mélanchon sera-t-il une autre histoire
Mélenchon sera-t-il une autre histoire ? – écrit en janvier 2011
Quand j’ai quitté le PS devenu social-démocrate — c’est-à-dire gestionnaire du capitalisme — je ne me suis pas tourné vers un autre parti. D’un côté, je rencontrais des gestionnaires de la société fondée sur le libre-échange, ce qui est également nécessaire, mais dont je ne partage ni les finalités ni les moyens.
Je peux les classer parmi ceux qui défendent une version quelque peu socialisée de la loi du marché, différenciés uniquement par la manière dont ils envisagent une marche en avant vers ce que l’on pourrait qualifier de « récession régressive positive », selon leurs explications. Il me semble inutile de revenir sur ce point, si tant est qu’il ait échappé à quelques-uns qui se croient privilégiés.
Je n’exclus pas pour autant que, parmi eux, certains s’émancipent de la domination des oligarchies qui les ont dépossédés du pouvoir politique, en se remettant en question face à des « marionnettistes » dont les ficelles — faites d’allégeances, de cousinages, de collusions d’intérêts, de connivences, voire d’états de corruption — s’entremêlent avec une grande complexité.
D’autres, quant à eux, s’orientent vers un nationalisme « fragilisateur », de nature isolationniste, que nos ressources économiques actuelles ne peuvent soutenir au regard de nos exigences contemporaines.
Les partis verts n’ont évidemment pas vocation à gouverner de sitôt, mais ils constituent sans aucun doute une force de proposition. Ils représentent l’antidote à l’aboutissement obsolète de l’axiome d’Adam Smith, lequel continue de servir de bougie aux économistes archaïques incapables de s’inscrire résolument dans le courant des Lumières.
Je rappelle l’axiomatique suivante :
« Chaque individu met sans cesse tous ses efforts à chercher, pour tout le capital dont il peut disposer, l’emploi le plus avantageux : il est bien vrai que c’est son propre bénéfice qu’il a en vue, et non celui de la société ; mais les soins qu’il se donne pour trouver son avantage personnel le conduisent naturellement, ou plutôt nécessairement, à préférer précisément ce genre d’emploi même qui se trouve être le plus avantageux à la société… À la vérité, son intention en général n’est pas de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société… Il ne pense qu’à son propre gain ; et, dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler. » (A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations)
Aujourd’hui, sans ces découvreurs, ces scientifiques soucieux de la diversité du monde et de la santé humaine, nous aurions péri, ignorant les sources infectieuses, intoxicantes ou polluantes – à l’image de quelques tribus indigènes, inconscientes des ravages de nos pollutions.
La contrainte à laquelle le pouvoir les soumettrait constituerait un handicap, voire le cercueil de leur parti, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils ne méritent pas une place dans l’ensemble des pouvoirs. Il faudrait même, en priorité, leur réserver cette place, car ils incarnent l’adaptation de l’activité productive humaine à son environnement. Quoi que nous fassions, ils marqueront irrémédiablement le futur, démontrant que, lorsque nos égoïsmes naturels – si bien définis par Smith – atteignent leurs limites, ils peuvent devenir suicidaires.
Cela diffère pourtant de la pensée d’Adam Smith, qui, ignorant ce que nous savons aujourd’hui, ne pouvait en tenir compte. C’est pourquoi, en résumé, je dis souvent que la pollution a enterré l’axiome d’Adam Smith.
D’autres restent tournés vers un passé désormais révolu, écrasé par le mur de Berlin dont ils ne conservent que les vestiges, et n’augurent d’aucun avenir. Cela ne signifie pas pour autant que leurs analyses soient erronées, ni que leurs visions généreuses — ou même le marxisme — ne soient toujours d’actualité, c’est simplement que la majorité de la population n’y croit plus. Nous ne pouvons réduire ce constat à la seule pensée unique, à la manipulation de l’information, à la sous-culture dominante ou à la peur.
Je ne conteste pas l’impact qu’ils ont dans la formation d’un ensemble où se mêlent inaction et désignation de boucs émissaires. Cependant, le front du refus mesuré observé lors des régionales montre, malgré les contraintes qui les musellent ou les enserrent, qu’ils attendent quelque chose. S’ils ne savent pas formuler clairement ce qu’ils désirent, ils expriment, en revanche, ce dont ils ne veulent pas parler – ce qui n’est pas nécessairement négatif.
J’avoue nourrir quelques espérances quant au départ de Mélenchon du PS. J’ai trouvé généreuse et audacieuse son idée de réunir, en un front de gauche, les vestiges du mur de Berlin. Je ne m’illusionne pas quant à la rapidité avec laquelle cela pourrait se concrétiser, tant les autres partis sont attachés à leur histoire et imaginent posséder, intrinsèquement, un sens qu’ils ne parviennent pas à partager avec d’autres, comme si, depuis l’époque où ces identités se sont définies, rien n’avait évolué.
Je pense également qu’ils peinent à conférer à leur action un sens transcendant, au-delà de la simple prise en compte du réel de notre organisation socio-économique, laquelle exige des ajustements permanents. À quelques exceptions près, ils n’ont pas la capacité d’émettre de nouvelles propositions, fruit d’une expérience qui doit être recomposée et réassemblée pour apporter ce sens qui ne surgira pas à première vue.
Notre évolution le démontre, face à la recomposition des oligarchies, à la perte de repères, à la multiplication des confusions et aux difficultés de discernement face à l’abondance d’informations contradictoires, sans oublier l’absence d’espérance et de confiance de la population, qui ne trouve ni voie ni voix en eux. La tendance observée lors des dernières élections régionales, imposée par défaut, serait dramatique et constituerait une dénégation du sens même de la démocratie.
Je pensais – et je pense toujours – que Mélenchon tenait entre ses mains la possibilité d’ouvrir un nouvel horizon. Pourtant, il faut rompre, sans renier pour autant, avec les images du passé et transformer le socialisme, réformateur ou révolutionnaire, en un parti capable d’offrir une vision à long terme de la société en redistribuant les pouvoirs oppressifs entre les mains du peuple, lequel, tout en ne pouvant se passer de ses élites, doit s’extraire d’un monde désormais partagé entre les USA et la Chine – afin qu’en Europe il n’y ait ni vassalité ni simple marché à conquérir.
Pour cela, il faut créer une dynamique qui ne repose pas sur nos archaïsmes, même s’ils restent parfois justes et indispensables pour rétablir une plus grande justice sociale. Mélenchon poursuit sa route et surfe sur les vagues porteuses du moment. J’ignore toutefois s’il dispose d’un staff suffisant pour appréhender l’ampleur de nos difficultés et, par là même, pour briser les monopoles oligarchiques, qui, tel un culte, réclament une gouvernance mondiale digne d’une autorité quasi papale.
La tâche est rude, et le morcellement des survivants symboliques du mur de Berlin facilite l’essor de cette religion du marché. Tous, ancrés dans des souvenirs d’une gloire passée qu’ils ne retrouveront jamais, semblent pourtant déterminer le chemin vers une dictature totale des oligarchies, lesquelles se feront, en reconstruisant les pages sombres de notre histoire dans un paradigme adapté à nos moyens technologiques, bien difficile à dépasser si les populations se laissent enfermer dans une logique d’accaparement de la technologie pour leur seul usage.
Les récentes émeutes et les soulèvements en Tunisie ou en Égypte nous montrent que l’État de droit, dont nous nous prévalons tant, n’est pas une garantie contre la tyrannie des dirigeants et peut même servir de justification à des lois iniques.
J’observe donc attentivement le parcours de Mélenchon, car il me semble capable de relever ce défi. Autour de lui se rassembleront, inévitablement, tous les fragments de dissidence. Je suis même certain que sa réussite provoquerait une scission au sein du PS, clarifiant ainsi son positionnement, aujourd’hui embourbé dans une confusion de tendances. En effet, si le réel doit être géré, il conditionne le futur – mais pas toujours de la manière perceptible –, et c’est dans ce présent que les populations réclament un sens à leur existence, un sens qui leur a été dérobé par la logique quasi religieuse de la comptabilisation.
J’ignore si Mélenchon sera l’homme de la situation dans laquelle se cristalliseront les espérances. L’enjeu dépasse la simple réduction des inégalités ou la promotion d’une croissance consumériste ; il s’agit du post-capitalisme, d’une toute autre histoire.
Ouverture au changement et espoir de renouveau : Malgré une vision globalement pessimiste sur l’évolution du système, néanmoins j’exprime l’espoir que Mélenchon puisse incarner une rupture avec le passé et proposer une alternative authentique au post-capitalisme. Ce point de vue, s’articulé autour de notions de dissidence et de redéfinition des rapports de pouvoir, ouvre le débat sur la capacité des partis à se réinventer face aux mutations du monde contemporain.