Capitalisme, Fascisation et pour une voie de sortie.
Publié le 28 Septembre 2025
Capitalisme, Fascisation et Référence universelle du Joule pour une voie de sortie.
Depuis la fin des années 1980, notre société s’est engagée dans une trajectoire où la judiciarisation
et la policiarisation sont devenues des réponses structurelles à la perte de contrôle social
engendrée par le capitalisme dérégulé.
En 1999, j’ai formulé l’idée que ce glissement ouvrait mécaniquement la porte à la fascisation, comprise comme une mutation culturelle et politique plus large que le seul nazisme, dont elle n’est qu’une déclinaison historique.
Ce glissement structurel n’est pas neutre : il a ouvert une voie vers la fascisation, entendue non comme un régime immédiatement dictatorial, mais comme un processus diffus qui s’installe par petites touches. À chaque fait divers, à chaque crise, les citoyens en appellent davantage à la justice et à la police, renforçant la logique de contrôle, plutôt que celle de l’émancipation qui renforce le contrôle interne.
C’est le symptôme le plus évident d’une société fragilisée par l’emprise du capitalisme financier et par l’absence d’une vision politique alternative.
L’histoire nous montre que ce processus n’est pas nouveau.
L’eugénisme pratiqué en Europe et aux États-Unis avant la Seconde Guerre mondiale, ou les sélections sociales et territoriales opérées par les empires coloniaux, rappellent que les dérives fascisantes peuvent précéder et préparer les totalitarismes. Hitler n’a pas inventé la logique d’élimination : il l’a seulement industrialisée, dans un contexte où l’Europe pratiquait déjà l’exclusion, la stérilisation forcée et les déplacements de populations.
La Shoah apparaît alors comme l’aboutissement monstrueux d’une logique ancienne : la gestion des "indésirables" par l’élimination. Mais réduire cette dérive au seul nazisme serait se voiler la face. Comme l’a montré Calhoun dans ses expériences sur la surconcentration urbaine, toute société humaine qui accumule des tensions, des inégalités et des frustrations développe de nouveaux paradigmes sociaux où le dominant s’impose par la contrainte.
Même en démocratie, cette dynamique se retrouve : l’instinct de domination, hérité de nos origines animales, se recompose dans des systèmes culturels et politiques.
Le fascisme n’est donc pas une anomalie : il est une récurrence, une réponse dévoyée à la peur de l’étranger, à la rareté perçue, et à la compétition pour le territoire ou la ressource.
Nous ne pouvons plus espérer revenir à un modèle tribal ou endémique, où les conflits pouvaient se résoudre par la médiation des sages.
Le développement démographique, l’interdépendance des économies et l’accélération des communications nous placent dans un monde où l’isolement n’est plus possible.
Le nationalisme fermé, qui rejette la mondialisation, ne peut pas constituer une solution durable sans engendrer d’autres conflits.
Les nations modernes sont les héritières de contextes historiques où la circulation humaine était limitée ; aujourd’hui, les échanges massifs, physiques et numériques, imposent une mondialisation de fait.
Reste à savoir quelle forme politique et économique elle prendra. Or, l’organisation capitaliste actuelle du marché mondial entretient ce paradoxe : elle impose une mondialisation des flux financiers et commerciaux, mais nourrit un rejet de la mondialisation politique et culturelle.
L’histoire, l’anthropologie et l’économie convergent pour montrer que cette dynamique n’est pas exceptionnelle mais récurrente.
Le fascisme, au sens large, apparaît chaque fois qu’une société saturée par ses contradictions ne parvient plus à maintenir un équilibre entre besoins primaires, organisation économique et cohésion culturelle. La peur de l’étranger, la désignation de boucs émissaires, la recherche d’un chef charismatique et la mise en place d’appareils policiers disproportionnés constituent les symptômes visibles de cette dynamique.
Or, cette dynamique n’est pas propre à l’Europe du XXe siècle. Elle traverse toute l’histoire
humaine. Dans les cités grecques, à Sparte, l’eugénisme était institutionnalisé. Dans les sociétés
coloniales, l’exclusion raciale et la hiérarchisation des populations étaient systématiques. L’histoire
des Amériques est marquée par des déplacements forcés et des exterminations.
Le nazisme n’a fait que pousser à l’extrême une logique déjà présente dans la culture européenne, en l’industrialisant.
L’anthropologie nous éclaire
Dans des sociétés tribales à faible densité humaine, les conflits étaient régulés par des mécanismes symboliques et sociaux. Ainsi, chez les Massaï, lorsqu’un meurtre survient, les anciens ne se contentent pas de punir : ils recherchent ce qui a « armé le bras » de l’assassin. La régulation est collective, et la peur de l’autre ne se transforme pas en système politique. Mais dès que la densité humaine augmente, comme l’ont montré les expériences de John Calhoun sur la « surpopulation », les instincts primitifs se déforment, les hiérarchies se rigidifient et apparaissent des structures de domination qui tendent vers des formes proto-fascistes.
Aujourd’hui, l’impossibilité de revenir à un modèle tribal est une évidence. L’interdépendance des
économies et la mondialisation des échanges imposent un cadre où le nationalisme fermé ne peut
plus constituer une solution globale.
Les nations se sont construites à une époque où la circulation des hommes était faible, où seuls quelques marchands ou colonisateurs franchissaient les frontières. Désormais, la communication instantanée et les flux humains massifs exigent une mondialisation assumée, mais respectueuse des histoires et des identités locales.
C’est ici qu’intervient la question de la monnaie et du capital.
L’organisation capitaliste actuelle repose sur une rareté artificielle de la monnaie, présentée comme une valeur autonome. Ce choix enferme nos sociétés dans des cycles de crise, chaque fois résolus non par la satisfaction des besoins mais par l’exclusion, la répression et la désignation de responsables imaginaires. Nous en voyons les effets : montée de l’extrême droite en Europe, radicalisation de l’opinion publique sur les thèmes sécuritaires et migratoires, et incapacité des élites politiques à penser en dehors du paradigme du marché.
Les élites économiques, regroupées autour du patronat organisé (comme le MEDEF en France), promeuvent un "ordre de vie" centré sur l’entreprise, où les marchés dominent les États et où la société se définit par sa capacité à produire et à consommer. En réalité, il s’agit d’un nouveau paradigme systémique, où l’entreprise remplace l’ancien chef tribal ou le roi, en tant que structure de domination. C’est ce que j’ai formulé dès la fin du XXe siècle : notre civilisation court le risque de substituer à l’ordre politique démocratique un ordre économique totalisant.
Pourtant, une autre voie existe.
J’ai formulé la proposition d’une référence monétaire universelle fondée non sur la rareté artificielle mais sur l’énergie humaine et mécanique mobilisée : le joule. En reliant la création monétaire à la productivité réelle – qu’elle soit issue du travail humain, de la machine ou du savoir – il devient possible de libérer des fonds pour satisfaire les besoins primaires de l’humanité sans dépendre de l’argent accumulé par les riches. Cette conversion du travail-machine en monnaie pure permettrait de dégager des ressources pour répondre aux défis globaux : alimentation, logement, santé, éducation, lutte contre le réchauffement climatique.
Sans cela, nous courons vers une répétition historique : les cycles de crise du capitalisme, en
Chine, en Inde ou en Russie, reproduiront les mêmes tensions que celles vécues en Europe au
XXe siècle. Nous n’y voyons rien car nous restons enfermés dans l’immédiateté, obsédés par
l’argent plutôt que par la monnaie comme outil d’échange. Nous préférons laisser se développer
des crises plutôt que de libérer de la monnaie pour répondre aux besoins essentiels. Ce paradoxe
nourrit la tentation fasciste : quand la société ne sait plus répondre aux besoins vitaux, elle se replie
sur l’ordre, la police et le rejet de l’autre.
L’enjeu est donc anthropologique, économique et politique.
Anthropologique, car il s’agit de dépasser nos instincts archaïques pour inventer des formes nouvelles de coopération.
Économique, car seule une refondation de la monnaie peut rompre avec la rareté artificielle qui
alimente les crises.
Politique, enfin, car la démocratie adolescente que nous pratiquons doit devenir adulte, c’est-à-dire capable de penser l’humanité comme un tout interdépendant.
La conclusion s’impose :
Si nous ne voulons pas que l’histoire se répète sous une forme moderne de fascisme, dépourvue de moustache mais tout aussi brutale, il nous faut libérer la monnaie, rémunérer le savoir, et inscrire notre avenir dans une référence universelle, le joule. Alors seulement la mondialisation cessera d’être perçue comme une menace pour devenir un projet partagé, pluraliste et humain.
Pour sortir de cette impasse, il faut réinventer une référence commune. Je propose depuis longtemps l’idée du Joule comme monnaie universelle d’échange. En liant la valeur des biens et services à l’énergie humaine et mécanique nécessaire à leur production, on redonnerait à la monnaie une fonction rationnelle et égalitaire.
Le Joule permettrait de dépasser l’illusion de la rareté artificielle imposée par la finance, en reconnectant l’économie aux réalités physiques et sociales.
Libérer de la monnaie pour répondre aux besoins essentiels – alimentation, santé, éducation, logement – serait la meilleure prévention contre les crises qui nourrissent les fascisations, contre l’immigration.
L’avenir ne pourra pas être une simple addition de nationalismes. Il doit être pluraliste, respectueux des histoires ancestrales, mais ouvert à un cadre global.
La mondialisation est inévitable, mais elle ne doit pas être celle du marché seul. Elle doit être celle d’une humanité consciente de son interdépendance, capable de reconnaître ses instincts de domination et de les dépasser par la culture, l’éducation et le savoir.
L’enjeu est clair : si nous continuons à courber notre regard sur l’immédiateté de l’argent, en laissant se développer des crises pour maintenir une valeur rare, nous répéterons les cycles destructeurs du capitalisme. Si nous choisissons au contraire de libérer une monnaie d’échange universelle, tournée vers la satisfaction des besoins primaires et le développement du savoir, nous pourrons éviter que la peur, la xénophobie et la policiarisation ne nous entraînent vers une nouvelle forme de fascisme.
La véritable alternative au fascisme
Elle n’est pas seulement politique : elle est monétaire, énergétique et cognitive.
Elle consiste à donner aux peuples les moyens de leur autonomie, plutôt qu’aux marchés le droit de décider de leur destin. Sans cela, l’humanité continuera de vivre à crédit, et le prix de ce crédit sera toujours payé par les plus faibles.
Nous sommes à la croisée des chemins. L’humanité dispose des moyens technologiques et des connaissances pour inventer une mondialisation humanisée et celui de la détruire. Mais il faut un choix politique, un sursaut collectif. Sinon, le fascisme moderne – sans uniforme, sans moustache, mais avec les mêmes mécanismes d’exclusion – s’imposera comme la réponse par défaut. Le Joule, en tant que monnaie d’échange universelle, est une piste pour ouvrir une autre voie, celle d’une société pluraliste et civilisée, capable de se penser adulte à l’échelle du temps géologique