De Malthus à la Shoah : faut-il choisir entre limiter la vie ou la libérer ?

Publié le 27 Septembre 2025

 


Intro : quand l’homme veut corriger la nature
Malthus, père de la rareté organisée
En 1798, Malthus pose son diagnostic : la population croît de façon exponentielle, les ressources seulement de façon arithmétique. Résultat : famine, misère, guerre. Sa solution ? Restreindre la natalité, prôner l’abstinence, limiter les aides aux pauvres.
En chiffres :
    • 1800 : environ 187 millions d’Européens.
    • 1900 : 400 millions.
La productivité agricole progresse, mais Malthus avait ouvert une brèche idéologique : l’homme devient un coût, la naissance un danger, le pauvre un poids.
    • La crainte de Malthus est réelle : la croissance démographique est rapide et les famines fréquentes.
    • Mais sa « solution » est idéologique : il oppose les « classes laborieuses » fécondes aux classes riches capables de tempérance. Le problème n’est pas la production, mais la répartition.
    • Déjà, se profile une logique : la pauvreté devient une faute, la natalité des pauvres une menace.
Cette logique ressurgira sans cesse :
    • Dans les colonies, où l’on considère certaines populations « surnuméraires » et indisciplinées.
    • Dans l’Europe industrielle, où les crises sociales sont lues comme la conséquence d’une « surpopulation ouvrière ».
Cette rationalité, que l’on peut qualifier de comptable, inspire directement les politiques eugénistes au XXᵉ siècle.
Thomas Malthus dans son Essai sur le principe de population en 1798 y défend l’idée que la croissance démographique dépasse toujours la croissance des ressources, et que seule l’« abstinence morale » peut réguler la population. Derrière l’élégance mathématique, c’est une révolution : la vie humaine devient une variable comptable. Déjà, on parle de « bouches inutiles ».
Cette logique n’a jamais disparu. On la retrouve, deux siècles plus tard, dans les propos d’un bénédictin affirmant que « Dieu a mal fait sa création » en permettant aux enfants d’enfanter. Derrière la formule, c’est la même prétention : croire que l’homme peut, par ses calculs ou sa morale, contrôler la vie.
Or l’histoire nous montre ce qu’il advient quand la rareté est gérée par le calcul froid : on sélectionne, on élimine, on hiérarchise.
L’eugénisme avant Hitler : une longue histoire de sélection, à partir de l’eugénisme scientifique jusqu’à l’industrialisation nazie 
L’idée que l’humanité doit « se purifier » ou « se rationaliser » ne naît pas dans les années 1930.
Antiquité :
À Sparte, les nouveau-nés jugés faibles étaient éliminés.
Rome connaissait l’exposition des nourrissons, pratique consistant à abandonner les « bouches de trop ».
Époque moderne :
Au XIXᵉ siècle, l’anthropologie raciale s’impose : Gobineau, Vacher de Lapouge, Chamberlain théorisent la hiérarchie des races.
En 1859, Darwin publie L’origine des espèces. Ses idées sont récupérées en « darwinisme social » : les plus faibles doivent disparaître.
Le XXᵉ siècle avant Hitler :
États-Unis : 
dès 1907, l’Indiana adopte des lois de stérilisation. En 1950, 30 États ont des programmes eugénistes. Plus de 60 000 Américains seront stérilisés.
Europe :
Danemark (1929), Norvège (1934), Suède (1935), Suisse (1928) : lois de stérilisation.
En Allemagne, avant même Hitler, les élites médicales et politiques débattent de la « vie indigne d’être vécue ».
Ainsi, quand le nazisme arrive, l’idée est déjà normalisée. Hitler ne crée pas l’eugénisme : il l’industrialise.
Hitler. Solution finale : l’industrialisation de la mort.
Dès 1933, loi sur la stérilisation forcée des « malades héréditaires » : en dix ans, 400 000 personnes sont stérilisées.
Programme Aktion T4 : euthanasie des malades mentaux, 70 000 morts avant 1941.
À partir de 1942, la « Solution finale » applique la même logique à une échelle inédite : extermination systématique des Juifs, Roms, opposants.
Ce qui est nouveau :
L’industrialisation (camps, chambres à gaz, logistique ferroviaire).
L’idéologie pseudo-scientifique pour justifier.
La mobilisation d’un État moderne entier pour rationaliser le meurtre.
Ce qui change
c’est l’échelle : une idéologie pseudo-scientifique mise au service d’un État moderne capable de rationaliser la sélection, l’exclusion et l’extermination.
Aujourd’hui : un retour du malthusianisme sous d’autres formes
Nous ne parlons plus de « races », mais la logique reste la même : gérer la rareté par l’exclusion.
Nous ne construisons plus de camps, mais la logique de Malthus revient par d’autres chemins :
Discours sur la dette et la décroissance punitive
La dette publique
En France, elle dépasse 3 400 milliards d’euros.
Les discours politiques martèlent qu’il faut « réduire la dette » – c’est-à-dire réduire les dépenses sociales, donc les vies protégées.
En clair : au nom de la comptabilité, on détruit des vies.
On nous dit : « La planète ne peut pas nourrir tout le monde. »
Pourtant, la FAO rappelle que nous produisons de quoi nourrir 12 milliards d’humains. Le problème n’est pas la production, mais la répartition.
Politiques migratoires
L’obsession de l’« invasion » masque une réalité : les immigrés représentent 10 % de la population active en France, et contribuent positivement aux retraites et à l’économie.
Mais le discours construit un ennemi intérieur, exactement comme jadis le Juif ou l’« asocial 
Sélection sociale par la pauvreté
En France, 14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Le non-accès aux soins, aux études, au logement, devient une forme de « sélection » implicite.
Le climat
Au lieu de financer massivement la transition (banque verte, écomonnaie), on parle de « sobriété » imposée.
La décroissance punitive revient au vieux discours de Malthus : « il n’y a pas assez pour tout le monde, donc certains doivent se serrer la ceinture ». Ceci n’a rien de commun avec la décroissance qui réclame un changement de consommation.
L’immigration
Présentée comme une « invasion », alors qu’elle représente moins de 10 % de la population active.
Stigmatisée comme cause de l’insécurité et du chômage, alors que les chiffres officiels (Insee, Observatoire société) montrent une criminalité stable et une contribution économique positive.
Le rôle du travail machine : la vraie richesse cachée
Depuis 1850, le PIB mondial a été multiplié par environ 200.
Ce n’est pas dû au nombre d’humains, mais à la productivité machine et au savoir accumulé.
Exemple : un salarié produit aujourd’hui en une heure ce qu’il fallait un mois entier pour réaliser au XIXᵉ siècle.
Cette différence représente une création de valeur immense, mais qui n’a pas été traduite en monnaie disponible pour les citoyens.
Elle est captée par les capitalistes, ou par l’État via l’impôt, mais jamais distribuée comme revenu de civilisation.
C’est là l’angle mort du capitalisme : il prétend que seule la richesse privée (capital, profits) peut financer l’avenir. Or la véritable richesse vient de la machine, donc de l’humanité entière.
D’où ma proposition : convertir la productivité machine en monnaie pure, indexée sur les joules de travail économisés. Une monnaie qui n’appartiendrait pas aux riches, mais à tous.
Le risque du capitalisme sans régulation : le fascisme rampant
Quand les richesses existent mais sont accaparées par une minorité :
Les inégalités explosent.
Les classes moyennes se sentent décliner.
Les pauvres servent de boucs émissaires.
C’est le scénario des années 1930 : crise économique + austérité = montée des extrêmes.

C’est aussi celui d’aujourd’hui :
Médias concentrés qui nourrissent le discours de peur (immigration, insécurité).
Bloc bourgeois qui gouverne par ordonnances, comme Brüning en Allemagne.
« Extrême centre » (Macron) qui refuse toute alliance à gauche et ouvre la voie à l’extrême droite.
Résultat : une structuration politique fascisante en France et en Europe, mais sous des habits démocratiques.
Pas de moustache, pas d’uniforme brun, mais une idéologie d’exclusion, une judiciarisation et une policiarisation croissante, et des discours où « la sécurité » justifie tout.
La bifurcation possible : choisir l’émancipation plutôt que la rareté
Deux chemins s’offrent à nous :
Celui de la rareté (héritier de Malthus) : 
dette, austérité, décroissance punitive, exclusion des immigrés, culpabilisation écologique. Ce chemin mènera, comme dans les années 1930, à un fascisme moderne, légitimé par les urnes. Cela sans que les citoyens en aient conscience. Gérer la rareté par l’élimination, la sélection, l’exclusion. C’est le chemin des nantis qui veulent protéger leurs privilèges. Il a conduit à la Shoah, et prépare celle à venir que nous ne reconnaîtrons pas.
Celui de l’émancipation :
Reconnaître la productivité machine comme une richesse collective.reconnaître la valeur de la connaissance et du partage : produire autrement, répartir équitablement, investir dans l’éducation et la recherche.
Créer une monnaie pure adossée à l’énergie économisée par les machines et au savoir accumulé.
Distribuer cette monnaie sous forme de revenu universel d’activité, permettant de financer la transition écologique et de libérer l’humain du travail forcé.
Aujourd’hui, la question reste la même :
allons-nous répéter ce chemin en version moderne – dette, climat, immigration – ou choisir d’inventer un avenir où la vie n’a pas besoin d’être comptée pour être protégée ?
L’alternative : l’auto-régulation par le bien-être
Une donnée fondamentale ressort des études démographiques :
Plus une population vit dans le bien-être, moins elle a d’enfants.
Les pays riches ont un taux de fécondité inférieur à 2 enfants par femme (sous le seuil de renouvellement).
Les femmes instruites, autonomes économiquement, choisissent d’avoir moins d’enfants.
Autrement dit : la joie de vivre régule mieux que la peur.
Conclusion : Hitler sans moustache
Hitler n’était pas un monstre isolé : il était le produit d’une logique partagée par son époque. Hitler n’était pas une exception monstrueuse, mais le révélateur extrême d’une logique partagée par beaucoup de sociétés : gérer la vie comme une variable comptable.
Aujourd’hui, nous risquons de répéter l’histoire : un capitalisme en crise, un bloc bourgeois accroché à son pouvoir, un discours de peur et d’exclusion, une extrême droite normalisée.
Mais le danger est plus insidieux : il ne portera pas de moustache, il parlera le langage de la démocratie et de la rationalité économique. C’est ce fascisme « à visage humain » qui nous guette.
La seule alternative est de changer de référentiel : ne plus fonder la société sur la rareté organisée par les riches, mais sur l’abondance produite par la machine et le savoir.
Ce qui change, c’est l’échelle : une idéologie pseudo-scientifique mise au service d’un État moderne capable de rationaliser la sélection, l’exclusion et l’extermination.
Les cycles du capitalisme et leurs répliques mondiales
Chaque étape du capitalisme a produit son lot de crises :
XIXᵉ siècle : crises de surproduction et famines → recours à l’austérité et au colonialisme.
1930 : krach et chômage de masse → fascismes et guerres.
1970 : choc pétrolier et fin du plan → libéralisme financier, dette et mondialisation sauvage.
2008 : crise financière mondiale → austérité européenne, précarisation sociale.
Ces cycles se reproduisent aujourd’hui :
La Chine, entrée de plain-pied dans le capitalisme industriel, connaît déjà une bulle immobilière et une suraccumulation de capitaux improductifs.
L’Inde fait face à une urbanisation explosive, sans infrastructures suffisantes.
La Russie, reconvertie dans le capitalisme oligarchique après l’effondrement soviétique, voit son économie soumise aux chocs extérieurs.
Tous trois seront tôt ou tard confrontés aux mêmes contradictions que l’Occident : rareté organisée, accumulation inégalitaire, crises sociales et politiques. Or nous pourrions espérer qu’ayant connu les affres du communisme, ils puissent prétendre à autre chose que de tomber dans ceux du capitalisme.

Argent rare vs monnaie d’échange : le piège cognitif
Dans tous les pays du monde, les besoins essentiels existent :
accès à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation, aux soins,
transition énergétique, infrastructures, logement.
La seule chose qui manque, c’est la monnaie en circulation pour les satisfaire.
Or, au lieu de libérer de la monnaie pour répondre à ces besoins, les États préfèrent « gérer la rareté » au profit des marchés financiers.
C’est le paradoxe :
on restreint la monnaie comme si elle était une ressource naturelle rare,
alors qu’elle n’est qu’un instrument d’échange que l’on pourrait émettre en proportion des richesses réelles disponibles (machines, savoirs, forces humaines).
Le verrouillage des cerveaux : instruction indigente et instincts archaïques
Pourquoi cette évidence échappe-t-elle aux responsables politiques ?
Parce que notre formation intellectuelle est bloquée :
on apprend aux citoyens à compter l’argent, pas à penser la monnaie ;
à obéir aux instincts immédiats (sécurité, propriété, survie), pas à construire une éthique collective.
Monod le disait déjà : l’homme est condamné à choisir entre obéir à ses instincts biologiques – donc rester prisonnier de la rareté et de la violence – ou inventer une société humanisée en dépassant ces instincts par le savoir et la culture.
Or, depuis 40 ans, nos systèmes éducatifs ont cessé de former à la réflexion critique, pour se concentrer sur l’adaptation immédiate au marché. Résultat : nos cerveaux collectifs sont incapables de penser la monnaie comme outil de civilisation.
Le risque et l’alternative
Si rien ne change :
le capitalisme continuera à organiser la rareté,
les crises se répéteront,
et le fascisme, sous ses habits modernes, s’installera comme solution autoritaire pour gérer les frustrations.
L’alternative est claire :
Créer une monnaie pure adossée à la productivité machine et au savoir,
Libérer la circulation monétaire pour répondre aux besoins essentiels,
Éduquer les citoyens à penser au-delà de l’immédiat, pour construire une humanité adulte, consciente et solidaire.
« Nous confondons l’argent des riches avec la monnaie d’échange. Et tant que nous resterons prisonniers de ce leurre, nous répéterons les mêmes cycles de crise, jusqu’à fabriquer un fascisme moderne qui ne porte pas de moustache. »

 

Rédigé par ddacoudre

Publié dans #critique

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A
"Plus une population vit dans le bien-être, moins elle a d’enfants."<br /> J'ajouterai "plus il y aura de bruxellisation des villes plus il y aura de bien-être";<br /> La « bruxellisation par l'émigration » n'est pas un terme courant, mais peut se référer à deux phénomènes : la diversification démographique de Bruxelles due à l'immigration internationale et les part des Bruxellois et des Européens qui émigrent de Belgique. Bruxelles est un lieu d'arrivée majeur pour les étrangers et, simultanément, des Belges et des Européens émigrent à l'étranger, participant ainsi à des flux migratoires globaux où le solde migratoire reste positif pour le pays. <br /> Sujet que j'ai déjà créé de deux manières différentes<br /> 1. Couples sans enfants<br /> http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2021/11/03/couples-sans-enfants-levez-le-doigt.html<br /> 2. L'esprit de famille<br /> http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2014/04/08/esprit-de-famille-5342153.html.<br /> Le lien avec le capitalisme en fait partie, mais il n'est pas seul<br /> La responsabilité et les tracas des parents est à inclure jusqu'à l'âge de la majorité des jeunes est un risque que les parents prennent prendre et dont ils ne sont pas les seules responsables <br /> L'adoption est une autre manière d'enfanter quand le couple le désire.<br /> Les risques de l'enfantement n'existent plus.
Répondre
G
merci pour ton commentaire. l'immigration est une conséquence de la répartissions de la rareté inégale bénéficiant au"dominant en place"?sans cela chacun resterait dans son pays , car naturellement quand l'on vient au monde l'on s'attache au lieu où l'on naît s'il nous nourrit.<br /> cordialement.
A
Moi, parent : le portrait-robot 2025 avec autant de chiffres clairs que de zones d’ombre (infographies)<br /> Combien d’enfants ? Quel âge au premier bébé ? En couple, en solo, en famille recomposée ? Voici la radiographie du parent belge d’aujourd’hui avec autant de chiffres clairs que de zones d’ombre. Or, quand les données manquent ou sont mal exploitées, les politiques familiales qui en découlent ratent souvent leur cible.<br /> <br /> https://www.lesoir.be/701385/article/2025-09-26/moi-parent-le-portrait-robot-2025-avec-autant-de-chiffres-clairs-que-de-zones?utm_source=Engage&utm_medium=email&utm_campaign=LS_Newsletters&utm_content=Soir&utm_term=LIEN_154_ART_44507&M_BT=182323752210