Les Canuts et la monnaie pure : de la révolte à l’émancipation
Publié le 27 Septembre 2025
Les Canuts et la monnaie pure : de la révolte à l’émancipation
Au XIXe siècle, les Canuts, tisserands lyonnais, se révoltèrent contre les machines à tisser qui
menaçaient leur survie. Leur cri « vivre en travaillant ou mourir en combattant » résonne encore
comme une revendication fondamentale de dignité. Face à la misère et aux 18 heures de travail
quotidien, ils inventèrent pourtant des solutions sociales novatrices : mutualisme, coopératives,
conseils de prud’hommes, presse ouvrière, caricatures militantes. Autant de jalons d’émancipation
que nous avons aujourd’hui tendance à oublier.
Le parallèle avec notre temps est frappant.
Hier, les métiers à tisser ; aujourd’hui, la robotisation, l’intelligence artificielle et les caisses automatiques. La technologie détruit des emplois mais améliore le confort et la productivité. Elle est mue par le même ressort : la recherche du moindre effort pour satisfaire les besoins humains.
Les syndicats, à juste titre, craignent ces destructions.
Mais refuser la technologie est vain : l’histoire montre que son avancée est inéluctable.
La différence fondamentale, c’est que nous savons aujourd’hui ce que les Canuts ne pouvaient pas
savoir : la productivité des machines peut être mesurée et traduite en création monétaire pure. Là
où les révoltes d’hier cassaient les outils, notre tâche est d’inventer un système où la valeur créée
par les machines alimente directement la société plutôt que de se concentrer entre les mains d’une
minorité. C’est le sens d’une « monnaie pure » indexée sur la productivité machine et du savoir
accumulé.
Une telle approche ouvrirait la voie à de nouveaux instruments :
une Banque Verte ou une Écomonnaie, capables de financer les défis écologiques et climatiques, sans faire peser le coût sur les seuls salariés. Car il ne manque pas de travail — il manque de monnaie disponible pour l’accomplir.
La leçon des Canuts est claire : face à une technologie inarrêtable, seule l’émancipation
intellectuelle et collective permet d’éviter la misère. Hier, elle prit la forme du mutualisme et des
coopératives. Aujourd’hui, elle doit prendre la forme d’une réinvention monétaire et d’une vision à
long terme, capable de libérer l’humanité de la peur du progrès technique.
Ne craignons donc pas les machines : organisons-nous pour que leurs gains deviennent une
richesse partagée. C’est la condition pour que l’évolution technologique, loin de nous déposséder,
nous rapproche de ce que nous cherchons depuis toujours : vivre dignement, libres, et capables de
choisir notre avenir
Le fascisme de Weimar à la France contemporaine : identité de rapport
L’histoire ne se répète jamais terme à terme, mais elle offre des résonances troublantes. Entre
l’Allemagne de Weimar au début des années 1930 et la France contemporaine, certains parallèles
s’imposent. Il ne s’agit pas de confondre Hitler et nos acteurs actuels, mais d’identifier des «
identités de rapport » : mêmes mécanismes, mêmes dynamiques, mêmes aveuglements.
Comprendre ce glissement est essentiel pour éviter que l’histoire ne bascule à nouveau.
I) La République de Weimar : un laboratoire du glissement autoritaire
L’Allemagne des années 1930 ne fut pas emportée par une marée brune irrésistible. Les nazis
n’ont jamais « pris » le pouvoir : on le leur a donné. Les élites conservatrices, industrielles et
médiatiques, préférèrent pactiser avec Hitler plutôt que de perdre leurs privilèges. En utilisant les
failles de la Constitution (article 48), en gouvernant par ordonnances, en criminalisant les «
extrêmes » de gauche, le centre autoritaire ouvrit la voie à l’extrême droite. La presse de masse,
dominée par les magnats comme Hugenberg, entretint la peur du « bolchévisme culturel » et
alimenta les haines identitaires. Ainsi, ce n’est pas la force du nazisme qui l’a porté, mais la
faiblesse des démocrates et la compromission des élites.
II) La France (1984-2025) : un terrain de compromissions
Depuis 1984, la scène politique française connaît un glissement comparable. La gauche a
abandonné la lutte anticapitaliste, se contentant d’accompagner la gestion libérale. Le PS, en
assumant la « social-démocratie » sans rupture avec le marché, a désarmé idéologiquement ses
militants. La droite, elle, s’est « décomplexée », reprenant des thèmes du Front national pour ne
pas perdre son électorat. Aujourd’hui, une partie de LR n’hésite plus à envisager des alliances avec
le RN.
Macron incarne ce « centre autoritaire » :
austérité budgétaire, verticalité du pouvoir, criminalisation d’une supposée « extrême gauche », instrumentalisation sécuritaire et dissolution du Parlement pour contourner le débat démocratique. Quant aux médias dominants, largement contrôlés par de grands groupes financiers, ils alimentent quotidiennement les thèmes de l’extrême droite : insécurité, immigration, déclin national. La réalité est pourtant contrastée : depuis 1995, le taux de criminalité baisse en proportion, mais le discours médiatique fabrique une insécurité permanente.
III) Identité de rapport : similitudes et enseignements
Comme à Weimar, nous observons aujourd’hui : – un centre autoritaire qui préfère s’allier à droite
qu’à gauche ; – une gauche social-démocrate en retrait, incapable de porter une alternative claire ;
– des élites économiques et médiatiques qui instrumentalisent la peur pour préserver leurs intérêts
; – une extrême droite qui gagne en crédibilité grâce à ces compromissions. L’histoire ne se répète
pas : Hugenberg n’est pas Bolloré, Papen n’est pas Macron. Mais le rapport entre les forces
politiques est analogue. Les élites, par calcul, nourrissent ce qu’elles prétendent combattre. La «
banalisation » de l’extrême droite est le fruit de cette complicité, et non d’une fatalité.
La République de Weimar est morte moins de la force des nazis que de la lâcheté et de la cupidité
de ses élites. La France contemporaine n’en est pas au même point, mais les signaux sont là. La
judiciarisation, la policiarisation de la société, la criminalisation des contestations sociales, sont les
symptômes d’un glissement. Si l’on veut éviter qu’un jour le RN gouverne comme Hitler fut nommé chancelier, il faut briser cette mécanique. Non par la peur, mais par la lucidité, le courage et la reconstruction d’un horizon commun.
« Le fascisme ne s’impose pas, il s’infiltre. Il prospère quand la démocratie
s’endort.
Le glissement fascisant : du Juif au Musulman, d’Hitler à nous
Héritages et avertissements
L’histoire des Canuts ou de l’Allemagne des années 1930 nous rappelle que les sociétés, en crise,
cherchent toujours un ennemi intérieur. Hier, les ouvriers lyonnais détruisaient les métiers à tisser ;
hier encore, Hitler désignait les Juifs comme responsables de tous les maux. Aujourd’hui, nos
sociétés fragilisées par la mondialisation et le capitalisme financier rejouent ce scénario. Non pas
de façon brutale comme en 1933, mais sous une forme insidieuse : un glissement fascisant.
En 1999 je prédisais cette dérive et en 2011j’écrivais : Le musulman remplacera-t-il le Juif ?
À la faveur de la peur et de l’insécurité, le débat sur « l’identité nationale » et « la place de l’islam »
s’est installé. L’amalgame s’est construit : l’immigré = le musulman = l’ennemi potentiel. Les
médias, en relayant sans cesse faits divers et amalgames, ont fixé cette perception dans les
esprits. Comme jadis les caricatures antisémites, les discours péjorant l’altérité ont nourri une
mémoire collective qui habitue les citoyens au rejet. Le processus décrit par l’histoire se répétait :
recherche d’un chef charismatique, construction d’un groupe homogène, désignation d’un « autre »
menaçant, appel à des mesures d’exception. Le fascisme ne se choisit pas : il s’installe lentement,
à travers nos peurs et nos discours quotidiens.
2023 — La banalisation du rejet
Douze ans plus tard, nous n’en sommes plus à l’étape du glissement : nous sommes dans la
banalisation. Le Parlement vote des lois restrictives sur l’immigration. Le RN s’impose comme parti de gouvernement. La confiance démocratique s’effondre (2 à 6 % de confiance dans les
institutions). La société accepte qu’une partie de la population soit traitée comme une
sous-humanité, privée de droits égaux. Les statistiques montrent pourtant une réalité très différente
: la criminalité baisse depuis 1995, l’immigration irrégulière représente moins de 1 % de la
population, et plus d’un immigré sur dix travaille déjà dans nos entreprises. Mais la peur l’emporte
sur la raison. Comme hier, la stigmatisation remplace l’analyse.
Un processus en miroir
En 2011, nous pouvions dire « attention, le fascisme se glisse en nous ». En 2023, nous devons
dire « attention, le fascisme s’institutionnalise ». Le parallèle est clair : hier, les Juifs étaient
accusés d’être responsables de la misère et des crises sociales. Aujourd’hui, les musulmans sont
désignés comme la cause de l’insécurité et du chômage. Les mêmes mécanismes se déploient,
avec l’appui des médias, la lâcheté du « centre » politique, et la peur instrumentalisée des citoyens.
Quelle issue ?
Peut-on arrêter cette spirale ? Pas en cherchant un nouvel Hitler à abattre, ni en se réfugiant dans
la nostalgie des Canuts. Il nous faut changer le terrain même sur lequel prospère le fascisme :
briser le lien entre rareté économique et désignation d’un ennemi, créer une nouvelle richesse par
la productivité des machines et la monnaie pure, bâtir une banque verte ou une écomonnaie, pour
répondre au défi écologique et donner des revenus indépendants du travail salarié. Car si nous
restons prisonniers du capitalisme de rareté, nous continuerons à chercher des boucs émissaires.
Si nous inventons une richesse nouvelle, nous pourrons enfin sortir du piège qui alimente le
fascisme.
Le fascisme n’entre pas par effraction : il s’installe dans nos habitudes. Pour l’arrêter, il
ne suffit pas de dénoncer ses discours, il faut créer une société qui n’ait plus besoin de boucs
émissaires