Le grand mensonge du salaire net

Publié le 5 Octobre 2025

Le grand mensonge du salaire net

Introduction

Depuis que la comptabilité a remplacé la morale comme boussole collective, nous confondons richesse et liquidité. Le salaire net devient l’idole d’un monde qui oublie que la solidarité n’est pas une charge, mais une forme de civilisation. Réduire les cotisations sociales, c’est défaire la République par le bas. Sous le masque du pouvoir d’achat, le gouvernement détricote la solidarité nationale, livrant les citoyens au marché comme on livre une proie à son prédateur.
On ne sauvera pas la société en rognant sur la solidarité, mais en réhabilitant le savoir. Ce que la politique de la marchandisation de la vie détruit par ignorance, seule l’éducation peut le réparer.

L’illusion du salaire net : la grande duperie des gouvernants

Le gouvernement prétend augmenter le pouvoir d’achat en réduisant les « charges » salariales. L’argument semble séduisant : plus d’argent net sur la fiche de paie. Mais cette logique est une imposture économique et une faute politique.

Ce que l’on appelle « charges » n’a rien d’un fardeau : il s’agit du financement collectif de services essentiels — soins, retraite, chômage, famille — qui constituent le cœur de la protection sociale. Ces contributions ne sont pas des ponctions sur le revenu, mais des investissements mutuels, des garanties partagées contre la maladie, la vieillesse et les aléas de la vie. En les présentant comme des coûts, le gouvernement reprend la logique comptable de l’entreprise, où tout ce qui ne concourt pas directement au profit est perçu comme une dépense inutile.

La mystification est totale : lorsque les citoyens s’assurent auprès du privé, ce n’est plus une « charge », mais la contractualisation d’un service. Et il est triste de constater que cette inversion sémantique fonctionne, tant elle révèle l’affaiblissement de notre capacité réflexive.

Dans une société, les cotisations sociales ne sont pas des « charges » : elles sont la traduction concrète d’un pacte de solidarité. Les réduire revient à fragiliser les services qu’elles financent — ou à transférer leur coût sur les individus eux-mêmes, sous forme d’assurances privées ou de prestations dégradées. Autrement dit, on ne fait qu’augmenter le « salaire net » en réduisant ce qu’il permet de garantir collectivement.

Dans une comptabilité domestique, on ne parle pas de « charges » pour désigner le loyer, l’électricité ou la santé : ce sont des dépenses nécessaires au confort, à la sécurité et à la dignité. Les cotisations sociales relèvent du même principe : elles ne pèsent pas sur le salarié, elles lui assurent, à lui et à la collectivité, un horizon de stabilité.

Faire croire que réduire les cotisations augmentera le pouvoir d’achat est une escroquerie intellectuelle. Le pouvoir d’achat réel, c’est le salaire brut, c’est-à-dire la somme du revenu direct et de la sécurité différée qu’il finance. Retirer les cotisations, c’est rogner sur la santé, la retraite, la dignité. Ce que l’État appelle “gain” aujourd’hui se paiera demain par des soins moins accessibles, des pensions plus faibles, des impôts plus lourds.

Salaire brut : la supercherie politique

La promesse d’augmenter les salaires en réduisant les “charges” sociales ne traduit pas une volonté d’améliorer la vie des travailleurs, mais une manœuvre visant à transférer sur les individus ce que la collectivité ne veut plus assumer.

Depuis des décennies, un travail patient de conditionnement a préparé le terrain. Sous l’influence des communicants, l’économie s’est réorganisée autour de la figure du client roi, cet individu persuadé que son pouvoir d’achat repose sur la baisse des prix plutôt que sur la juste répartition de la richesse. Aveuglé par l’illusion du gain immédiat, il a réclamé des produits toujours moins chers, oubliant que ce qu’il gagnait comme consommateur, il le perdait comme travailleur.

Ce glissement culturel a ouvert la voie à une substitution massive de l’emploi humain par la technologie, partout où cela était rentable, sans compensation sociale ni politique. Résultat : la disparition progressive des emplois cotisants fragilise à la fois la consommation, les prestations sociales et le financement des services publics. Or ce sont précisément ces emplois et ces cotisations qui permettaient de maintenir l’équilibre de la solidarité nationale.

Dans ce contexte, prétendre “augmenter le salaire net” en réduisant les cotisations revient à scier la dernière branche sur laquelle repose encore la cohésion sociale. Le véritable pouvoir d’achat n’est pas le salaire net, mais le salaire brut, c’est-à-dire la somme des revenus directs et différés ceux qui garantissent l’accès à la santé, à la retraite, au chômage, à la dignité. Diminuer les cotisations sociales, c’est réduire la part collective du salaire pour la transformer en une illusion individuelle.

Face à la hausse des besoins, soins, retraites, indemnisation du chômage le gouvernement de la collectivité nationale n’aura alors que trois options : dégrader les services, creuser le déficit, ou augmenter les impôts. Dans les trois cas, le salarié y perd. Cette logique du court terme, présentée comme une victoire du pouvoir d’achat, est en réalité une dépossession politique : elle détruit le lien entre travail, solidarité et citoyenneté.

Nos gouvernants ne peuvent ignorer cela. Leur hypocrisie consiste à maquiller un démantèlement social en progrès économique. Mais on ne renforce pas une société en lui retirant les fondations de sa solidarité : on la fragilise, on la divise, et on la livre à la logique marchande, là où tout devient affaire de coût et de rendement.

Vers une redéfinition de la valeur : apprendre plutôt que produire

Cette illusion du salaire net révèle un impensé plus profond : celui d’une société qui continue de mesurer la valeur humaine à l’aune du travail marchand, alors même que la technologie rend ce travail de moins en moins nécessaire.

Plutôt que de chercher à sauver un modèle épuisé en rabotant les cotisations, il faudrait repenser la distribution de la richesse autour de ce qui demeure spécifiquement humain : la capacité d’apprendre, de comprendre et de créer du sens.

Rémunérer les hommes pour apprendre — non pour produire davantage, mais pour s’élever collectivement — deviendrait alors la véritable réforme du pouvoir d’achat : un pouvoir d’être et de savoir. Car c’est par la connaissance que l’on répare ce que l’ignorance détruit, et non par le calcul comptable des “charges” que l’on prétend alléger.

Alléger les charges familiales, sociales ou collectives sans repenser le sens de la valeur, c’est fabriquer une société au rabais. Et cette tromperie, présentée comme modernité, restera sans doute la plus grande du siècle.

Ce n’est pas en allégeant les charges qu’on allège la misère, mais en allégeant l’ignorance. La vraie hausse du pouvoir d’achat, c’est celle de la conscience.


 

Rédigé par ddacoudre

Publié dans #critique

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