le poids de l’origine sociale dans le positionnement social. A réussite scolaire identique, un individu disposant d’un capital de relations parvient à une position sociale plus élevée qu’un autre qui en serait dépourvu. Pour Bourdieu, la force du déterminisme sociale semble l’emporter.
R. Boudon met en évidence non pas le poids de la reproduction sociale mais le comportement rationnel des familles (individualisme méthodologique ; l’individualisme méthodologique étant le principe d’explication qui consiste à analyser un phénomène économique comme étant le résultat des comportements individuels)
Pour Boudon, les représentations (perceptions de la réalité scolaire) et la rationalité des familles défavorisées sont différentes de celles des familles aisées et cela est dû notamment à des ressources différentes des règles du jeu scolaire. Lors des principaux choix d’orientation qui ponctuent la vie scolaire d’un élève, les parents vont résonner en terme de coût d’opportunité. Ils vont donc se livrer à une confrontation des coûts et avantages matériels d’une filière. Les familles populaires s’investissent dans la valorisation des diplômes et préfèrent diriger leurs enfants vers des cursus qui débouchent sur un emploi rapide.
Dans cette optique, c’est l’addition des décisions individuelles qui permet de rendre compte de l’inégalité des chances, sans avoir à postuler une reproduction de la structure sociale.
R Boudon relativise également la mise en évidence du «paradoxe d’Anderson » (plus diplômés que leur père les fils occupent une position professionnelle inférieure). Il explique cet état de fait par l’augmentation du nombre de diplômes délivrés par rapport au nombre d’emplois disponibles qui diminue ce phénomène abouti à une dévalorisation du diplôme.
Les conclusions issues des travaux de Bourdieu s’avèrent de plus en plus remises en cause en sociologie de l’éducation. En effet si le système semble régi par des lois générales, l’École est loin d’être homogène : tous les professeurs et tous les établissements ne sont pas également efficaces ; les élèves sont aussi les sujets de leur éducation et ils ne peuvent pas être considérés comme de simples réceptacles de la socialisation ; les «lois » de la reproduction, aveugle et cachées, semblent remise en cause par celle du «marché scolaire » dans lequel les individus agissent rationnellement.
Avec la sociologie de l’acteur Boudon, l’agent économique retrouve un statut plus humain il reste maintenant à lui rendre une densité qui lui fait encore défaut, pour retrouver la «personne », «jalon essentiel dans l’évolution morale des sociétés », dit Boudon.
Les conflits du travail ne sont pas apparus avec la société industrielle mais sont devenus plus visibles. Jusqu’au XIX ième siècle les conflits se localisaient essentiellement dans la sphère économique. Ils résultaient des rapports obligés entre employeurs et employés. Le conflit né des rapports de production était central.
Chaque société peut se caractériser par son mode de production, mais sans forces productives il ne saurait être question de production. Cependant c’est le caractère des rapports de production qui détermine la manière de produire. Les forces productives regroupent ; les instruments de la production, la force de travail des hommes, les objets du travail, les savoirs et les techniques en vigueurs, l’organisation du travail. C’est alors de cette activité de production que les hommes nouent entre eux des relations sociales. Marx écrit dans Le Capital «le mode de production conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général ». Pour Marx, la superstructure, ensemble des concepts et des idées et des institutions politiques et juridiques correspondantes d’une formation sociale donnée, regroupe en fait toutes les institutions sociales dont la fonction est de protéger les rapports sociaux existants, c’est à dire de défendre la classe des exploiteurs contre les exploités.
On voit donc apparaître la notion de classe et de lutte des classes.
Marx écrit dans le Manifeste du parti communiste «la classe bourgeoise moderne n’a pas aboli et n’abolira pas les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de luttes à celles d’autrefois ». Toutefois Marx va distinguer la «classe en soi » et la «classe pour soi ».
La «classe en soi » incarne une réalité objective c’est à dire qu’il est possible d’identifier la classe ouvrière par l’énoncé des niveaux de vie et des modes de vie communs. Cette notion est utile pour organiser la classe sociale (stratification sociale).
La «classe pour soi » quant à elle, représente une réalité subjective c’est à dire le fait d’être conscient de l’appartenance à un groupe. Cette identification peut s’effectuer par assimilation et/ou par opposition.
Pour Marx les classes en opposition sont d’une part la «bourgeoisie » qui détient les moyens de production, c’est à dire le capital et d’autre part le «prolétariat » qui ne détient que sa force de travail qu’il met au service du bourgeois. Ce faisant, l’ouvrier souffre de l’aliénation ; laquelle résulte de la dépossession de l’ouvrier de son travail qui avec le capitalisme devient de plus en plus abrutissant. Il souffre de l’exploitation au travers du processus de perception de la plus value sur le travail par le capitaliste.
La dimension conflictuelle de la relation apparaît à Marx comme inévitable et salvatrice ; la majorité renversant la minorité pour rendre plus équitable la société et la révolution prolétarienne conduira à la collectivisation des moyens de production et au communisme.
Les faits ont contrarié Marx. La révolution n’a pas eu lieu, le niveau de vie des ouvriers n’a cessé de croître ainsi que leur pouvoir d’achat du fait du Fordisme et de l’Etat/providence. La dimension conflictuelle a été réduite par l’institutionnalisation des conflits, conséquence de la montée du syndicalisme. Le syndicat qui pour Marx devrait être révolutionnaire devient médiateur. La société du XX ième siècle ne repose plus de manière aussi flagrante sur le principe de domination économique, puisque les clivages sont moins flagrants et la société plus uniforme. Il y a une moyennisation des sociétés postindustrielles qui a renforcé l’image d’une démocratisation des volontés. Les classes en soi sont difficiles à observer.
La bipolarisation énoncée par Marx ne peut exister aujourd’hui puisque dominent les regroupements d’individus autour d’intérêts qui ne sont pas définitifs. Le conflit n’est plus central et les manifestations illustrent plutôt aujourd’hui des revendications corporatistes ou de regroupements éphémères et non globaux, d’intérêts (le phénomène des coordinations repose sur cette chronicité des conflits).
Le droit de grève qui a été reconnu en 1884 (fin de l’interdiction des coalitions datant de la loi chapelier de 1871), est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 repris par l’actuelle Constitution. Le droit de grève est toutefois réglementé. Les syndicats quant à eux n’ont été autorisés qu’en 1884, avec la loi Waldeck-Rousseau. Cependant les conflits sont antérieurs à ces deux dates.
Grèves, débrayages ou mouvements de protestations, les conflits sociaux ont pris des formes différentes quelles que soient les époques.
Ce mouvement insurrectionnel surgit en 1831 lors de la négociation d’un tarif minimum il sera durement réprimé, mais à cette occasion les canuts ont pris conscience des intérêts propres de leurs profession et à ce titre on peut parler « d’éveil de la conscience ouvrière ».
Au début du XIX ième siècle, l’industrie anglaise se trouve confronté à un mouvement ouvrier, le ludisme », qui s’oppose à l’introduction du machinisme dans l’industrie textile. Ce mouvement se caractérise par des opérations de sabotages et de bris de machines ainsi que par des grèves spontanées.
De son côté Émile Zola, dans son roman Germinal, rapportera la situation miséreuse et les conditions de travail dangereuses des mineurs du Nord de la France.
A cette époque les conditions de vie sont précaires, les enfants peuvent travailler à la mine dès l’âge de 10 ans, et les propriétaires des mines veulent malgré tout baisser les salaires des manœuvres qui travaille aux boisages des galeries. Un mouvement de grève s’en suivra et les dirigeants comporteront sur la famine pour la reprise du travail car les ouvriers grévistes ne sont pas payés. Zola s’inspire de la crise à la mine d’Azin en 1884.
La crise de Mai 1968 survient dans un contexte de forte croissance économique (Trente Glorieuse). Les salariés sont indexés sur le coût de la vie et le pouvoir d’achat progresse pour l’ensemble des salariés. Néanmoins les inégalités sociales augmentent entre les groupe sociaux. Les principales revendications portent sur les salaires et les conditions de travail imposées par le fordisme (cadences imposées par le travail à la chaîne, déqualification des ouvriers etc.). Cependant, les étudiants qui sont à l’origine de la révolte, ne sont pas acceptés par les ouvriers qui considèrent comme des «privilégiés » appartenant à la bourgeoisie. Leurs revendications n’ont rien à voir avec celles de la classe ouvrière- le peuple des usines et des bureaux.
A ce propos certains ont vu une évolution dans le mouvement revendicatif. De nombreux grévistes ont un statut précaire ; ce sont des travailleurs sous contrat à durée déterminée ou des intérimaires. Les motifs de la grève sont l’exigence de hausses de salaires (justifiées par les gains de productivité), le refus de la flexibilité du travail et de la précarisation de l’emploi imposé par les entreprises.
Les conflits individuels trouvent leur règlement dans une juridiction particulière, le conseil des prud’hommes. Les conflits collectifs opposant salariés et employeurs se traduisent le plus souvent par la grève.
Ce terme de grève vient de la place de Grève à Paris, aujourd’hui place de l’hôtel de ville, où se réunissaient autrefois les compagnons à la recherche d’un travail.
La grève est l’interruption de la production résultant d’une cessation collective et concertée du travail afin de satisfaire des revendications d’ordre professionnel. La grève peut être considérée comme une décision rationnelle ; c’est un moyen légal pour atteindre un objectif précis. La grève permet aux salariés de faire pression sur l’employeur pour obtenir de meilleures conditions de travail et de rémunérations.
Un mouvement social est un rassemblement et une mobilisation de personne dont les actions et engagements visent à transformer la société. Il est en fait un ensemble de protestations. L’action collective est un «agir ensemble intentionnel marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert » (ouvrage d’Éric Neveu). Elle est animée par une logique de revendication et de défense d’un intérêt matériel ou d’une cause.
La mobilisation est le processus qui conduit un ensemble de personnes, ayant pris conscience de leur intérêt commun, à s’organiser pour le défendre ou le promouvoir.
Un sociologue américain, Maccur Olson, offre en 1978 une analyse pertinente de l’action collective. Le paradoxe d’Olson se manifeste lorsque : toutes les conditions nécessaires à l’engagement peuvent être réunies sans que rien ne se produise. Il met en évidence que la taille du groupe apparaît comme un facteur essentiel. Plus le groupe est grand plus la fraction de bénéfice que reçoit chacun pour son engagement est réduite et plus les coûts d’organisation du groupe sont élevés. Il en conclu donc que les individus raisonnables et calculateurs ne vont pas à priori s’engager dans une action collective à moins d’y être contraints ou d’être stimulés positivement. Il y aurait un calcul coût/avantage et cette analyse permet de comprendre les comportements attentistes. Le Free rider ou le cavalier seul est alors celui qui préfère ne pas s’engager et de profiter des avantages à venir d’une grève à laquelle il n’aura pas participé mais qui, en cas de succès, lui rapportera les mêmes avantages que ceux qui se sont engagés.
La participation est alors généralement moins optimale que la non-participation. La participation sera plus forte dans les petits groupes et surtout dans les groupes manifestes (groupes d’appartenances). Cette analyse permet de mieux comprendre aussi le succès des coordinations.
Le sociologue Alain Touraine définit les trois principes d’un mouvement social comme étant :
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Le principe d’identité : un mouvement social peut s’identifier en se disant le porte-parole d’un groupe particulier – la classe ouvrière, les étudiants, les femmes, etc.
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Le principe d’opposition : il lutte toujours contre une résistance, un blocage ; il cherche à briser une force d’opposition, une apathie, une indifférence ; il a nécessairement des adversaires.
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Le principe de totalité : un mouvement social agit au nom de grands idéaux, de valeurs supérieures, d’une certaine philosophie ou théologie. Son action s’inspire d’une pensée qui se veut la plus élevé possible. Les raisons invoquées pour motiver sont action peuvent être : l’intérêt national, le bien commun, la liberté humaine, le bien-être collectif, les droit de l’homme, etc.
Le mouvement des chômeurs en décembre 1998 réunit les trois principes d’Alain Touraine : le collectif des chômeurs défend les sans emplois (principe d’identité), ils protestent contre l’indifférence des pouvoirs publics (principe d’opposition), et revendique l’application des principes de la Constitution de 1958 – le droit à l’emploi (principe de totalité).
Les conflits du travail ne prennent pas toujours une forme de contestation ouverte collective.
L’augmentation du taux d’absentéisme et de « tourover », le gaspillage et les malfaçons (le coulage) la fréquence des litiges individuels, le refus d’effectuer des heures supplémentaires, et la démotivation sont des signes révélateurs de l’insatisfaction des salariés.
Du XIX ième siècle, avec en 1864 la reconnaissance du droit de grève et de coalition, à nos jours, la législation n’a cessé d’évoluer. Ces évolutions ont souvent été le fruit de luttes syndicales et de conflits sociaux.
Par ce terme on entend le processus par lequel, des relations sociales conflictuelles sont peu à peu organisées afin de leur donner un caractère prévisible et apaisé.
C’est une association chargée de défendre les intérêts professionnels de ses membres (syndicats d’employés et d’employeurs).
Les syndicats représentent des partenaires stables avec lesquels les directions d’entreprises peuvent discuter et négocier. Tous syndicats représentatifs qui se créé une section syndicale dans l’entreprise peut désigner un ou plusieurs délégués syndicaux à condition que l’entreprise soit au moins de 50 salariés.
La France connaît une baisse sensible de son taux de syndicalisation (moins d’un salarié sur 10 est syndiqué) ; ce taux est un des plus bas.
C’est la recherche d’accords entre les partenaires sociaux. Elle intervient lors du déclenchement d’un conflit du travail ou bien pour permettre d’en éviter un. L’existence d’un conflit permet de faire pression sur l’employeur pour obtenir l’ouverture immédiate de discutions. Le conflit est aussi le moyen pour les travailleurs d’exprimer clairement leurs revendications. La loi du 13. 11. 1982. A rendu obligatoire la négociation collective dans les entreprises de plus de 50 salariés. Cette loi a permis une régulation positive des conflits.
La régulation des conflits dans l’entreprise est l’ensemble des règles formelles ou informelles qui assurent le fonctionnement d’une activité sociale et en l’espèce dans l’entreprise.
Pour Jean Daniel Reynaud, la régulation sociale repose sur trois piliers.
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la régulation de contrôle : elle désigne les mesures prises par l’employeur pour inciter les salariés à s’impliquer dans leur travail (persuasion ou méthodes coercitives).
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La régulation autonome : elle se réfère aux initiatives prises par les salariés eux-mêmes pour assurer leur travail.
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La régulation conjointe : elle est exercée à la fois par l’employeur et par les salariés, et désigne l’ensemble des moyens mis en œuvre pour assurer le dialogue social dans l’entreprise. La régulation est une régulation officielle, institutionnelle.
Pour Émile Durkheim le conflit déchire les hommes et constitue une menace pour l’ordre social, en revanche pour Marx le conflit est un instrument ou un moteur du changement social. Comme l’a souligné Darendorf, Marx a compris que le conflit est le principal moteur de l’histoire. Le conflit amène forcément des changements, à plus ou moins brève échéance. C’est dans et par l’opposition entre des groupes d’intérêt divergents que les structures sociales se transforment. (Voir introduction du chapitre).
La moyennisation de la société, «l’embourgeoisement de la classe ouvrière » permis par les «Trente Glorieuses et l’amélioration incontestable des conditions de vie et de travail, la participation régulière aux fruits de la croissance, l’éclatement du monde ouvrier et les possibilités de mobilité sociale ont rendu caduque la théorie Marxiste des classes sociales.
Jusqu’au milieu des années 1970, la conscience de classe est forte. Depuis, cette conscience de classe décline et de moins en moins de français se définissent en fonction de leur classe sociale (même si lors du mouvement social de 1995 il y a eu une remontée du sentiment de classe).
La position sociale repérable par la CSP, la propriété d’un patrimoine, le pouvoir ou le prestige sont des critères permettant de classer les individus dans des groupes sociaux.
On assiste depuis 1970 à l’essor des groupes intermédiaires salariés, non assimilables à la bourgeoisie ni aux classes populaires. En même temps, les effectifs des agriculteurs continuent de baisser et le monde ouvrier connaît de profondes mutations.
La fréquence des grèves et des mouvements sociaux n’est pas la même en période de croissance et en période de récession.
On observe depuis 1975 une baisse sensible du nombre de conflits localisés ; cette baisse est irrégulière puisqu’en 1968, 1979, 1982 et 1988 le nombre de journées individuelles non travaillées a légèrement augmenté. Le nombre de conflits généralisés est relativement stable sur la période, exception faite pour l'année 1995.
Les motifs sont multiples et vont de la grève pour protester contre un plan de licenciement (motif lié à l’emploi), à une demande de hausse de salaire (motif lié au salaire), ou encore litige portant sur les heures supplémentaires par exemple (motif lié au droit). Les motifs peuvent également être liés aux revendications concernant les cadences ou les conditions de travail.
De 1990 à 1993, on observe une augmentation des conflits liés à l’emploi. Ils sont la conséquence d’une détérioration du marché du travail qui se manifeste par la montée des plans sociaux et l’augmentation du chômage qui en découle.
On assiste à une modification du conteste économique.
Conflits du travail et conteste économique.
On observe une baisse de la conflictualisation qui peut s’expliquer par le conteste économique défavorable qui voit la progression du chômage et la montée de la précarité. La peur du chômage est incontestablement un frein à l’action revendicative. Ainsi, certains salariés acceptent de travailler à temps partiel pour garder leur emploi (temps partiel).
Une loi du 13 novembre 1982 a rendu obligatoire la négociation entre partenaires sociaux dans les entreprises. Ceci semble avoir eu pour effet de limiter les conflits, le dialogue social permet la régulation des conflits. Toutefois, à l’heure actuelle des assouplissements en faveur es entreprises semblent vouloir être mis en œuvre.
Dans de nombreux secteurs ont voit monter un mécontentement lié au conteste économique et son cortège de restructurations accompagnées du chômage et de la précarité. Les restructurations du secteur sidérurgiques en 1978 ont été significatives. Le mouvement des chômeurs de 1998 est symbolique d’une évolution des mouvements sociaux.
Résultat de l’émergence de nouvelles couches sociales, de la «moyennisation » de la société et d’un changement du système de valeurs, ces mouvements d’un type nouveau caractéristiques d’une société postindustrielle ou postmoderne, sont appréhendés comme le signe d’un retour de «l’acteur » ou «du sujet collectif » susceptible de promouvoir le changement social sans pour autant nécessiter une rupture révolutionnaire.
Le changement social est-il d’ailleurs toujours la motivation de ces nouveaux mouvements sociaux ?
Les grandes grèves du dernier trimestre de 1995 sont le signe de l’existence de l’action collective dans les sociétés contemporaines.
Les analyses proposées par Alain Touraine dans «le grand refus » mettent souvent l’accent sur le rejet du plan Juppé non par rapport à son contenu mais plutôt parce qu’il est le résultat de l’imposition d’une décision des pouvoirs publics sans véritable concertation préalable avec les acteurs sociaux.
La grève devient, avant tout, un rejet d’une tendance technocratique du pouvoir. Elle est une remise en question de l’autorité publique comme propriété des élites dont les préoccupations ne tiennent pas compte de la majorité des Français.
La grève est en quelque sort l’expression d’une rupture entre le peuple et les élites.
Ce mouvement illustre également la crise ou la déchirure du tissu syndical français. Les principales cellules se sont en effet limitées à un rôle d’accompagnement, incapables de pouvoir proposer une réelle alternative et réduites alors à un soutien diffus des manifestations.
Seul le syndicat SUD exerça un rôle de leadership.
Les analyses convergent pour constater que le mouvement fut pauvre en propositions, ce qui explique en partie la faiblesse de sa portée définitive. Il manifeste un double refus, celui de la dualisation sociale et le refus d’un pouvoir transcendant qui prendrait les décisions sans consulter le corps social.
Cette forme de «non mouvement », incarne enfin, le refus d’accepter comme une fatalité l’évolution sociale qui accroît la pauvreté et les formes d’exclusions, notamment par le souci omniprésent des gouvernements de favoriser et de maintenir au mieux le positionnement de la nation dans la mondialisation. Les sujets sociaux revendiquent un pus grand intérêt aux problèmes nationaux.
Ce mouvement a quand même bénéficié d’un fort soutien de l’opinion publique.
Ces grèves marquèrent la réalité de manifestations de mécontentements mais dans une forme d’expression qui s’éloignent des grèves du début du siècle.
L’action collective devient de plus en plus le fait de ce que l’on appelle les «coordinations ». Ces organisations à structure éphémère sont efficaces car ponctuellement elles entraînent l’adhésion de corporations de métiers qui veulent se faire entendre. Elles se dissolvent une fois les revendications satisfaites. Elles ont ponctué la vie sociale depuis les années 1990.
Le mouvement des infirmières celui des marins pêcheurs etc. : en sont des illustrations.
La baisse de la conflictualité est alors plus analysée comme un changement dans la nature des conflits que dans leur disparition.
Les conflits dominants, aujourd’hui qui portent sur l’emploi, ont tendance à ce localiser (le niveau national ne l’emporte plus dans les mobilisations), sont portés par les salariés du secteur public. Ils peuvent aussi porter sur le pouvoir d’achat ou le maintien d’avantages acquis.
Cependant on voit apparaître des formes de plus en plus violentes d’action collective, avec des menaces de destruction de matériel, voire d’usines ou des chantages à la pollution. Ces actions qui sont le plus souvent le fait de salariés désespérés faces à des plans sociaux, s’apparente au Luddisme que la Grande Bretagne a connu au XIX ième siècle. Les salariés obtiennent une amélioration de leurs indemnités de licenciement car généralement ils ne peuvent pas éviter les plans sociaux. Du côté des employeurs la violence n’est pas exempte non plus, notamment quand on constate quelques déménagements d’entreprises à la faveur de période de vacances, laissant les salariés complètement impuissants et démunis.
Les conflits débouchent sur l’adoption de nouvelles règles qui vont servir de cadre au jeu social ou, à l’inverse, sur le maintien de règles déjà en vigueur. Bien souvent ces règles sont des lois, la revendication portant sur le maintien ou le changement d’un texte. C’est pour cette raison que les conflits sont un élément de la régulation sociale qui permet l’apparition, la transformation, le maintien ou la disparition des règles sociales. Cette régulation passe par une institutionnalisation des conflits mais elle ne supprime pas les contradictions constitutives de l’organisation économique, sociale et politique. Les conflits sont toujours possibles.
Le développement de mouvements comme les mouvements étudiants, les femmes, les chômeurs, mais aussi des mouvements comme le mouvement écologiste ou plus récemment les anti-mondialisations, permettent au travers de l’action protestataire de renforcer l’identité collective.
L’identité collective est l’identité commune aux membres d’un groupe social et reconnu par les autres membres de la société. Le conflit est donc socialisant, il produit paradoxalement de l’intégration.
Les conflits favorisent donc la reproduction sociale.
Changement et reproduction sont intimement liés. Alors que le travail des femmes est devenu la norme, celles-ci occupent toujours une situation défavorisée sur le marché du travail. Le changement peut-être un retour en arrière. Après une période de consolidation du travail, on assiste aujourd’hui à une précarisation des emplois qui rappellent l’avant-guerre.
Loin de supprimer les problèmes, le changement social se contente souvent de les déplacer. De nouvelles tensions apparaissent, sources potentielles d’autres conflits sociaux.
L’exclusion durable d’une partie de la population active du marché du travail est malheureusement une des conditions de l’apparition d’un mouvement des chômeurs.
On peut expliquer l’action revendicative par la situation objective d’un acteur qui réagit à une relation économique ou politique qui lui est défavorable. Dans ce cas on met l’accent sur les causes objectives de la mobilisation. Il ne suffit pas pourtant d’être défavorisé pour se révolter. Certains sociologues insistent également sur les conditions subjectives de la mobilisation collective ; c’est à dire qu’il faut que l’individu ait conscience d’être défavorisé.
Aujourd’hui, c’est moins la propriété que le contrôle des moyens de production et la domination qui sont déterminants. L’autorité qui est le pouvoir d’imposer l’obéissance est d’autant plus forte qu’elle est légitime. C’est l’inégale distribution de l’autorité entre personnes et groupes qui constituent aux yeux de Darendorf, la source structurale des conflits.
Un scénario différent de l’affrontement bipolaire entre capitalistes et prolétaires peut naître d’une évolution caractéristique ses sociétés actuelles, la montée, en nombre et en pouvoir, des cadres et professions libérales.
Le développement des fonctions d’encadrement, d’ingénierie, de recherche scientifique et de transmission des connaissances entraîne un clivage de plus en plus net au sein même du salariat. Alors que la grande masse des salariés est déjà passée par l’étranglement du «sablier », une couche supérieure, forte de ses compétences gestionnaires, techniques ou scientifiques, semble se rapprocher de la bourgeoisie capitaliste par son niveau de vie et le pouvoir (pouvoir de décision et culturel) qu’elle exerce sur le reste de la population.
Qu’elle est la nature de ce «capilo-cadrisme » selon l’expression de G. Duménil et D. Lévy ? Si les employés paraissent rejoindre les ouvriers dans la constitution d’une nouvelle classe dominée, les cadres et les professions intellectuelles semblent trop distincts des chefs d’entreprises par leur statut de salarié et les fondements de leur richesse et de leur pouvoir pour qu’on puisse admettre qu’ils forment, avec ces derniers, la nouvelle classe dominante. Il s’agirait plutôt d’une nouvelle classe montante dont les intérêts spécifiques la conduisent tantôt à s’allier à la bourgeoise tantôt à s’affirmer contre elle.
Penser les changements sociaux du XXI ième siècle, ce n’est pas attendre désespérément l’émergence d’une conscience nouvelle, ni chercher dans tous les conflits d’aujourd’hui l’embryon des luttes de classes de demain, c’est se demander quelles consciences collectives peuvent naître des contradictions objectives qui se déroule sous nos yeux. Le retour des formes approfondies et généralisées d’exploitation et d’oppression crée les conditions d’apparition d’une nouvelle classe ouvrière «en soi ». Mais la montée d’une conscience est une longue histoire comme elle le fut au siècle précédent.
Les nouvelles formes de travail, l’individualisation, la précarité, le chômage qui frappent les travailleurs contribuent à renforcer la concurrence entre eux au détriment de l’union et brouillent les mécanismes de domination. Les nouvelles couches sociales qui se prolétarisent sont trop différentes, en raison de leur origine et leur culture, des ouvriers du passé pour qu’une identité de classe parvienne à leur conscience immédiate.
On pourrait retenir au travers de toutes ces évolutions, comme le précise le sociologue français Didier Lapeyronnie, que le changement majeur de ces dernières décennies est l’émergence d’une société civile. De nombreux conflits sont alors portés par une volonté de démocratisation. Le thème de la citoyenneté y est central.
Il faut toutefois garder à l’esprit que le pouvoir du citoyen réside dans l’élection et pas seulement dans la rue et les mouvements sociaux. Or, comme le souligne Dominique Shnapper ou encore Jean-Marie Cotteret qui parle de «handicapés civiques », la montée de l’abstention électorale ampute de son expression politique légitime, cette émergence de la société civile mise en avant par Didier Lapeyronnie.
Croissance des inégalités.
Le principe d’égalité est un pilier des sociétés démocratiques. La Déclaration des droits de 1789 proclamait «l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction de race ou de religion ». La Constitution de 1958 en France, confirme ce principe. Cet idéal d’origine s’est accompagné toutefois d’une progression des inégalités économiques, sociales et culturelle. Les inégalités traduisent des désavantages ou avantages relativement à une échelle de valeurs.
Depuis la première révolution industrielle, la croissance économique est devenue un but central pour l’ensemble du pays. Ils la considèrent comme un moyen indispensable au développement et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Cependant, la relation entre croissance et réduction des inégalités n’est pas automatique et il est nécessaire d’encadrer et d’orienter la croissance vers cette finalité. Il s’agit d’un objectif social et politique que la croissance doit permettre. Mais l’idéal égalitaire affiché par les sociétés démocratiques cache de nombreuses controverses.
Si la croissance est nécessaire à la réduction des inégalités, il n’est pas certain qu’elle y suffise, encore faut-il que l’ensemble de la population participe au partage des fruits de cette croissance.
Outre un accroissement de la consommation, la croissance permet une diversification des investissements, des productions et donc des consommations marchandes et non marchandes. Le cas de la France des Trente Glorieuses montre que la croissance peut favoriser la réduction des inégalités.
La production nationale par tête de population active peut augmenter à condition que cette croissance soit réelle (en volume), mais également que cette croissance soit supérieure à la croissance démographique.
Pour que la production par tête s’élève, il faut que le travail de chaque actif soit de plus en plus efficace, c’est à dire que sa productivité s’élève.
Pour Jean Fourastié la croissance, conduit à une augmentation de la richesse nationale, c’est à dire du niveau de vie global.
Pour que le niveau de vie de chacun se trouve élevé par une augmentation de la production, il est nécessaire que le surplus créé ne soit pas accaparé par une minorité et que la répartition permette à tous les individus de recevoir une part de la valeur ajouté.
La montée du niveau de consommation moyen de la population française à partir des années 1950 a réduit certaines inégalités mais elle a aussi généré de nouvelles inégalités face aux nouvelles exigences. Ainsi la croissance a aidé à réduire la pauvreté, mais en élevant le niveau de vie moyen, elle a aussi accru les situations de pauvreté relative des ménages à bas revenus dans une société de plus en plus riche.
Depuis les années 1980 la crise de l’emploi a provoqué une recrudescence des situations de pauvreté (relative et absolue) que révèlent les SDF, les chômeurs en fin de droit, d’où l’expression de nouvelle pauvreté » apparue à cette époque.
Les acteurs de la croissance sont :
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Les entrepreneurs qui investissent, innovent, embauchent
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Les ménages qui travaillent, investissent et consomment.
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L'État qui investit, aide et oriente l’offre, soutient la demande.
La croissance permet d’une part d’augmenter et de diversifier l’offre de biens e de services disponibles et d’autre part d’accroître les revenus distribués qui permettent de solvabiliser la demande. La hausse de la demande permet d’écouler l’offre supplémentaire. La relation circulaire entre l’offre et demande leur permet de s’alimenter mutuellement.
La répartition est déterminante, et différents partages sont essentiels, comme la répartition du revenu national entre consommation et épargne (investissement), mais aussi répartition du revenu disponible entre groupes sociaux.
La croissance pourra donc conduire à la réduction des inégalités si l’ensemble de la population est associé à la répartition du surplus des revenus, donc de biens et services.
Si la croissance engendre des changements de structures, elle ne réduit pas automatiquement les inégalités. Cette réalisation nécessite des choix économiques sociaux et politiques qui ne sont pas spontanés.
Le PNUD (programme des Nations Unis pour le Développement) précise «qu’on ne peut jamais se contenter d’attendre que la croissance finisse par arriver d’elle-même jusqu’aux pauvres. Le développement humain et la réduction de la pauvreté doivent donc être placés tout au début de l’agenda politique et économique ».
Au demeurant, face à la persistance et au regain des formes de pauvretés dans les pays développés, on peut relever que les priorités de développement humain prôné par le PUND ne concerne pas seulement le PED (Pays En voie de Développement).
Parmi ces recommandations on notait :
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L’équité : qui renvoie à la notion de justice. Elle est une recherche d’une égalité des chances débouchant concrètement sur la réduction des inégalités sociales. La justice sociale consistant, elle, en la recherche d’une plus grande équité dans la répartition des richesses.
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Des opportunités d’emplois : lorsque les individus se voient proposer un travail productif et bien rémunéré.
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L’accès aux moyens de production : accès aux terres, aux infrastructures physiques, aux crédits financiers.
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Les dépenses sociales : les pouvoirs publics peuvent favoriser le développement humain en canalisant des recettes publiques vers des dépenses sociales prioritaires.
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L’égalité des sexes : accroître les potentialités des femmes et leur donner la possibilité de maîtriser leur destinée.
Différentes possibilités de répartition des fruits de la croissance.
Pour Rostow, une fois que la société a atteint sa phase de «maturité », on peut se centrer sur la consommation et la satisfaction des besoins des populations car on a acquis un savoir-faire et un volume en matière de production permettant de ne plus donner priorité à l’offre.
Si la priorité donnée à la satisfaction des besoins des populations offre aux plus pauvres un accès aux consommations dont ils étaient privés et conduit à financer des investissements collectifs en matière de santé d’éducation, cela peut être réduire les inégalités.
Les pays anciennement industrialisés (Europe occidentale, USA, Japon) ont atteint ce stade de maturité. Si les années 1960 et 1970 ont vu les inégalités reculer, en revanche les années 1980 et1990 ont étaient marquées par un renouveau des inégalités.
D’après Jacques Attali et M. Guillaume, la répartition des revenus ne dépend pas essentiellement des mécanismes du marché mais des choix politiques qui organisent la société, notamment les opérations de redistribution ; les besoins ne sont pas exogènes mais structurés par l’organisation économique et sociale.
Pour les auteurs, la stratégie ultra libérale accentue les inégalités et engendre des situations de grande pauvreté et d’exclusion. La stratégie collective et égalitaire subordonne la croissance aux objectifs sociaux au risque de limiter les choix des individus voire leurs libertés.
L’alternative marché/État que représentent ces auteurs et qui correspondait notamment à l’opposition entre modèle occidental et soviétique semble à la fois dépassée et simplificatrice.
Le philosophe américain John Rawls a annoncé en 1971, dans son ouvrage «théorie de la justice », les principes indispensables à la constitution d’une société juste. Cet essai est considéré comme une critique de la perspective utilitariste qui consiste à définir comme juste toute société capable de maximiser la somme des satisfactions des désirs individuels. Mais il n’est pas le seul à avoir pensé l’idéal égalitaire et la justice sociale.
Dans toutes les sociétés existent des inégalités sociales. L’égalité des chances sinon des conditions est souvent considérée comme un but dans les sociétés modernes.
Les sociologues et les économistes n’ont pas un avis unanime sur ce que l’on nome égalité et sur l’importance de cet objectif.
De retour de voyage en Amérique il revient enthousiasmé par le nouveau régime institué outre Atlantique : la démocratie. Ce nouveau régime politique est dans la force de l’évolution des sociétés.
L’avenir passe par l’égalité des conditions combinée au développement de l’industrialisation.
Tocqueville n’est pas un idéaliste, les clivages et les différences sociales demeurent mais la possibilité d’évolution sociale ou de mobilité lui semble possible. De plus les rapports d’inégalités entre les individus, basés sur la domination, sont devenus contractuels et non obligés. Le serviteur accepte par l’exemple pour une durée définie, et moyennant compensations d’obéir au maître.
La démocratie est en effet à appréhender comme une société où la stratification est plus souple, plus ouverte. Les relations sociales y sont plus égalitaires. Les élites n’y sont plus figées et circulent, le positionnement social résulte davantage des compétences et mérite individuels, l’éloignement social entre les différents individus et groupes est réduit.
Tocqueville s’oppose à Marx puisque la société démocratique qu’il désire et qui naît, est une société sans classes. L’individu croit davantage au groupe qui est idéalisé comme étant à l’origine d’une plus grande liberté. Tocqueville tente de relativiser le modèle américain idéalisé en fondant ses réticences sur la tyrannie de la démocratie.
La religion pour Tocqueville doit jouer, dans l’épanouissement de la démocratie un rôle important, pour rapprocher d’un idéal mystique des individus qui par le progrès de l’industrie attachent trop souvent une importance démesurée à la vie matérielle.
Pour lui il n’y a pas de bonne économie sans vraie démocratie.
Il souligne les trois aspects qui sont :
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L’élection des dirigeants qui les oblige à tenir compte des besoins et de la volonté de leurs concitoyens.
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L’existence de parties d’opposition capables de dénoncer les actes des gouvernements et de proposer des alternatives.
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La liberté de la presse qui permet d’informer la population des choix gouvernementaux et de leurs effets.
Pour cet auteur l’être humain doit être mis au centre des choix, tant économiques que politiques, l’économie doit être un moyen au service de la dignité et des aspirations des peuples.
Comme Tocqueville Sen montre combien est important un cadre politique et social démocratique dans lequel l’économie doit s’inscrire pour mettre la croissance au service de l’égalité.
On peut dire que la recrudescence des inégalités en France manifeste une crise de la démocratie. La désaffection pour les partis politiques, la montée de l’abstentionnisme et des votes protestataires, la monté de l’extrême droite, sont autant d’éléments qui accréditent cette thèse.
Rawls a permis de mettre en place les fondements d’une réflexion sur l’antinomie possible entre justice sociale et efficacité économique.
Rawls estime qu’une société juste devrait permettre à chacun de ses membres de disposer des libertés fondamentales (liberté de pensée, d’expression…).
Il pose comme deuxième principe de n’accepter les inégalités économiques et sociales que si les conditions d’égalité des chances sont respectées (principes méritocratique). L’adoption d’une mesure démocratique peut enfin être qualifiée de juste, même si elle accroît les inégalités, dès l’instant où la situation de l’individu le plus mal loti s’en trouve améliorée.
L’inégalité peut alors trouver une forme de légitimité dans la mesure où elle développe des incitations qui vont pousser à une plus grande abondance de biens et d’innovations. La situation des plus démunis s’améliore de fait, relativement à une société plus égalitaire mais aussi plus stimulante. La situation d’incertitude sur le fait de devenir riche ou pauvre est appelée «le voile d’ignorance ». La question de la justice sociale se fait alors primordial pour chacun puisque le risque d‘être pauvre est supérieur à celui d’être riche. Les principes de justice qui seront alors décidés seront empreints de solidarité et e justice sociale.
Rawls pense aussi que l’existence d’un minimum social n’est compatible avec l’égalitarisme que s’il conduit à un état social efficient. Le «principe de différence » consiste à préférer l’égalité de revenus et de pouvoir sauf si des inégalités débouchent sur une augmentation générale des revenus et du pouvoir par l’amélioration de la productivité par exemple (qui n’aurait pas été possible en situation égalitaire).
La théorie de Rawls justifie la mise en place de «politiques de discrimination positive », appliquées à partir des années 1960 au USA sous le terme américain «d’affirmative action ».
Si pour Tocqueville l’idéal égalitaire est considéré comme la marque de la démocratie et de la modernité, pour Hayek il s’agit au contraire d’une illusion dangereuse si elle devient aveuglante.
Pour Hayek tous les individus n’ont pas un droit formel à recevoir la même part des fruits de la croissance puisqu’ils n’ont pas tous, contribué à l’égalité.
En suite il affirme que c’est la croissance qui permet de satisfaire les besoins de tous, y compris ceux dont les revenus sont insuffisants. Cela justifie pour Hayek, l’inégalité du partage car c’est elle qui motive les efforts différenciés des agents économiques dans le cadre du marché, lesquels ont généré la croissance.
Pour lui la réduction des inégalités est à la fois un leurre, car elle est inatteignable, et une erreur, car elle décourage les plus entreprenants et donc freine la croissance. Il considère donc que la politique économique et sociale doit tendre à ce que les mécanismes du marché (donc libre concurrence) fonctionnent le mieux possible afin de générer le plus de croissance possible. Même inégalitaire, la répartition des fruits de la croissance profitera à tous.
Il n’en reste pas moins que de nombreuses inégalités perdurent et se développent dans les sociétés modernes et démocratiques, la France n’étant pas épargnée par la montée de ce phénomène.
La présence et le développement de nombreuses inégalités dans la société Française, montrent que l’accroissement de la richesse n’est pas suffisant à leur disparition ; que celles-ci résultent d’accident de parcours d’effets pervers ou de choix de société ;
Les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes sont exemplaires, en ce sens qu’il ne semble pas que le maintien ou la réduction de ces inégalités soient directement liés aux aléas de la croissance.
Ces écarts correspondent à une spécialisation sexuelle des emplois. Les métiers «féminisés » sont souvent peu qualifiés, subordonnés et mal payé. Cette situation s’est trouvée aggravée par le fait que pour beaucoup de ménages, le salaire de l’épouse est ou était considéré comme un salaire d’appoint. Les hommes leur préfèrent des métiers plus qualifiés, plus élevés dans la hiérarchie. La réduction de l’écart s’est produite quand les femmes ont accédé plus largement à l’emploi et surtout aux diplômes.
Force est de constater que la revendication du principe «à travail égal, salaire égal » est encore présentée et manifeste la difficulté qu’il y a à passer du principe inscrit dans la loi à la réalité.
Le CSERC (conseil supérieur de l’emploi, des revenus et des coûts), a relevé des inégalités flagrantes selon les types de revenus.
L’inégalité entre les revenus du travail, dont la part baise, et les revenus du patrimoine, dont la part augmente, entraîne un écart croissant de niveau de vie entre groupes sociaux ; même si les relativement déboires des places financières internationales ont pu réduire les patrimoines de certains.
L’évolution des revenus et des prix a engendré une autre inégalité entre actifs et non actifs, notamment aux profits des retraités. Globalement, l’écart entre les ménages et les pus pauvres s’est accru.
Au-delà de la simple considération de justice sociale, ont peut penser que ces inégalités de revenus ont pu peser sur la demande globale en portant atteinte au niveau de la consommation de beaucoup de ménages, d’autant que les ménages aux revenus les plus faibles sont ceux qui ont la propension marginale à consommer la plus forte. Mais elles ont pu également peser sur la capacité d’épargne qui contribue à financer l’investissement. Tous ces éléments ont pu freiner les moteurs de la croissance.
La période des «Trente Glorieuses » a réduit les écarts des coefficients budgétaires alimentaires entre catégories sociales. Cependant avec l’augmentation des revenus et l’augmentation des biens et services nouveaux, le phénomène de consommation ostentatoire engendrent de nouvelles inégalités.
Des sociologues français comme Maurice Halbwach, et après lui Pierre Bourdieu mettent en évidence des inégalités qui résultent de la croissance. Ces inégalités entre groupes sociaux sont culturelles et primordiales, celles-ci structurent la société d’une façon bien plus durable et profonde que les disparités des revenus. Non seulement ces inégalités perdurent mais avec les évolutions de la société, de nouvelles inégalités apparaissent.
Dans son ouvrage «richesse du monde et pauvreté des nations », D. Cohen impute à la segmentation du marché du travail et aux nouvelles formes de flexibilité, le développement de ces «nouvelles inégalités », notamment entre diplômés et non diplômés, qualifiés et non qualifiés, travailleurs en emplois fixes et travailleurs précaires.
Pour Cohen, la croissance des pays riches repose sur une technologie avancée et des travailleurs très qualifiés dans un univers concurrentiel de plus en plus ouvert. La croissance engendre donc de nouvelles inégalités auxquelles les individus ne sont pas préparés et que nos sociétés ne savent pas bien gérer.
De fait la croissance crée d’autres fractures. Mais si la mondialisation se trouve accusée de nombreux maux, pour Cohen, la mondialisation est un révélateur de ces inégalités mais en aucun cas une cause ;à ce propos l’auteur parle de «fausse explication ».
Les inégalités ont eu globalement tendance à diminuer sur le long terme. La société de consommation qui apparaît concrètement en France dès les années 1950 illustre la généralisation d’une forme de consommation ou plus précisément une moyennisation de l’accès aux biens.
La forte croissance économique entraîne des améliorations des niveaux et des modes de vie. Le mode de régulation fordiste repose entre autres sur un fort consensus social. Le rapport salarial, particulier à la période des «Trente Glorieuses », stabilise et fait progresser la demande globale.
L’augmentation régulière du pouvoir d’achat consécutive aux accords négociés par les conventions collectives et les différents partenaires sociaux se chiffre en moyenne de 4% à 5%. La généralisation du salariat, la féminisation de l’activité professionnelle, la conjoncture économique favorable, les fondements solidaires de la société conduisent à une élévation du bien-être économique et social.
La satisfaction des besoins sociaux progresse dans la logique de la loi d’Engel (1821-1896) (plus le revenu augmente et plus le coefficient budgétaire du poste de dépenses de santé progresse). L’accès à la propriété semble également plus égalitaire et des ménages jusqu’alors écartés peuvent acquérir leur appartement.
L’émergence d’une norme de consommation tend à priori à réduire significativement les inégalités économiques et sociales.
Tout ceci semble confirmer la loi de Kuznetss. Cet économiste américain avait en effet en 1955 mis en évidence la réduction des inégalités de revenus consécutives au développement. Les inégalités augmentent de la fin du XIX ième siècle à la seconde guerre mondiale, elles diminuent ensuite, pour reprendre à la hausse à partir des années 1970. Ces évolutions sont représentées par la «courbe de Kuznetss » en U inversé.
Pourtant des poches de pauvreté demeurent et sont mises en évidence dans le début des années 1970.
La stratification sociale demeure rigide et les réelles mobilités sociales sont limitées, l’accès aux loisirs reste socialement très typé, la détention et la structure du patrimoine des ménages sont très disparates aussi, tous les emplois n’ont pas le même statut, les élites existent toujours !
Les inégalités existent toujours mais se sont déplacées et revêtent de nouvelles formes. La distribution des revenus est encore inégalitaire malgré la réduction de l’écart interdécilaire. Enfin la notion de fracture sociale évoque la réalité d’une société éclatée et de moins en moins solidaire.
Si les hommes naissent égaux en tant qu’individus d’une espèce qui s’est qualifiée d’humaine, chacun né avec une ou des différenciations qui vont assurer sa singularité lui permettant de s’adapter à son environnement. Pourtant nous savons qu’au fil du temps, cet humain que nous sommes, a évolué et il est donc susceptible de poursuivre son évolution. Dans son organisation il a développé des schémas qui l’ont conduit jusqu'à notre société actuelle avec son organisation économique qui génère ses inégalités. Tout ceci ne s’est pas fait sans violence, et se poursuit toujours dans ce cadre là.
Toutefois, nos sociétés deviennent de moins en moins violentes, du moins pour ce qui est de la criminalité violente. Il y a moins de crimes qu’il y a deux cents ans, et en Grande-Bretagne par exemple, les crimes étaient dix fois plus nombreux au Moyen-âge qu’aujourd’hui.
Ceci est dû principalement à l’avènement de l'État tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cet État d’essence démocratique, où priment la volonté générale et la recherche de l’intérêt général. Le tout est garanti par les règles d’un droit qui reconnaît l’égalité entre les hommes, excluant tout concept discriminatoire fondé sur des notions de races, de philosophies, de religions.
Cet État est le seul à posséder le monopole de la violence légitime, tel que le définit Max Weber. Monopole de la violence mis en œuvre par le pouvoir politique, au moyen de la force publique, pour faire respecter les règles de droit acceptées par la population qui respecte les décisions d’un pouvoir légitimé par l’élection au suffrage universel. Ce droit structure la société civile et évite, en prenant en charge le règlement des conflits individuels issus des rivalités mimétiques, une escalade de la violence engendrée par le principe de vengeance.
Cette transformation de la société dite civilisé, en rendant le crime moins courant, a rendu ce dernier de moins en moins tolérable. L’habitude d’un événement le banalise et le rend acceptable et accepté, par un phénomène d’accoutumance. A contrario, la rareté induit un sentiment d’anormalité de la chose, une espèce d’incongruité sociale. Le crime vient perturber directement l’ordre des choses, l’ordre social. Il provoque chez le citoyen qui a pris l’habitude de s’en remettre à la société, ou plus exactement au pouvoir politique, une impression de vulnérabilité.
On dira aujourd’hui un sentiment d’insécurité, ou d’impunité, relayé et amplifié par la caisse de résonance médiatique, et l’exploitation politique inévitable. Comme l’ont souligné Philippe Robert et Marie-lys Pottier, pour «l’insécure », le problème d’insécurité est un problème de société lorsque ses amis sont au pouvoir, et un problème politique lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ainsi monte dans l’opinion publique, un sentiment qu’Émile Durkheim qualifierait d’anomie, et donc une menace pour la société dans son ensemble. Devant une baisse du contrôle interne, les citoyens sont prêts à abandonner une part de leur liberté au nom de leur sécurité, en réclamant un plus grand contrôle social externe.
La demande des citoyens est alors l’exigence d’un accroissement des forces de l’ordre et de celui des systèmes punitifs, auxquels souscrivent hypocritement les politiques qui savent qu’une fois l’effet psychologique passé son impact dissuasif disparaîtra. Ils entraînent par couardise les citoyens dans une escalade répressive qui les poussera à demander des mesures d’eugénisme, comme Hitler voulait des chambres à gaz, car la délinquance n’est pas le produit d’un jeu de rôle mais la conséquence d’une désocialisation due en partie aux problèmes d’inégalités sociales non résolues. Tout comme les incivilités sont aussi la marque d’individus qui font état d’irrespect envers ceux qui les méprisent et les marginalisent, leur renvoyant à tort ou à raison ce qu’ils ressentent. Qui plus est, la crainte des citoyens qu’ils perçoivent, les renforce dans cette voie, en leur donnant le pouvoir de dominer ceux qui les méprises par une forme de terreur dont ils jouissent, et qui parfois ne connaît plus de limite.
Ce comportement est particulièrement communicatif chez les jeunes qui se côtoient dans les écoles aux âges où ils mettent à l’épreuve la permissivité des adultes et recherchent leurs propres limites. De ce fait, ils sont accessibles aux informations médiatiques qui leur fabriquent des habits d’adultes sur mesure par souci commercial, et qu’ils endossent par mimétisme. Si l’on y ajoute l’ostracisme et la xénophobie, tous ces éléments concourent au sentiment d’insécurité. Alors ensuite, ce que l’on réclame à la justice de l’État, ce n’est plus une justice «équitable », mais d’expurger le mal et de venger les victimes. On lui demande d’entreprendre une campagne de purification au bout de laquelle l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas grand monde de propre y compris ceux qui le demandaient.
Ce besoin d’inquisition s’est toujours manifesté dans toutes les sociétés, car il est sous-jacent du fait social qui semble toujours découvrir avec horreur les délits et crimes dont il est porteur dans l’unité de ses membres (les individus), et qui surgissent plus facilement suivant le type d’organisation que l’on se choisit, bien qu’il soit plus difficile à discerner dans les démocraties. Au moyen âge l’on exposait les délinquants et les criminels au pilori, et l’on brûlait sorcières et hérétiques. Aujourd’hui on les expose dans la presse populaire et autre, et les bûchers sont des fagots de mots qui remplacent le juge et le bourreau et font de l’opinion publique un «assassin » en liberté. Le plus souvent cela se fait au nom de la liberté de la presse qui ne cache que la jouissance du pouvoir qu’elle c’est octroyée grâce à l’angoisse et aux peurs qui paralysent la capacité de réflexion des individus, entretenues par la permanence d’une régression sociale qui se cherche des boucs émissaires. On ne peut tout à la fois demander qu’un individu soit mis à nu au nom de la vérité, qu’il soit donc fragile et vulnérable, et ensuite une fois qu’il est devenu faible, se jeter sur lui pour le «dévorer », et par-là se considérer comme des êtres civilisés.
On se trouve ainsi devant un autre phénomène de banalisation, celui du terme de sécurité. Devant le confort et l’abondance d’une très large majorité de la population des pays riches, le risque devient intolérable, et la notion de risque zéro fait recette.
Cette notion de sécurité absolue touche tous les secteurs de la société ; au principe républicain de la sécurité des personnes et des biens, viennent s’ajouter la sécurité dans le domaine de la santé, des transports, sécurité dans le domaine de l’énergie, sécurité alimentaire, etc. Tout doit être sécurisé, et il en va de la responsabilité politique.
Avec cette demande de la société, le politique a introduit un concept dans le but de s’exonérer de la responsabilité : le principe de précaution. Ce principe qui fait, par exemple, qu’au moindre signe de maladie de la vache folle, on abat tout le troupeau. Principe qui conduit les citoyens devant une catastrophe naturelle à faire à l’État le reproche de l’imprévision, mais qu’ils se retiennent de le dire conscients d’être sur le point de dire une énormité. Principe de précaution qui pousse à fermer des sites industriels, naturels, publics, simplement présumés dangereux.
A quand l’idée de nous empêcher de naître pour ne pas prendre le risque de mourir ? Pour l’instant il semblerait que nous transformons les réalités des périls de l’existence en phobie.
Il existe de nombreux exemples encore. Mais ce qui semble intéressant, c’est qu’au nom de la sécurité, ce principe de précaution, qui peut paraître comme une émanation d’un bon sens populaire, peut avoir des «effets retards » sur l’organisation et la gestion de la société, par sa généralisation et donc sa banalisation, au point qu’il menace de devenir un principe de gestion accepté de tous, car demandé par la majorité. En tant que principe général de gestion du risque, il sera alors applicable face à tout problème identifié comme susceptible de présenter un risque potentiel pour la société ; application faite au nom du peuple par la légitimité élective, et au nom de l’intérêt général.
Aujourd’hui, le principal problème des pays riches est de faire face à ce que l’on a désigné sous le vocable de violences urbaines et d’insécurité.
La répression ayant montré ses limites, certains se penchent sur la prévention du risque. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une prévention de type social, par la réduction des inégalités, la réduction de la misère etc., autant de facteurs qui sont connus depuis le XIX ième siècle comme criminogènes, grâce aux travaux de Le Play. Il s’agit d’une prévention fondée sur la prévision du risque de manière à l’étouffer si possible dans l’œuf
Les Nord-américains, dans leur légendaire souci d’efficacité, ont cherché à mettre en œuvre un processus d’évaluation des populations à risque. Ceci a été mis en place dans les prisons pour prévoir les risque de récidives. Cette méthode «scientiste », basée sur des tables actuarielles comportant plusieurs critères, est censée mettre fin à des décisions prises sur la base d’examens cliniques et suspectés d’arbitraire. Le décideur se trouve donc épaulé par le scientifique, qui par ce biais, rend sa décision quasi indiscutable et l’exonère de la responsabilité. De plus, la caution et le label des scientifiques rassurent un public toujours plus sécuritaire, répressif, et en quête perpétuelle de solutions miracles.
Ces études sont appliquées en milieu carcéral, notamment au Canada, mais pour beaucoup de personnes elles ont un défaut, celui de ne s’appliquer qu’a des personnes incarcérées, c’est à dire qui ont donc déjà commis un crime.
L’idéal se trouve alors, non pas dans le fait de savoir si l’on doit remettre en liberté un criminel ou pas, et ce de la manière la plus infaillible possible, mais d’éviter que ce criminel commette son forfait. Les scientifiques se sont donc lancés dans des études longitudinales portant sur trois générations de délinquants, pendant une quarantaine d’années. Ils en ont retiré un ensemble de données empiriques qui leur ont permis d’affiner le caractère culturellement transmissible de la délinquance.
Qu’est ce que signifie «culturellement transmissible ?
C’est le constat que dans la Nature il n’y a pas de notions de délinquance et encore moins de crime. Un animal qui va essayer d’avoir un morceau de la proie que son congénère a chassé, par exemple, n’est en rien un voleur, il essaye simplement de se nourrir dans les conditions du moindre effort (coût/avantage), plutôt que de se chercher une proie et l’abattre ; Mais surtout, il ne tuera pas son congénère pour l’obtenir.
L’humain, en accédant à la conscience, a défini petit à petit qu’un individu n’avait pas le droit d’aller prendre une part de la chasse d’autrui sans son autorisation, sans sa volonté de partager. Et il a convié l’autre à faire l’effort d’aller chasser.
Sauf que ceci exige qu’il y ait une quantité de nourriture disponible pour chaque chasseur. Or, dans notre organisation socio-économique, la «proie » est devenue la monnaie, et quand elle peut être abondante, nous la raréfions pour qu’elle soit désirée. Partant de là, les chasseurs se livrent à une concurrence, et ceux qui ne sont pas assez vaillants ou adroits, peu enclins à l’effort, attardés, malades, handicapés ou d’un tempérament génétique moins adapté à la compétition, seront écartés.
Ce n’est pas pour autant qu’ils n’auront pas faim, et de ce fait, leur instinct de préservation les poussera à rechercher des moyens pour s’approprier la « proie » d’autrui. Mais dans le même temps les autres chercherons des mesures pour les en dissuader.
Partant de là, chacun élèvera sa famille dans des conditions différentes plus ou moins difficiles qui se répercuteront sur leur progéniture. Quelques milliers d’années plus tard, pour réguler tout cela, l’humain a défini une notion de bien et de mal qui condamnait les actes de celui qui volait par exemple, mais aussi invitait l’autre à partager. Ceci sans résultat. De telle manière que ceux qui possédaient des « proies » ont établi une liste de délits et de crimes, ont construit des prisons pour ceux qui enviaient les proies dont ils estimaient être les propriétaires. Les mêmes prisons également pour ceux qui, conscients de ces inégalités, prônent des solutions de modification de ce scénario pour que l’on puisse nourrir ceux qui sont écartés par la concurrence ou en organisant pour eux des actions de solidarité sociales pour les nourrir et leur apprendre à chasser «des proies ». Et nous sommes dans ce schéma réducteur depuis des millénaires. Cette quête de la «proie » est structurée aujourd’hui par la division du travail et la mobilité, à partir desquels, des groupes vont se stratifier socialement. Ceux qui appartiendront aux groupes qui se trouvent «écarté ou plus faibles, moins méritants, et qui au grand désespoir des autres groupes ont faim et ne se décident pas à vivre les difficultés de leur existence, utiliseront les faiblesses des autres ou leurs points sensibles, pour s’approprier les biens qu’ils désirent, voire utiliseront leur faculté à se regrouper s’ils sont suffisamment nombreux, voire se laisseront aller. C’est dans ces groupes tenus à l’écart de la chasse à la « proie » que les structures organisatrices, discipline, obéissance perdront de leurs efficiences. C’est des difficultés inhérentes de ces groupes à vivre leur mise à l’écart que se développeront toutes les formes de transgressions, et ils les répercuteront sur ceux qui les partagent ou naissent dans leurs conditions. Et chacun peut comprendre que l’on peut leur apprendre à chasser, s’il n’y a pas de «proie » disponibles, ils chercheront toujours à aller prendre celles des autres qui s’en défendront.
C’est en cela que la délinquance est culturellement transmissible.
Et aujourd’hui la grande quantité de variété de biens et de services est si vaste qu’ils nourrissent des désirs insatiables de possession et de valorisation, alors que la chasse à la «proie » reste toujours limitée volontairement. Volontairement pour nourrir le désir d’en posséder, si bien que plus aucun groupe social n’échappe à la tentation de la transgression à divers pourcentage, même entre les dominants systémiques qui se communiques leurs combines pour échapper à la notion de bien et de mal que leur prédécesseur ont élaboré pour se protéger.
Toutefois l’affirmation du caractère culturel de la délinquance a permis d’élaborer une typologie en termes d’origine sociale, géographique, ethnique…et ainsi de définir des profils criminogènes. Mais la détermination du profil ne s’arrête pas là. D’après ces études, il est possible de prédire qu’un enfant entre deux et trois ans, selon son environnement et les observations psychosociales faites de son comportement à l’école, aura 75% de chances de devenir un «délinquant persistant grave », selon la terminologie employée. Il serait donc possible d’intervenir dès la maternelle, sur ces populations potentiellement dangereuses.
Un chercheur Canadien, M. Tremblay, va jusqu’à dire que l’on peut prédire l’avènement d’un futur délinquant, dès que certaines adolescentes sont enceintes. Ce même chercheur, voyage et propage sa théorie dans le monde entier avec la bonne foi la plus totale, et il est manifestement entendu dans tous les pays. D’ailleurs, en France, pendant la campagne électorale des présidentielles, le 25 mars 2002, sur la chaîne de télévision France 2, le candidat Lionel Jospin a parlé d’impliquer l’école dans le processus de sécurité, notamment en surveillant les comportements déviants et asociaux de certains enfants. A cela il faudrait ajouter les recherches qui sont faites sur les causes éventuellement génétiques de divers crimes.
Déterminer des populations d’enfants de deux à trois ans, voire de fœtus criminogènes, pourquoi pas. Mais pour quoi faire ? D’autant que ces méthodes ne sont vérifiées qu’à 75%, et qu’ainsi il y a 25% de «faux positifs ». Il y a donc le risque de se tromper pour un quart de la population déterminée, pour ne pas dire stigmatisée, mais ce risque n’est pas perçu comme dangereux par la population. La question que l’on peut se poser alors est : « Que faire de ces populations ainsi désignées ? Appliquer le fameux principe de précaution ? Comment ? Traitement préventif1 ? Mise à l’écart ? Éradication préventive ? »
Ce mode de contrôle et à la fois subtil et pernicieux. Il n’est pas appliqué par les institutions d’ordre, comme la police. Non. Il est administré par des scientifiques, des universitaires, indiscutables aux yeux d’une opinion publique qui ne cherche qu’à se rassurer avec ce genre de certitudes, et qui est prête à laisser le champ libre à ceux qui promettent de supprimer leurs angoisses et leurs peurs.
L’analyse de ces scientifiques devrait plutôt inciter les politiques à prendre des mesures économiques visant à la résorption des inégalités sociales qui sont à l’origine de la délinquance, en parallèle avec les mesures coercitives indispensables pour ceux qui sont réfractaires à ce type de traitement.
Au lieu de cela ils organisent dès l’enfance un système inquisitorial, pour satisfaire d’une part leur stratégie d’acteur, cacher leurs échecs successifs depuis plus de vingt ans dans un choix politique dont ils connaissaient les conséquences. De telle manière que les citoyens sont à la fois, victimes, complices, dupes et dupés, et leur absence de vue globale stigmatisée par le local et l’individualisme leur enlève toute vision événementielle.
Nous sommes là dans un schéma de déjà vu. Pourtant, le reconnaître n’est pas chose aisée. Compte tenu des moyens technologiques dont nous disposons dans le domaine de la génétique, la tentation va être grande de recourir à l’Eugénisme. Le terme d’eugénisme a été employé pour la première fois par le physiologiste britannique Francis Galton (1822-1911). Il le définissait comme l’étude des facteurs socialement contrôlables qui peuvent élever ou abaisser les qualités raciales des générations futures, aussi bien physiquement que mentalement. Galton ne disposait pas alors des connaissances qui sont les nôtres aujourd’hui sur la génétique, et s’appuyait sur des connaissances biologiques suffisamment précises. Le fruit de ses travaux trouva leurs applications légales et réglementaires qui relevaient du scandale pur et simple en imposant, au nom d’une fausse science des mesures radicales de castrations et de stérilisations à des êtres sans défenses. C’est dans ce cadre que les travaux de monsieur Tremblay par exemple pourraient faire l’objet d’une manipulation proche ou identique. Ces dans ce cadre que ces pratiques servirent de référence aux idéologies racistes, dans la voie des travaux de Linné (1707-1778) et de Buffon (1707-1788), poursuivie par Gobineau (1816-1882). A la fin du XIX ième siècle, l’Europe cultivée est convaincue que le genre Humain se partage en races inférieures et en races supérieures. C’est surtout en Allemagne que ces idées, conjuguées aux conceptions du monde de Vacher de Lapouge et H. S. Chamberlain, vont jeter les bases de l’aryanisme historique. Dans l’Allemagne de Guillaume II ces idées étaient très largement vulgarisées dans la population. Et naturellement lorsque Hitler traduira le Mythe en réalité, il ne trouvera que très peu d’opposants2.
Ainsi, quelques théories qui se voulaient scientifiques, sans avoir fait la preuve quelles étaient réfutables, ont conduit tout doucement au plus grand drame de l’histoire Européenne, car, tout aussi naturellement, des parties de populations d’autres États partageaient ces conceptions. Nous ne sommes jamais à l’abri de rouvrir des camps de déportations, de concentrations, pour aller vers un génocide «labellisé » par la science, pour cacher à notre miroir personnel tous les crimes que nous nous sentons capables de commettre.
Sauf qu’aujourd’hui les camps ont changé de nom et les moyens dont nous disposons ne brûleront que les cerveaux sans laisser de traces extérieures, modifierons des caractères génétiques pour coller à une civilisation devenue narcissique et paranoïaque. De telle sorte que pour apporter une solution à l’accroissement de la violence et de la délinquance, nous ferons le même chemin, en attendant qu’un personnage, pour ne pas dire un nouvel Hitler, transforme le mythe de la notion de risque Zéro en réalité.
En cela nous n’avons pas innové. A cet égard, la civilisation occidentale est l’héritière de Sparte. Déjà les grecs de cette cité ne permettaient pas aux nouveaux-nés de survivre s’ils ne satisfaisaient pas aux canons fixés par une commission d’eugénique. Heureusement, notre civilisation s’est inspirée de celle de la Rome antique qui n’a jamais pris de mesure semblable.
Dans tous les pays se pose le problème, et l’on sait que hormis un noyau dur de délinquants professionnels, les populations concernées répondent toutes aux même critères : Pauvreté, illettrisme, familles éclatées, chômage… et que pour une bonne part, ces populations qui cumulent des handicaps, sont des immigrés ou issus de minorités ethniques. Toutefois, si le problème est le même dans tous les pays riches, les immigrés et les minorités ethniques ne sont pas les mêmes partout. Il conviendrait sans doute de se poser la question devant cette variable concomitante, à moins qu’un scientifique nous explique que l’appartenance à une minorité ou le fait d’immigrer, déclenche le gène de la délinquance.
Devant cette «preuve scientifique », comment s’étonner qu’apparaissent certains discours radicaux, et qu’émergent un peu partout des parties extrémistes qui cachent à peine leurs velléités eugéniques. Ceci permet d’extrapoler le raisonnement au niveau mondial, quand se présentent des événements comme ceux du 11 septembre 2001 à New York. Comment s’étonner d’entendre des discours comme ceux de S. Berlusconi à propos de la supériorité de la civilisation chrétienne occidentale sur la civilisation musulmane ? Comment s’étonner d’entendre G. W. Bush parler du combat du bien contre le mal ? Comment éviter les amalgames et les discours réducteurs dangereux basés sur les syllogismes ? «BenLaden est un arabe. BenLaden est un terroriste. Donc les Arabes sont des terroristes.
Même raisonnement pour la délinquance, avec les noirs aux États-Unis, les Inuits au Canada, les Arabes en France, etc. Autant de raisonnements qui viennent conforter les peurs des autochtones, et souder leur groupe autour du sentiment qu’il faut agir devant un péril imminent. Cette action ne peut se faire qu’en abandonnant un peu plus de liberté pour de la sécurité, laquelle est moins assurée que la perte réelle de liberté.
Mais l’essentiel réside souvent dan