La démission de Sébastien Lecornu : crise politique ou maturité démocratique ?
Publié le 6 Octobre 2025
La démission de Sébastien Lecornu a surpris.
Nous étions plutôt habitués, ces derniers temps, à voir l’Assemblée nationale refuser sa confiance, non à voir un Premier ministre se retirer avant l’épreuve.
Après avoir consulté, formé son gouvernement et mesuré la solidité de sa majorité, Lecornu a sans doute jugé l’échec inévitable.
Il a eu l’intelligence de renoncer à sa charge plutôt que d’aller s’échouer sur les bancs du Parlement.
Les partis, figés sur leurs positions, n’ont offert ni consensus sur la dette, ni compromis sur les retraites.
Une crise ? Non, un jeu démocratique
La presse s’enflamme. On parle de « crise » là où il n’y a qu’un fonctionnement normal de la démocratie.
Le président, lui, persiste à gouverner sans majorité, jugeant la France insoumise et le Rassemblement national incompatibles avec sa ligne :
l’une rompant avec le capitalisme, l’autre flirtant avec l’autoritarisme fascisant.
Dans l’union des gauches, le maillon faible reste le Parti socialiste et ses apparentés.
Mais faute de concessions, Lecornu n’a pu les détacher du Nouveau Front populaire (NFP).
Il aurait fallu les rallier pour atteindre la majorité de 294 sièges. En vain : le NFP est resté soudé.
Composition de l’Assemblée :
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Gauche (NFP) : 194 sièges (communistes, LFI, PS et apparentés)
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Rassemblement national : 123 sièges
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Droite et centre : 226 sièges (Renaissance, Horizons, Modem, Républicains, Union des droites)
Macron conserve donc le plus grand groupe unifié, contrairement au discours répété par les oppositions et repris sans distance par les médias.
Les chiffres démentent leurs slogans, mais la politique, c’est aussi cela : faire croire plutôt que démontrer.
Dissoudre, démissionner… ou laisser respirer la République ?
N’ayant pu fissurer le bloc de gauche, il reste au président deux options :
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Dissoudre à nouveau l’Assemblée et gouverner par-dessus les fractures ;
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Dissoudre et se retirer, ouvrant une page nouvelle.
Dans tous les cas, inutile d’agiter l’épouvantail de la « crise ».
Les institutions tiennent bon.
La République ne s’effondre pas : seuls les marchés et les commentateurs s’affolent, par réflexe ou intérêt.
La fonction publique gère, les services fonctionnent, les affaires courantes continuent.
Si le budget 2026 n’est pas voté, celui de 2025 sera reconduit.
Le reste n’est qu’un effet de loupe médiatique : la généralisation d’événements isolés pour entretenir l’angoisse.
Une démocratie qui discute, qui hésite, qui bloque parfois, ce n’est pas une faiblesse — c’est sa respiration.
La démocratie n’est pas un consensus
En dénonçant les « intérêts particuliers » des partis, Sébastien Lecornu a commis une erreur d’analyse.
Ces intérêts ne sont pas une dérive : ils sont l’essence même de la démocratie.
Les partis incarnent la diversité des opinions et des choix citoyens.
Ils sont la voix des désaccords légitimes, non celle des égoïsmes.
Mais dans sa logique, l’« intérêt supérieur de la France » se confond avec la continuité des politiques d’austérité issues de Maastricht.
Cette logique réduit la société à une donnée comptable, évaluée selon le prisme du capital des riches.
On nous répète, comme un réflexe pavlovien, que « les riches créent des emplois » et que « l’État doit se gérer comme une entreprise ».
C’est la clochette du néolibéralisme, celle qui sonne à chaque discours pour maintenir l’illusion.
En 2005, les Français ont dit non à cette vision lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen.
Les accords de Lisbonne ont balayé ce refus, imposant l’austérité permanente comme horizon politique.
De l’austérité à la confusion : la gauche désorientée
Depuis, la désinformation médiatique a entretenu la confusion.
On a fait croire que le socialisme se résumait à la politique conduite sous François Hollande — une caricature qui a nourri la désespérance.
L’abstention a suivi, puis les votes blancs, avant que la peur ne fasse le lit du Rassemblement national, qui ne propose pourtant aucune rupture avec le capitalisme.
Les électeurs se trouvent aujourd’hui face aux conséquences de leurs propres choix.
Ce n’est pas aux élus ni au président qu’il faut tout imputer : c’est aussi à chacun d’assumer sa part.
Mais aucun parti ne le dira franchement : tous vivent de l’espérance du vote, et préfèrent flatter que confronter.
Quelques chiffres rappellent l’ampleur du malentendu :
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Inscrits : 43 328 508
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Votants : 27 279 713
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Abstentions, blancs et nuls : 16 048 795
Plus d’un tiers du corps électoral rejette le système.
Non par ignorance, mais par désaffiliation politique : ils ne se sentent plus représentés.
La diversité existe pourtant, mais le cadre électoral en restreint l’expression.
Une épreuve de vérité démocratique
Ce moment politique n’est pas une crise : c’est une épreuve de vérité.
Le Parlement reflète les fractures d’une société épuisée par l’austérité, la peur et la confusion.
Tant que la démocratie sera réduite à la gestion comptable des États et à la sérénité des marchés, elle tournera sur elle-même, vidée de sens.
Le véritable enjeu n’est pas de gouverner sans majorité, mais de redonner au peuple la conscience de ce qu’il est :
le moteur et la mesure de la République.
Résumé analytique et civique
La démocratie ne se défend pas seulement dans les urnes, mais dans la capacité de chacun à comprendre ce qu’il s’y joue.
Tant que le savoir politique restera l’apanage d’une minorité, la majorité sera condamnée à voter sous influence.
La crise n’est pas institutionnelle : elle est cognitive.
Ce n’est pas d’un nouveau Premier ministre dont nous avons besoin, mais d’un peuple qui réapprend à penser par lui-même.
Nous payons aujourd’hui le prix d’une société qui rémunère la productivité plutôt que la compréhension.
Rémunérer les Hommes pour apprendre, ce n’est pas une utopie : c’est la condition de la démocratie à venir.
Car sans la connaissance, il ne reste que la peur — et la peur engendre toujours les pires maîtres.
La République n’est pas malade de ses institutions, même si elles se réforment lorsqu’elles atteignent leurs limites, mais de ses consciences citoyennes, endormies par les euphorisants médiatiques de leurs propriétaires.
L’avenir ne se décidera pas seulement dans un hémicycle, mais dans la clarté retrouvée de chaque esprit.
Le jour où apprendre vaudra mieux que dominer, nous aurons réparé la démocratie, et les débats politiques retrouveront leur sens.
On s’inquiète des dissolutions et des majorités, mais la vraie dissolution est ailleurs :
celle de la raison publique dans le flux des émotions médiatiques.
Tant que l’on ne réhabilitera pas la connaissance comme devoir collectif pour nourrir la démocratie de réflexion,
la République restera gouvernée par les plus habiles, non par les plus éclairés.